PRÉFACE
J'aime les univers Pulp, donc de façon tout à fait logique j'aime faire du JDR dans les univers Pulp. Il y a cependant un truc qui m'a toujours chiffonné, c'est que par respect des conventions du genre les scénarios de JDR Pulp sont toujours très linéaires, avec la plupart du temps un enchainement de description des scènes les unes après les autres, ce qui implique que l’auteur présuppose du comportement que vont adopter les PJs, personnellement ça me pose problème, car je sais d'expérience qu'un scénario trop linéaire mène à deux conséquences néfastes :
- Les joueurs cassent le scénario en sortant des limites prévues par l'auteur, le document devient alors complètement inutile et le MJ doit improviser dans l'urgence pour sauver les meubles.
- Les joueurs sont bridés par les limites du scénario imposé par l'auteur ou le MJ, ils se rendent compte que leur choix n'ont aucune importance, ces mêmes joueurs se sentent floués et ils ont raison, car au final qu'est-ce qu'une partie de JDR si ce n'est une succession de choix intéressants ?
J'ai longuement cogité à la façon de « Dé-linéariser » un scénario Pulp et je pense avoir trouvé la bonne solution, car en vérité une bonne histoire Pulp n'a besoin que d'une chose : un méchant.
Tant que ce Méchant, son but et ses moyens sont clairement définis ; tant que les PJs ne lâchent pas l'affaire pour tenter de l'arrêter, en fin de compte on n'a pas besoin de préparer autre chose puisqu'après tout, l'entièreté de l'histoire tourne littéralement autour de lui.
Cela peut paraitre contre intuitif, mais pour utiliser correctement les éléments décrits dans cette aide de jeu, vous ne devez pas préparer votre séance comme une « histoire » que vous allez raconter, car l’histoire va découler naturellement de votre interaction avec vos joueurs. Vous devez préparer votre séance comme étant le déroulé d’un processus autonome, c’est-à-dire le plan du méchant, un processus qui va être inexorablement interrompu et malmené par vos joueurs. De ce fait votre préparation vous permettra de créer une histoire intéressante tout en respectant l’agentivité de vos joueurs, car vous serez capable de vous adapter à toutes les éventualités.
Avant d'aller plus loin, sachez que cette aide de jeu est fortement inspirée (voir même plagiée, après tout ce n'est rien d'autres qu'une forme de flatterie) de concepts portées par les PBTA et notamment Monster of the week envers qui j’ai une forte dette. Je n’avais jamais vu le principe du PBTA appliqué aux scénarios Pulp, et c’est pourquoi je me suis mis en tête de rédiger cette aide de jeu. Sachez que malgré la forte influence PBTA cette aide de jeu reste générique et adaptée pour n'importe quel système.
LE MÉCHANT TRÈS MÉCHANT
Il faut commencer par définir de façon précise votre antagoniste, car il sera le moteur de l’histoire. Voici les différentes caractéristiques à définir :
- Le nom, faites comme vous voulez pour un méchant comique, mais si le méchant doit être sérieux alors il faut privilégier un nom court et facilement prononçable. Il faut également proscrire les noms trop connotés comme « Inigo Montoya » ou trop ridicules comme « Dégeulassor le dégueulasse » (sauf si vous jouez dans une ambiance ouvertement parodique)
- La description physique, d’une façon une d’une autre, votre méchant ne doit surtout pas avoir une apparence banale. Il doit être immédiatement reconnaissable même dans une foule immense. En plus d’un physique atypique (en bien ou en mal), n’hésitez pas à jouer sur les autres paramètres de son apparence comme ses vêtements, de potentielles cicatrices ou même des augmentations cybernétiques.
- Le Concept, c’est-à-dire à quel archétype de personnage (souvent un cliché) est rattaché votre méchant ? Est-ce un scientifique fou ? un baron du crime ? un tueur à gage ? Comme tout à déjà été fait n’hésitez pas à combiner les archétypes, même quand cela semble étrange, je tiens pour exemple le Doctor Fatalis qui reste un méchant sérieux malgré un fort cumul des mandats : Dictateur, Baron du crime, Super Scientifique, Sorcier, Moine (et probablement d’autres choses que j’oublie).
- Son obsession, car pour arriver au point d’assembler une armée pour défier des gouvernements, il faut vraiment être obsédé de façon maladive par un but dont il dépend de façon presque métaphysique.
- Ses forces, puisque le grand méchant est une force de la nature capable de perturber à lui tout seul l’équilibre du monde : il a de sérieux atouts dans sa manche pour l’aider à la poursuite de ses ambitions.
- Ses faiblesses, le méchant est un personnage qui peut sembler invincible au premier abord : mais la radicalité dans laquelle il s’est enfermé signifie qu’il se surestime, et donc qu’il n’a pas conscience des différents leviers qu’un adversaire pourrait utiliser pour le renverser.
Vous trouverez ci-dessous un panorama des grands archétypes de méchant qu’on trouve dans le genre du Pulp. Sachez que ces catégories ne sont absolument pas exclusives et que beaucoup de personnages populaires les cumulent, la plupart des personnages que vous avez pu croiser dans le pulp rassemble deux des archétypes décrits ci-dessous.
L’Érudit fou (Ex : Docteur Mabuse)
L’incarnation même du concept de l’hubris, l’érudit en question possède la clé vers un savoir fabuleux (Scientifique ou ésotérique) dont il use et abuse pour commettre ses méfaits, que ça soit dans un but égoïste ou altruiste.
Le Baron du crime (Ex : James Moriarty)
Le plus simple des archétypes, et le plus proche de notre « réalité » (même s’il n’est pas plus réaliste que les autres). Il est question ici d’un individu à la tête d’un réseau occulte qui pratique des activités criminelles dans un but de profit. Ce réseau est doté d’une structure hiérarchique (dont le méchant est au sommet bien sûr) et occulte car ses membres sont évidements tenus au secret, sous peine de mort.
L’Étranger (Ex : Fu Manchu)
Ce qu’on oublie souvent, c’est que le pulp des origines, celui des années 30, était pour le dire crument un genre écrit par des hommes blancs pour des hommes blancs (même si des femmes et des minorités ont écrit sous pseudonyme), avec tous les préjugés racistes qu’on pouvait trouver dans cette catégorie ethnique (il n’y a qu’à voir les opinions de Lovecraft). Ainsi donc, tout ce qui n’était pas « blanc » (ou plutôt tout ce qui n’était pas clair de peau, protestant et d’origine strictement britannique) était vue comme un ennemi potentiel du monde occidental. Sachez évidemment qu’en tant qu’auteur je ne cautionne évidemment pas les clichés racistes, mais il était important pour moi d’un point de vue documentaire de mettre en lumière cette partie hélas peu reluisante du genre.
La Bête (Ex : Fantômas, celui des romans)
La bête n’est pas un homme, c’est un monstre à forme humaine. On pourrait rapprocher sa caractérisation de celle des tueurs en série dans nos œuvres modernes. Un personnage qui ne commet pas le mal par nécessité, mais par plaisir, c’est en quelque sorte sa raison d’être. Il est incarnation métaphysique de tout ce qu’il peut y avoir de plus mauvais dans l’existence.
L’ENTRÉE EN MATIERE
Le méchant est un méchant avant tout parce qu’il veut représenter une rupture, il souhaite ébranler l’ordre du monde dans le but d’assouvir ses ambitions. C’est de cette façon que vous devez accrocher les joueurs dans l’intrigue à venir, par un évènement néfaste et impressionnant dont ils doivent être les témoins directs, un évènement qui est déjà calamiteux en soi mais laisse présager le pire. Cet évènement doit pouvoir être relié facilement au méchant du scénario ainsi qu’à son plan maléfique, cette accroche deviendra la première marche d’une spirale dans laquelle vont s’enfoncer les joueurs jusqu’à ce qu’ils parviennent au fond du gouffre, là où se trouve le méchant.
LE DÉCOR
Il s’agit du cadre dans lequel va se dérouler l’affrontement entre les héros et le grand méchant, c’est l’endroit dont l’équilibre va être rompu par l’antagoniste à cause de son plan maléfique. C’est une unité géographique extrêmement vague car selon les besoins du scénario le décor peut être aussi petit qu’un bâtiment ou aussi grand qu’un pays entier, voir un continent, c’est vraiment au MJ de voir à ce niveau-là. Pour un scénario, je recommanderai cependant de ne pas dépasser l’échelle du pays, car fait du globe trotting nécessiterai tellement d’ellipses que je pense qu’il serait plus pertinent de simplement faire plusieurs scénarios.
LE REPAIRE DU MÉCHANT
Tous les grands méchants disposent d’une base d’opération secrète qui leur sert d’appui pour commettre leurs méfaits. Il sera nécessaire pour le maitre du jeu d’en faire un plan et ce : afin de connaitre l’agencement des quartiers et les aménagements qu’a mis en place le grand méchant pour accomplir son plan maléfique, de plus il est fort probable que les héros finissent par y faire un tour ; cependant, avoir une échelle exacte et détaillée au mètre près est probablement inutile. Gardez à l’esprit que ce repaire sera forcément dissimulé sous une façade respectable (à moins que le méchant soit déjà en territoire conquis) alors gardez à l’esprit la couverture choisie par le méchant pour dissimuler ses opérations.
LES SBIRES DU MÉCHANT
Lieutenants
Ce sont certes des sbires, mais ils ont l’insigne honneur d’avoir un nom et un prénom, les élevant ainsi au-dessus de la masse des serviteurs anonymes. Ce sont les officiers de la cohorte du grand méchant, ceux en capacité de donner les ordres. Il n’y a qu’eux parmi les sbires qui ont une réelle chance de vaincre les gentils, même si la tâche n’a pas de grandes perspectives de réussir. Un grand méchant engage rarement plus de trois lieutenants, car eu delà il est garanti d’être trahi tôt ou tard par l’un d’entre eux, que ce soit par ambition, par sympathie envers les héros ou simplement parce qu’il ne peut plus supporter ses collègues. Les pervers sociopathes et narcissiques qui font les criminels ne sont pas réputés pour leur capacité à coopérer.
Une ou deux phrases devrait suffire pour rendre justice à un lieutenant, n’oubliez pas de lui donner une statblock complète. N’hésitez pas à rendre ce Lieutenant unique en lui affublant un concept comme vous le feriez pour le grand méchant.
Sous-fifres
Ce sont des PNJ qui servent uniquement de faire valoir, que ce soit envers les joueurs ou le grand méchant lui-même. Les sous-fifres n’ont aucune chance de vaincre les héros, même lorsqu’ils sont en très grand nombre, mais cela ne les empêche pas d’essayer. Ces hommes de mains sont en général habillés de façon à ce qu’on puisse aisément reconnaitre leur employeur (ce qui n’est pas très malin pour des criminels). En général leur attitude est suicidaire, mais il arrive parfois que quelque uns soient foudroyés de lucidité et se mette à fuir. Les sous-fifres peuvent être décliné en plusieurs spécialités selon les besoins : des fusiliers, des lanceurs de bombe, des infiltrateurs (en général il est inutile d’avoir plus de trois types de sous-fifre par scénario).
En général une courte phrase et une stat-block minimaliste sont amplement suffisants pour définir des sous-fifres de façon convenable.
LE PLAN MALÉFIQUE
Tous les méchants ont un plan maléfique qui ont pour but de réaliser leur ambition néfaste, ces plans sont en général divisés en plusieurs phases. À chaque fois qu’une phase du plan maléfique est remplie, le méchant accomplit un objectif qui le rapproche toujours plus de son but final ; concrètement dans le scénario cela se produit par des évènements négatifs auquel les PJs assistent en tant que témoin, des évènements directement corrélables aux activités du grand méchant.
Personnellement je divise en six phases :
Phases 1 à 3 : À ce stade de l’histoire, le méchant reste encore relativement discret. Car il a besoin de mettre en place les marches sur lesquelles son plan va s’appuyer. Les sbires vont adopter une attitude discrète et privilégier la fuite à l’affrontement avec les PJs, à moins qu’ils soient certains de gagner. Le plan est encore fragile, le méchant le sait et c’est pour ça que la discrétion est très importante.
Phase 4 à 5 : Une fois ce cap franchi, le plan maléfique a déjà eu des conséquences plus que néfaste sur le monde, il ne s’agit plus de savoir si on pourra stopper le mal mais seulement si on pourra l’empêcher de faire plus de ravages qu’il n’en a déjà accomplis. À ce moment-là le méchant a pris la confiance et ses séides enhardis ne reculent plus devant un affrontement direct. La discrétion est abandonnée au profit de méthodes qui consistent à frapper vite, frapper fort et frapper méchamment. L’antagoniste cherche à accomplir les objectifs les plus importants de son plan mais aussi les plus dangereux, c’est pourquoi il fait preuve de beaucoup d’audace.
Phase finale : C’est le clou du spectacle, le méchant n’a plus qu’à appuyer sur un bouton pour voir tous ses désirs se réaliser. C’est en général à ce moment-là que les gentils débarquent pour se lancer dans une joute rhétorique sur le pouvoir de l’amitié ou que sais-je avant d’en venir aux mains avec le grand méchant.
Les phases s’accomplissent à chaque fois que les PJs échouent à contrecarrer les objectifs du méchant et de ses hommes de mains.