Bon, je l'ai fini ce week-end moi aussi et comme tout le monde, visiblement, j'ai apprécié, même si ça n'a pas été évident au départ. Je veux dire, stylistiquement, il est très bon, mais pendant une bonne partie de la lecture, je me suis demandé quelles étaient les intentions de l'auteur, sans arriver à clairement trancher.
J'ai l'impression que l'auteur a cherché une certaine gradation dans le rapport au personnage principal. Effectivement, au début, on a bien envie de condamner le personnage principal. Contrairement à Glabutz, le postulat de départ ne m'a pas donné envie de me ranger du côté de Koriba : l'isolationnisme et le communautarisme ne m'ont jamais attiré en tant que modèle de civilisation, même si "tirer l'enseignement d'un certain mode de vie" est par contre très bien.
Dans les premiers chapitres, j'ai eu l'impression que l'auteur cautionnait ce mode de vie et ça m'a fortement dérangé. Le point culminant se situant dans la nouvelle avec le Masaï. L'auteur aurait pu choisir de faire venir quelqu'un de sage pour donner tort à Koriba, mais il choisit de lui donner raison en faisant venir un chasseur Masaï.
Ce n'est qu'après que la construction de l'utopie révèle réellement ses limites. Jusqu'à ce moment, en effet, l'utopie est viable puisque les membres qui ne la supportent pas s'éliminent d'eux-mêmes. (Je sais, c'est affreux de dire ça, mais du point de vue utopique, tuer les bébés nés par le siège n'est pas une atrocité, puisque c'est accepté par tous les membres de cet utopie - donc, ce point qui nous choque dès le départ n'est pas un argument contre l'utopie, au contraire).
Puis au fur et à mesure, on découvre l'impuissance de Koriba à maitenir d'applomb les murs de son utopie, et on finit par le prendre en pitié, justement à cause de cette impuissance et à cause de ses erreurs et ses espoirs déçus. Le Koriba de la fin devient donc humain quand au début il est inhumain et mécanique. Preuve qu'un homme même le plus atroce peut revêtir différents aspects.
L'autre point qui m'a séduit, c'est un rapport presque asimovien à la construction : on part d'un postulat, et on explore ses limites. En ce sens, cela m'a beaucoup rappelé le cycle des robots ou Fondation. L'aspect humain était autant présent dans ces cycles vénérables que dans ce livre.
Enfin, j'ai aussi été émerveillé par les niveaux de lecture de l'ouvrage, qui amènent à chaque fois des nouveaux arguments pour et contre les utopies, les paraboles, les "sagesses traditionnelles", etc. Très souvent, j'ai pensé à la vénération actuelle des paroles de sages chinois ou boudhistes, une espèce de confiance aveugle dans les paraboles et les maximes que l'on retrouve aussi dans la religion. Un des avantages du livre est de montrer que les paraboles sont des histoires, mais des histoires idéalisées qui simplifient la réalité et qui au lieu de donner une vision d'ensemble donnent plutôt un canal de lecture étriqué qui prive l'auditeur de liberté s'il s'y laisse enferrer.
Bref, un ouvrage de SF comme je les aime : un ouvrage qui en plus d'être divertissant et imaginatif fait réfléchir sur le monde actuel et les tentations trompeuses d'isolationnisme, mais qui montre également que rien ne se construit sans leaders, et que l'homme n'est toujours pas prêt pour une expérience communautaire.
Merci également à Philippe pour cette découverte, car je n'avais jamais entendu parler de Resnick auparavant et c'est une agréable surprise.
"La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde" (Paul Valery)
"La politique est l'art d'enculer les mouches" (Charles Bukowski)