INTRODUCTION
New York, jeudi 18 mai 1920. C’est le printemps, il fait beau, et à l'Agence de détective Brown&Matthews l'ambiance est à l'optimisme.
Jusqu'à ce qu’arrive une visiteuse inattendue : rien moins qu’Amanda Matthews–Carrington, 52 ans, mère d'Amelia, Matthews, arrivée tout droit de la petite ville de Bedford, dans le Connecticut...
Mme Matthews–Carrington prouve immédiatement qu’elle maîtrise aussi bien (sinon mieux) que sa fille l’Art de soigner ses entrées. Après quelques réflexions acerbes sur "l’endroit où travaille" sa fille (une piaule assez minable à Manhattan) et une batterie de regards écrasants de mépris souverain jetés aux autres membres de l’Agence, elle annonce à sa fille qu’Emily Hearthridge, la fille unique de la cousine de son père (vous suivez ?), vient de mourir. Les obsèques auront lieu le surlendemain, samedi 20 mai, à l’Eglise Episcopale et au cimetière de Christchurch à Bedford.
Mme Matthews–Carrington avait envoyé un faire-part de décès (il y a de cela presque deux semaines), qu’elle exhume, encore scellé, sous l’imposante pile de courrier (factures, relances, menaces de saisie, chantages au suicide puis menaces de mort pour non-paiement) qui s’accumule sur le bureau de sa fille.
C’est parce qu’elle n’avait pas eu de réponse qu’elle a fait le voyage de Bedford jusqu’à New York.
Mme Matthews–Carrington est assez sibylline quant aux circonstances du décès, mais insiste pour que sa fille assiste aux obsèques, sur le thème toujours efficace du "je compte sur ta présence dans ces moments difficiles". Amelia Matthews ne peut décemment pas se défiler (elle est frondeuse, mais quand même...), d’autant qu’elle sent bien que sa mère ne lui dit pas tout (et ça, ça titille sa curiosité).
Faisant la preuve de l’impérieuse autorité typique des membres du clan Matthews, Mme Matthews–Carrington réquisitionne séance tenante, la voiture de sa fille (la Cadillac Modèle 57 tout juste réparée ; cf. "la commanderie de New Sorans") et le "chauffeur" de l’Agence (Angus O’Donnel). Par ailleurs, elle consent à ce que "l’amie de sa fille" (Emmeline Brown) les accompagne.
Les PJs n’ont même pas le temps de boucler quelques bagages qu’ils se retrouvent en route pour…
BEDFORD.
Cette petite ville du Connecticut, à l’architecture typique de la Nouvelle Angleterre, a été fondée à la fin du 17ième siècle par des immigrants "libéraux", qui fuyaient les puritains de l’époque installés dans la Colonie. Longtemps cantonnée aux tâches agricoles, elle a pris son essor industriel à la fin des années 1880.
Actuellement, la ville compte environ 45 000 habitants, dont un grand nombre d’étudiants. Elle se situe dans la partie sud-ouest de l’Etat, juste au croisement du fleuve Housatonic et de la ligne de chemin de fer qui relie Brewster à Hartford (la capitale de l’Etat).
La ville elle-même est assez pimpante et n’a pas de réputation particulière, si ce n’est celle de son Marshall College, qui est une des plus fameuses et anciennes universités de la côte est des Etats-Unis.
La ville compte également un certain nombre d’usines (construction, textile, machines-outils) qui appartiennent toutes au véritable propriétaire de la ville qu’est le clan Matthews.
Partis en milieu de matinée de New York, les PJs et Mme Matthews arrivent à Bedford en fin d’après-midi. Il ne faut guère de temps pour traverser la ville et gagner la propriété familiale à 3 miles à l’extérieur de la ville, où le Patriarche Franck Charles Matthews, 82 ans et maître incontesté du Clan, gère ses affaires d’une main de fer dans un gantelet d’acier.
ACCUEIL.
Les PJs arrivent bons derniers, tous les vautours membres du Clan sont déjà arrivés, si l’on en juge par l’alignement impressionnant de grosses voitures devant la propriété. Celle-ci est un immense manoir de 2 étages (plus les combles) qui tente de se donner des aires de château européen par un style architectural qui appartiendrait à l’école "boursouflé de prétention avec toutes les fanfreluches possibles, tant qu’elles sont chères". Il est néanmoins assez grand pour servir de lieu de résidence à une petite colonie de vacances.
Les PJs et Mme Matthews sont accueillis sur le perron par Washington Beauregard, le plus vieux serviteur noir de la maison, dernier témoin en vie des aventures de jeunesse du Patriarche, et majordome de la Matthews Mansion (et c’est, accessoirement, la seule personne des lieux pour laquelle Amelia éprouve de l’affection). Celui-ci a fait préparer les chambres, dont "l’ancienne chambre de Mam’zelle Amelia qui n’a pas changée depuis son départ".
Emmeline et Amelia s’installent dans des chambres luxueuses, dotées même d’un réfrigérateur individuel (une vraie révolution en 1920), tandis que le souper est annoncé pour 8 heures. A 6 heures, du personnel de maison vient fournir à Emmeline et Amelia des robes de soirée dignes du Bal des débutantes (décidément tout est prévu). Chez les Matthews, on s’habille pour le souper.
Pendant ce temps là, Angus O’Donnel reste fidèle à sa tactique (éprouvée et efficace) consistant à se mêler au personnel de maison, car ces gens là ont toujours des choses à dire.
En allant garer la voiture (aux écuries attenantes partiellement transformées en garage qui contient toute une collection de véhicules allant de la Ford T de livraisons à la Rolls-Royce Silver Ghost, en passant par toute la gamme intermédiaire), il fait la connaissance de Baxter, palefrenier, mécanicien et chauffeur en chef. Devant une bonne bouteille, celui-ci lui dresse un portrait peu reluisant de ses employeurs, dont il décrit la famille comme un "nid de vipères" mais comme il le dit lui-même "le boulot n’est pas tuant et pour 300 dollars par mois (5 à 6 fois le salaire moyen) on supporte tout le reste". Ceci juste avant d’aller rouler sous la table (ah ! la Prohibition).
OU L’ON DÉCOUVRE POURQUOI AMELIA S’EST BARRÉE DE CHEZ ELLE…
8 heures.
Tandis qu’Angus est occupé à cuisiner Baxter, Emmeline et Amelia descendent dans la salle à manger où sont déjà descendus tous les membres du Clan Matthews. De fait, il y a un petit buffet ouvert depuis 7 heures, mais comme leur présence n’y était pas requise, Amelia et Emmeline ont repoussé au dernier moment l’instant des "retrouvailles".
Il y a une trentaine de personnes, représentant le Clan Matthews, ainsi que les Welton, une branche apparentée aux Matthews, mais plus modeste, car ayant connu de sérieux revers de fortune.
C’est à cette branche de la famille qu’appartenait feue Emily Hearthridge, née Pearson, fille de la Tante Hannah Pearson, née Welton (vous suivez toujours ? Bien !)
Au milieu de tout cela, une douzaine de gamins d’âge variant entre 4 et 10 ans font ce que font tous les gamins de cet âge : il courent entre les tables en criant et s’amusent à faucher des petits fours…
Amelia a la joie de retrouver certains individus qu’elle avait (très naïvement) espéré ne plus revoir :
- Son père : le Colonel (ret.) Frédérick Arnold Matthews, 57 ans. Cet ancien colonel de l’US Army a participé à la guerre hispano-américaine de 1898 en combattant à Cuba ; il a ensuite fait de l’occupation aux Philippines et a combattu contre les indépendan-tistes locaux. C’est là qu’il a été blessé à la jambe (il boite, depuis lors).
- Sa sœur aînée : Annabelle Bentley, née Matthews, 26 ans. Fille modèle, typique de l’éducation stricte de la Nouvelle-Angleterre. Marié à 19 ans à Richard Bentley, avocat à Boston (présent à la cérémonie), deux enfants (William 2 ans, et Henry, 4 ans). Elle fait comprendre à Amelia qu’il serait temps pour elle d’arrêter ses enfantil-lages d’Agence de détectives et de se trouver enfin un mari.
- Son oncle 1 : Henry Lafayette Mat-thews dit "le Juge", 59 ans, frère aîné du Colonel, ancien avocat, juge à la cours criminelle d’Etat du Connec-ticut, adjoint du Gouverneur de l’Etat. Il avait tenté de marier Amelia à un neveu du gouverneur (Arnold Winston, 22 ans, un jeune homme charmant, intelligent et sportif mais très conventionnel). Amelia lui a jeté (à l’oncle) au visage une édition reliée cuir de "5 semaines en ballon" de Jules Verne.
- Son oncle 2 : Philip Franklin Carrington, "le Banquier", 48 ans, l frère de sa mère. Gras, fumant un cigare hors de prix, arborant en permanence avec un petit air satisfait, il possède des actions dans diverses grandes banques du pays et vit très, très confortablement de ses dividendes à Hartford (Connecticut). Célibataire, libidineux, a causé plusieurs scandales de moeurs qui ont été étouffés. C’est lui qui "finance" (achète ?) le train de vie de la plupart des membres de sa famille (dont son beau-frère, le Colonel, qui ne lui a pas pardonné cette humiliation).
Amelie retrouve toutefois avec plaisirs quelques personnes :
- Son frère cadet : Georges, Benjamin, Matthews, 18 ans. Un jeune homme d’une gentillesse confondante, sensible et doté d’un grand sens artistique (il peint de très belles aquarelles). Son père l’a inscrit à l’Académie de West point pour qu’il devienne officier, Georges n’a pas osé lui désobéir…
- Sa Tante n°1 : Artemisia Carrington-Sparks, 42 ans. La sœur jumelle d’Amanda et la brebis galeuse de la famille. Aussi libre penseuse et délurée que sa sœur peut être stricte. Mariée 5 fois, veuve 5 fois. Son dernier mari était un capitaine de cavalerie ("eux au moins savent ce que monter veut dire"). Possède une chance insolente au jeu et a de nombreuses reconnaissances de dettes ; a appris à piloter un avion. Porte des vêtements très fantaisistes (avé le pantalon), même lors d’un enterrement. Sans enfants, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé…
ET DIEU DIT "QUE LE REPAS SOIT !"…
Cette "charmante" (hum !) série de rencontres est interrompue par un vent glacial balayant les lieux (ou bien est-ce juste l’imagination des convives ?) alors survient Franck Charles Matthews, 82 ans, Maître tout-puissant des lieux, un vieil homme ratatiné dans sa chaise roulante (poussée comme il se doit par Washington Beauregard), un bloc compact d’orgueil, de mépris et d’autoritarisme qui n’a rien perdu de son acuité intellectuelle, ni de sa capacité à vous écraser sous le seul poids de son Regard™.
A ses côtés, Tante Hannah Pearson, née Welton, 57 ans. C’est la cousine de Frédérick Arnold Matthews "le Colonel", veuve de feu Barnaby Pearson, médecin. Elle a beaucoup vieilli. Elle approche des soixante ans mais en paraît soixante-dix, totalement anéantie par la mort de sa fille unique, Emily, et qui n’a plus que son petit-fils.
Ce petit-fils justement, le petit William, 4 ans, est également là. Tout raide dans son costume noir, pâle comme un linge il parle à peine, et débite d'une voix mécanique les formules de réponses aux condoléances que sa grand-mère lui a apprises la veille au soir.
Le dîner commence. Les enfants vont manger à l’Office sous la direction du personnel (menu : hachis Parmentier –oui, le cuisinier est français), tandis que deux tables sont installées dans l’immense salle à manger. Les convives sont installés par ordre d’âge, ce qui évite aux PJs d’être à la même table que Grand-Père par contre ils font la très désagréable expérience d’être à côté du cousin Henry Matthews, 22 ans, fils cadet d’Henry Lafayette Mathews. Avec ces faux airs de Drago Malfoy, ce petit sournois, jouisseur et paresseux est âme damnée de son oncle "le Banquier", les PJs le surnomment immédiatement "le Cousin Lapdog".
Le repas de famille est conforme à la tradition : trop copieux, trop arrosé, prétexte à bavardages et commérages familiaux. "Cousin Lapdog" fait du plat à tout ce qui porte un jupon (marié ou non), A la table d’à côté Philip Franklin Carrington, "le Banquier", se perd en rires gras, propos grotesques et bruits digestifs divers. En bout de table, à côté de Hannah et de Grand-Père, le jeune William grignote un peu du hachis Parmentier "menu enfants"...
L’interminable repas se finit enfin. Les "Hommes" sacrifient au rituel du digestif pris dans le fumoir, Les "Dames" prennent l’air sur la terrasse, les enfants, eux, sont couchés depuis longtemps, et la Tante Hannah raccompagne le petit William.
Lorsque soudain, celui-ci s'écroule, le visage cyanosé.
AU MEURTRE ! A L’EMPOISONNEUR !
Alertés par les hurlements, Emmeline et Amelia sont les premières à réagir. Elles se précipitent vers le petit William qui recrache une épouvantable bile verdâtre, et ne peuvent que le regarder mourir dans leurs bras.
Au regard des symptômes, Emmeline peut diagnostiquer immédiatement que c'est un empoisonnement. Ce que le cousin Matheson, pharmacien de profession, confirme. Tous deux tombent d’accord sur le produit employé : c'est de la strychnine, en dose suffisante pour liquider toute l'assemblée. Or, pour être efficace, ce poison doit être ingéré.
Coup d’œil vers la place (débarrassée) où le petit William avait mangé son hachis Parmentier "menu enfants", flottement dans l’assemblée puis cavale précipitée des mères vers les chambres des enfants où leur agonie collective a commencé…
Panique ! Tentative à la chaîne pour les faire vomir, avec l’aide d’Emmeline Brown promue secouriste ès gerbos.
Seul Washington Beauregard, garde son calme : il téléphone au St. Mary's Hospital de Bedford, décrit les symptômes et exige un envoi massif d’ambulances. Celle-ci arrivent moins d’un quart d’heure plus tard et embarquent les bambins vers les urgences (ils s’en tireront tous)…
Reste la mort du Petit William…
Qui dit décès, dit constatation officielle et enquête de police.
Pour la première, c’est le Dr Riley, médecin légiste à Bedford, qui s’en charge. Il confirme le diagnostic de la strychnine, précisant que c’est une ingestion mort-aux-rats qui est la cause du décès.
Pour la seconde, c’est du ressort de l'inspecteur Clark Rowland, un petit gros à moustache et chapeau melon. La première question étant "accident ou attentat ?".
A ce sujet, les PJ ont déjà une longueur d’avance :
• Angus a déjà établi que les réserves de mort-aux-rats (dans les écuries sous la surveillance de Baxter) sont stockées de façon sûre et loin des cuisines.
• Il interroge sans ménagement excessif le personnel des cuisines. Et là il apprend qu’un personne étrangère à la maison s’y était introduite avec un réel aplomb.
• En effet, affirmant avoir été spécialement engagée pour s’occuper des enfants, c’est elle qui les a guidés à l’office et leur a servi le repas. Mieux ! Elle a donné un coup de main aux cuisines pour préparer le repas des enfants (épluchage et pressage des pommes de terre).
• Il s’agit d’une grande femme "toute maigre, avec une robe noire", mais qui "paraissait tellement convenable"
• Angus retrouve dans les cuisines une bouteille d’eau de Cologne vide, pas du tout à sa place (la cuisine est bien tenue), qui a contenu… de la mort-aux-rats, hé oui !
• A la question "qu’est devenue cette femme en noir ?", c’est Richard Flimmer, un employé de la maison qui répond l’avoir ramenée à Bedford,à sa demande, pour prendre un train (en direction de la gare de Brewster). Il n’a vu aucune raison de le lui refuser (elle avait demandé poliment et semblait être là légitimement, après tout).
• La suite du récit de Flimmer : "Par contre durant le trajet, elle ne cessait d’égrener un chapelet en marmon-nant des trucs dans une langue que je ne comprenais pas" (du Latin, en fait) et avant de le quitter elle l’a remercié en lui disant "qu’il avait aidé à accomplir l’œuvre de Dieu". Là, le brave Flimmer avait commencé à trouver ça bizarre, mais il était rentré sans se poser plus de question et avait trouvé la maison sens dessus dessous.
Attentat, donc, incontestablement, et par une personne (homme ? Femme ? Difficile à voir) apparemment dérangée, mais décidée et ne lésinant pas sur les moyens…
Les PJs font rapidement leur rapport à l'inspecteur Rowland qui réagit très vite en diffusant le signalement de la suspecte dans les gares et les services de police de l’Etat, toutefois, l’absence de centralisation et de coordination entre les services ne l’incite pas à l’optimisme, tandis qu’Angus mobilisa Matt Springer (resté à New York) pour surveiller les arrivés de train du Connecticut.
L’Opération fonctionne presque, trois heures plus tard un coup de fil de la police de Danburry signale qu’un vigile des chemins de fer a été poignardé par une personne dont le signalement correspond au suspect recherché(e), et qui a filé dans le train allant vers le New Jersey…
Dommage…
"À MOI LA VENGEANCE, A MOI LA RÉTRIBUTION, DIT LE SEIGNEUR" (ROMAINS 12:19).
Il est à peu près deux heures du matin, l'inspecteur Rowland vient de partir, tout le monde est allé se coucher et Amelia s’apprête à en faire autant, lorsque Franck Charles Matthews, son Grand-père, toujours poussé par son fidèle Washington Beauregard lui enjoint de le suivre séance tenante dans son bureau.
Le Bureau de Grand-Père, lieu de toutes les terreurs enfantines s’avère être une immense salle de travail, avec archives, des murs couverts cartes punaisés et de tableaux, des moyens modernes de communication (plusieurs lignes de téléphones…), des piles de dépêches fournies par toutes les Agences de presse du monde… etc.
Franck Charles Matthews est furieux, de ce genre de colère glacée bien plus terrifiant que tous les hurlements du monde.
F. C. Matthews n’a que mépris pour les membres de sa famille, mais pour lui, "quelqu’un" a tué un membre du Clan Matthews, donc ce "quelqu’un" doit payer.
Et cher.
Très Cher…
Le récent succès de l’Agence Brown & Matthews dans l’affaire du bébé enlevé à New York (cf. "L'or, la myrrhe et l'encens") l’amène à ordonner à sa petite fille (qu’il affuble cérémonieuse-ment de son patronyme complet "Amelia, Virginia, Elisabeth Matthews") de prendre l’enquête en mains, sachant que "ni l’agent, ni les moyens employés ne lui importent" (fin de citation). Il prend naturellement tous les frais de l’enquête à sa charge, même les plus extravagants (mais il y aura sacrément intérêt à avoir des résultats).
Pour ce faire, F. C. Matthews lui fait un très curieux présent : deux revolvers Colt Police modèle 1862, dans leur écrin, modifiés pour le tir de cinq cartouches métalliques. F. C. Matthews explique que c’est un vieux souvenir de jeunesse qu’il avait employé pour accomplir un serment de vengeance. Il veut qu’Amelia en fasse usage pour châtier le coupable.
Admettons. Mais pourquoi diantre la moitié des cartouches de la boite (15 sur 30) sont-elles en argent massif ??
Par ailleurs, ce meurtre pose la question de la cause "accidentelle" de la mort d’Emily : F. C. Matthews laisse entendre qu’il n’avait pas été satisfait par la trop rapide enquête de la police de Vernon (dans le Vermont) où le drame a eu lieu et qu’il serait intéressant de retourner y voir…
Bien sûr que c’est un ordre.
Fin de l’entretien, mais avant de congédier Amelia, F. C. Matthews reste un instant l’air rêveur en contemplant la seule ornementation de la pièce : le portrait d’une femme portant des vêtement du précédent demi-siècle. Ce ne serait rien d’important, si ledit portrait n’était pas celui tout craché d’Amelia, Virginia, Elisabeth Matthews …
Ou pas ?
AUTOPSIE NOCTURNE.
Les évènements de la soirée on quelque peu occulté le fait que sa principale "vedette", feue Emily Hearthridge, née Pearson, repose dans son cercueil, dans une pièce attenante à la salle de réception, pour recevoir les derniers hommages familiaux...
Il est environs 4 heures du matin, mais Amelia tient un conseil de guerre rapide avec Emmeline et Angus, leur raconte la mission confiée par F. C. Matthews et ses soupçons quant à la mort d’Emily.
C’est Emmeline qui a l’idée géniale de la soirée : aller examiner nuitamment (c'est-à-dire tout de suite) le cadavre d’Emily pour voir si il est possible de découvrir quelque chose…
Un moment de consternation plus tard, le plan est mis à exécution : les PJ descendent discrètement voir le corps, le sortent du cercueil, le dévêtent et l’examinent.
Par mansuétude spéciale du MJ, aucun évènement scabreux n’est venu troubler cet examen peu conventionnel (c’est déjà assez la m… comme ça !).
Bilan : découverte d’un hématome fort suspect à hauteur du rein droit : il est certain que l’on a introduit une très fine aiguille à cet endroit, pré mortem. Et sans doute injecté quelque chose… Il s’agit, selon toute vraisemblance d’une seringue hypodermique. Reste à savoir ce que l’on a injecté (encore que dans les reins ça peut être n’importe quoi et rester mortel)…
Rien de plus. Les PJs remettent le corps en place à la lueur tremblotante des cierges et s’esquivent.
Il est à peu près l’aube et les PJs n’ont plus le temps d’aller se coucher. Ils doivent se rendre à Vernon pour examiner les lieux de la mort d’Emily.
VERNON, VERMONT.
Vendredi 19 mai 1920, 7H00.
Seuls Angus et Amelia seront du voyage. Emmeline a pour instruction d’aller chasser les indices au St. Mary's Hospital de Bedford, ce qui lui permet, à elle, de dormir jusqu’à 11 heures, tandis qu’Angus et Amelia empruntent une voiture à Baxter et se mettent en route pour Vernon, nantis d’un copieux panier repas fourni par le personnel de la maison.
Angus conduit, Amelia dort. Il fait beau, trajet sans histoires.
En fin de matinée, les PJs arrivent à Vernon, bourgade de 2 000 habitants située dans le "coin" sud-est de l’Etat juste aux limites du Massachusetts et du New Hampshire. La propriété de tante Hannah est en fait la résidence secondaire ; c’est une grosse Mansion (un ex-relais de chasse), flanquée d’une écurie et entourée d’un très grand parc traversé par un petit cours d’eau. Le parc est ceinturé par un mur de trois mètres de haut. L’ensemble a connu des jours meilleurs, le manque d’entretien est flagrant, la grille du parc est bloquée ouverte.
Angus et Amelia sont accueillis par le personnel. Celui-ci se résume à trois personnes : M. et Mme Jermyn, âgés, charmants qui cumulent les postes de maître d'hôtel, de cuisinière, de jardinier et de cocher. Ils ont vu grandir Emily et ont des tas d'anecdotes à raconter sur son enfance et son adolescence. S’ajoute Virginia, la petite bonne qui vient seulement pendant la journée.
Les PJs étant arrivé vers midi, il leur est impossible d’échappe au gargantuesque repas préparé par Mme Jermyn (potage aux champignons, cailles aux airelles avec légumes variés et tarte Tatin en dessert, Angus en a repris deux fois).
Après seulement, peut commencer l’enquête.
LES FAITS, RIEN QUE LES FAITS…
Sur les circonstances de l’accident, les Jermyn ne peuvent que répéter ce qu’ils ont dit à la police :
Juste après le repas Mme Emily était parti faire une promenade à cheval, elle montait Jenny, une jument affable, tandis que le petit William l’accompa-gnait, montant Polly, un vieux poney particulièrement débonnaire.
Moins d’une heure plus tard, pourtant, le jeune William a fait irruption dans la maison en hurlant que "sa maman était tombée à l’eau", le temps que M. et Mme Jermyn se précipitent vers le bras de rivière, ils ont trouvé le corps sans vie d’Emily dans les roseaux, le long de la berge. Le médecin a conclu à l’hydrocution post-digestive (l’eau est très froide en cette saison) et la police a classé l’affaire…
Selon William, "sa maman était à cheval juste à côté de l’eau, lorsque le cheval a fait une ruade. Maman est tombée à l’eau et d’un seul coup n’a plus bougé. Il a voulu la tirer vers la berge mais n’y est pas parvenu, alors il a eu très peur et il s’est précipité vers la maison pour aller chercher M. et Mme Jermyn"
DES INDICES SURPRENANTS.
Angus et Amelia décident de suivre le trajet emprunté par Emily et son fils quelques jours auparavant. Le parc de la propriété est très vaste, et couvert de bosquets épars mais assez touffus pour y dissimuler une section d’infanterie au grand complet…
Heureusement il n’a pas plu entre-temps et il reste des traces visibles. A ce jeu de pistage, Amelia s’avère vite prodigieusement douée, elle repère les traces de nos promeneurs équestres sans la moindre difficulté. Très vite, les PJs arrivent sur les lieux du drame.
Il se trouve, en effet, qu’à cet endroit la rivière décrit une courbe paresseuse et la berge descend en pente douce vers une petite zone de roseaux. C’est au milieu de ces roseaux que le corps d’Emily a été repêché, à moins de deux mètres du rivage. A cet endroit, sur 5 mètres, l’herbe laisse la place à une rive humide où il est aisé de laisser des traces. On relève effectivement des traces de sabots, mais le piétinement généralisé des sauveteurs a effacé toute trace utile.
Autours, le terrain est dégagé sur plus de 40 mètres, distance où commence le bosquet le plus proche. Angus décide d’y jeter un coup d’œil et, surprise, découvre un endroit où, visiblement quelqu’un est resté dissimulé ou couché assez longtemps pour observer les lieux du drame (herbe aplatie). Mieux, Angus découvre des fils de laine noire restés accrochés aux branches.
Toujours à son jeu de piste, Amelia découvre que ce mystérieux guetteur a quitté sa cachette pour s’aventurer à pas de loup vers le lieu du drame, mais sans s’aventurer sur la terre humide de la berge, donc qu’elle ne s’est pas aventurée sur le du lieu du drame à proprement parler.
Les traces et l’enfoncement permettent de déduire qu’il s’agit d’une personne de grande taille (1m80), mais légère (60 à 65kg ?). Les chaussures sont des gros brodequins de marche.
Les traces de brodequins suivent ensuite celle que le poney a suivi pour rentrer à la Mansion, après l’accident. Bizarrement, elles révèlent que le poney est rentré au pas lors de ce trajet, ce qui ne colle pas avec le récit d’un William affolé se précipitant pour aller chercher du secours…
Une fois arrivé près de la Mansion, la piste des brodequins regagne le couvert des arbres et mène jusqu’à un endroit où le mur d’enceint du parc s’est partiellement écroulé. Les PJs y découvrent les restes d’un abri de fortune et des conserves abandonnées. De l’autre coté du mur, se trouve la route vers Vernon. Des traces de vélo (dont on retrouve facilement l’ancienne cachette) s’y dirigent (il y a une gare à Vernon).
Pour les PJs, la situation est étrange : les traces retrouvées sur le corps d’Emily démontrent qu’elle a été attaquée par un outil très, très fin et très pointu que l’on lui a planté dans les reins, mais il a été retiré. De plus il n’existe, en 1920, aucun outil pour envoyer une fine aiguille à distance avec une telle précision. L’inoculation n’a donc pu avoir lieu qu’au contact, et d’après les traces relevées le mystérieux guetteur ne s’est pas approché d’Emily. Or, au moment du drame, il n’y avait que deux témoins : le mystérieux guetteur et le petit William…
DRÔLES DE LECTURES…
Troublés, mais dubitatifs, les PJs décident de s’intéresser un peu plus à la personnalité du petit William (après tout, à 4 ans il est assez vigoureux pour planter une aiguille ou une seringue dans le dos de quelqu’un, et il est de plus à la bonne hauteur pour toucher aux reins)…
Mais tout de même… meurtrier à 4 ans ? Ce serait un record…
Selon Mme Jermyn: "William était un drôle de petit garçon. Toujours gentil, toujours calme, jamais de caprices, jamais de colères. Très intelligent, aussi. Il venait juste d'apprendre à lire, et il dévorait tous les livres qui lui tombaient sous la main et occupait la bibliothèque du rez-de-chaussée durant des journées entières. J'ai rarement eu à m'occuper d'un enfant aussi facile, et je ne comprends pas pourquoi Mme Emily... enfin, elle... je ne veux pas dire du mal des morts mais elle ne l'aimait pas vraiment, je crois.
Son de cloche similaire chez Virginia, la petite bonne : elle n'aimait pas William, mais sans trop savoir pourquoi. Par contre elle est certaine qu’Emily ne l’aimait pas non plus, voire qu’elle en avait peur. Au cours de la conversation elle mentionne le fait qu’Emily se promenait souvent à cheval, mais que la dernière fois fut aussi la première où elle était accompagnée de William…
Pour les PJs, ça commence à faire beaucoup…
Une visite de la chambre de William est éloquente : froide, spartiate, sans un seul jouet normalement apprécié par un enfant de cet âge. Par contre, Angus découvre une bouteille d’alcool à brûler sous le matelas de son lit (qui est fait impeccablement au carré)…
Selon Mme Jermyn, William dévorait tous les livres qui lui tombaient sous la main. Il est temps d’aller jeter un coup d’œil à la bibliothèque du rez-de-chaussée que William occupait durant des journées entières.
Les traces dans la poussières des rayonnages permettent de déterminer quels furent les livres consultés (seul William les lisait). Surprise ! Foin de livres pour enfants ou de romans d’aventures, le jeune William consultait des livres de biologie, pharmacologie, zoologie, botanique, médecine et d’anatomie de niveau universitaire. C’est d’ailleurs en relevant le marque-pages d’un livre d’anatomie qu’Angus constate qu’il garde une page consacrée aux… reins et à leur fonctionnement.
Un rappel élémentaire de médecine, permet de se souvenir qu’une injection de n’importe quoi d’un peu toxique dans les reins (comme de l’alcool à brûler) peut s’avérer fatale (sans oublier l’intense douleur d’une frappe dans les reins qui, en elle-même, est paralysante et la chute dans l’eau qui permet de conclure à la noyade).
Là, ça commence à faire peur…
PENDANT CE TEMPS LA A VERA CRU... HEU! BEDFORD…
Emmeline s’est rendue au St. Mary's Hospital où elle a retrouvé le Docteur Riley et a assisté à l’autopsie. Compte tenu de ce qu’ils ont découvert, c’est elle qui insiste pour qu’il téléphone séance tenante à la Mansion de Vernon. C’est Angus qui prend l’appel :
Selon le docteur il est confirmé que William a succombé à une dose massive de strychnine, ou plus précisément de mort-aux-rats, administrée par voie orale. Mais il ajoute un fait intéressant qui ne figure pas dans le rapport : "Le pauvre gosse n'aurait pas vécu vieux, de toute façon. Il avait une curieuse malformation cardiaque - je n'avais jamais rien vu de pareil. Ça l'aurait tué un jour ou l'autre, d'un seul coup, sans prévenir. Il y avait aussi une ou deux bizarreries chimiques. Je n'ai pas poussé l'examen, j'avais trois autres clients qui attendaient que je m’en occupe, les vivants gardent priorité sur les morts, vous voyez ? Mais je suppose que c'est pour ça que le gamin est mort aussi vite. Normalement, la mort-aux-rats met un moment à agir, mais là, ça a été instantané."
Le docteur Riley confirme également que les autres enfants sont tous tirés d’affaire.
RÉSUMONS :
William était un enfant anormalement précoce et intelligent pour son âge.
- Il n’était pas vraiment aimé, et sa propre mère semblait avoir peur de lui.
Il a menti dans son récit en prétendant s’être précipité pour aller chercher du secours pour sa mère.
Il a développé une déformation, elle aussi anormale, et "aussi une ou deux bizarreries chimiques". Sans plus de précision.
Il est le mieux placé pour être le meurtrier de sa propre mère : il avait le moyen et l’opportunité ; mais il reste à déterminer le mobile.
C’est la fin de l’après-midi, et les PJs estiment avoir fait le tour des lieux et de la question.
Malgré que le temps soit à la pluie, ils préfèrent rentrer tout de suite à Bedford.
Sous une pluie battante, Angus prend le volant et, sans incident majeur, Angus et Amelia arrivent, épuisés, à Matthews Mansion vers deux heures du matin.
Inutile d’espérer se reposer, toutefois, car à peine arrivée, Amelia est de nouveau convoquée dans le bureau de F. C. Matthews pour lui faire son rapport (ce type ne dort donc jamais ?).
Amelia lui fait part de ses observations sur le lieu du drame (crime ?) et de ses soupçons, aussi étranges qu’ils puissent paraître.
Première surprise : F. C. Matthews ne témoigne d’aucune réaction notable à cette nouvelle, tout au plus un "très intéressant" sibyllin.
Deuxième surprise : F. C. Matthews brandit une liasse de journaux new-yorkais titrant "Héroïsme d'une domestique!", "Là meurtrière rôde!", "La veuve noire échoue!" Toutes ces manchettes apparaissent dans les pages intérieures des journaux du soir, dans les rubriques des faits divers et autres chiens écrasés. Dépouillée de ses ornements journalistiques, l'histoire est simple. Le matin même (19 mai) une femme en noir s'est présentée à la porte de service de l'hôtel particulier de M. Mowry, gros industriel new yorkais. Elle a tentée de faire parler la bonne des enfants de Mme Mowry. La bonne, s’est méfié et s'est éclipsée sous un prétexte quelconque et a envoyé chercher la police. Malheureusement, à son retour la femme en noir avait disparu. Rien d’extraordinaire, donc, et les journalistes ne font aucun lien avec ce qui s’est passé la veille à Bedford (F. C. Matthews a efficacement censuré la presse locale qui n’en a pas parlé), mais il existe un risque que cette affaire fasse un peu trop de bruit et attire l’attention sur les évènements du 18 mai. A son grand déplaisir, F. C. Matthews a du téléphoner lui-même à de M. Mowry ("un minable", dixit F. C. Matthews) pour obtenir des précisions : la femme en noir est bien la suspecte recherchée, et apparemment elle ne perd pas de temps.
Troisième surprise : F. C. Matthews a fait vider l’appartement d’Emily à New York (dans un coin cossu du quartier de Washington Heights) et a récupéré ses papiers personnels. A priori on ne trouve rien d'anormal : Emily menait une vie tranquille et retirée, et correspondait avec quelques amies de pension. Une seule étrangeté, mais de taille : dans un dossier poussiéreux: une facture d’un certain Centre de cure Sélène (pour un montant rondelet : 3 000 dollars pour un séjour de trois semaines), datée de septembre 1914. F. C. Matthews n’a pas perdu de temps, il a vite établi que ce Centre de cure Sélène existe depuis 1907, il a pour vocation de guérir la stérilité (féminine, car la stérilité masculine n'existe pas, du moins pas dans l'esprit des hommes des années 1920). Le Centre est installé à la campagne, à une vingtaine de miles (une trentaine de kilomètres) au nord de la Nouvelle-Orléans, à l'écart de tout. Sans être spécialement secrète, c'est une institution discrète, qui ne fait pas de publicité, et dont l'essentiel de la clientèle est attirée par le bouche à oreille.
Quatrième surprise : F. C. Matthews sort des billets de trains pour la Nouvelle-Orléans au départ de New York. Ce matin même à 10 heures. Se reposer ? Mais vous pourrez le faire dans le train, voyons, le voyage dure 36 heures pour quelques 2 216 km de trajet.
L’AFFAIRE PÉLICAN.
Samedi 20 mai 1920, 9H30. Après avoir roulé une partie de la nuit, les PJ arrivent à Pennsylvania Station, à New York, juste à temps pour prendre le Train Pelican de la Southern Railway à destination de la Nouvelle-Orléans.
Soyons justes : F. C. Matthews ne s’est pas moqué des PJs, il les fait voyager dans un train de luxe avec tout le confort possible : cabine individuelle, cabinet de toilette, voiture restaurant haut de gamme, personnel de grande classe… etc.
Voyage sans histoire, les PJs arrivent en gare de la Nouvelle-Orléans le mardi 22 mai à 21H, heure locale.
LA PINKERTON VOUS SOUHAITE LA BIENVENUE.
A peine les PJs sont-ils arrivés sur le quai qu’un jeune homme blond, bien habillé d’un costume clair et portant un chapeau, les cheveux courts avec encore des tâches de rousseurs et qui n’a sans doute jamais utilisé un rasoir de sa vie et portant un dossier sous le bras, les aborde poliment. Il se présente comme étant Jack Schultz de la célèbre Agence de détective Pinkerton.
Amelia déteste la-célèbre-Agence-de-détective-Pinkerton.
Il est chargé de les réceptionner et de leur fournir plusieurs choses :
- Leurs réservations à l’hôtel Lafayette (628 S. Charles Street) ; 3 chambres dans un hôtel de première classe.
- Une voiture Studebaker Light Six touring Modèle 1920 achetée (pas louée!) à leur nom. Ce truc coûte bien 1 500 $ !!!
- Un dossier réunissant tous les infor-mations disponibles sur le Centre de cure Sélène.
- Une liste de personnes à contacter en cas d’urgence avec toutes leurs coordonnées (un avocat, le chef de la police et un juge ; tous des "amis" de Grand-Père).
- Un mot gentil de sa part : "Le temps c’est de l’argent et c’est mon argent". Fin de citation.
Après un dîner rapide à l’hôtel, les PJs vont se coucher avec la perspective que les choses sérieuses vont commencer le lendemain…
UNE ETRANGE MAISON DE POUPEES…
Mercredi 23 mai 1920.
Après un solide petit-déjeuner à l’hôtel, les PJs se mettent en route en direction du Centre de cure Sélène.
Celui-ci est vraiment dans un trou paumé de l’arrière pays néo-orléanais : il faut plus d’une heure de route pour y parvenir. Heureusement c’est assez bien fourni en panneaux indicateurs.
10H. Les PJs arrivent à destination.
Dans une vie antérieure, le centre Sélène était une grande ferme, au flanc d'une colline, à trois miles du village le plus proche. Il y a un grand bâtiment d'habitation, plus une grange convertie en gymnase, des courts de tennis et une piscine couverte.
A priori, rien de suspect, donc les PJs se méfient…
Logique.
Pour s’introduire dans les lieux, les PJs décident d’user d’un plan diabolique : Amelia se fait passer pour une cliente potentielle, accompagnée de son ami Emmeline. Angus est le chauffeur.
Amelia et Emmeline sont accueillies par une… nous dirons "femme". Elle a la cinquantaine, un début de moustache, un gros nez et des manières dignes d'un sergent de marines et se présente sous le nom de Isabella Estarriès, la secrétaire de Mme Isthar avant que cette dernière n’apparaisse…
Mme Istahr est petite, boulotte, trop fardée, avec trop de bijoux, elle s’agite en permanence et affiche une personnalité faite d’un enthousiasme jubilatoire et d’un optimisme en béton (qui relève d’une sorte de Méthode Coué sous amphés). Pendant la visite, elle s'étend surtout sur le confort de l'endroit (une sorte de super–maison de poupée en grandeur nature), et reste assez évasive sur le traitement ("un peu de gymnastique, des séances de relaxation, du bon air et un régime végétarien. ").
En revanche, une fois dans son bureau elle fournit sans hésiter des tarifs plutôt coquets.
Ledit bureau est d’ailleurs des plus instructifs à observer : il contient des traces pittoresques de son ancienne existence (en gros : poule de luxe) ; sur certaine photos on reconnaît certaines personnalités politiques ou artistiques du New York des années 1880. Dans la bibliothèque se trouvent quelques ouvrages "occultes" à base de Théosophie largement teintée de mysticisme oriental à deux sous, bref une sorte de New Age avec 50 ans d’avance, mais pas de Necronomicon, ni de Livre d’Ivon…
DE TOUTES FAÇONS, LE COUPABLE, C’EST LE JARDINIER…
Pendant ce temps là, à l’extérieur, Angus attend.
Sans qu’il sache trop pourquoi, l’endroit le met terriblement mal à l’aise, au point de vouloir fuir sans hésiter ; c’est tout juste si ses propres pieds ne se mettent pas spontanément à sprinter vers la sortie…
Pour tirer ce sentiment au clair, Angus décide de fouiner un peu. Passe alors la cible idéale : un vieux jardinier qui pousse sa brouette.
Angus le suit jusqu’à la cahute qui lui sert de remise (et de lieu de couchage) et, au moment où le jardinier ressort avec une tondeuse à gazon, l’assomme pour le compte.
Un premier interrogatoire ne donne rien : le pauvre type est si terrifié qu’il ne peu presque pas articuler de réponse cohérente.
Angus passe alors à la phase 2 : celle de l’exploration sous déguisement, en l’occurrence avec les hardes (on n’ose plus dire vêtements) de ce dernier.
Détail que le joueur ne pouvait pas savoir : le jardinier a soixante-cinq ans, et ses rhumatismes vont bientôt l'obliger à embaucher un assistant. Si Angus avait été vu (ce qui ne fut pas le cas) il aurait pu se faire passer pour le nouveau jardinier.
Angus essaye de déterminer l’origine de son malaise, mais c’est impossible. L’oppressante sensation semble venir de partout à la fois, de toutes les directions. Il en conclu que la source du mal provient de sous le sol…
Angus décide d’aller explorer la grange convertie en gymnase. Résultat : il s’agit apparemment bel et bien d’une grange convertie en gymnase (mais allez savoir). Une trappe dans le sol ouvre sur une cave sombre et humide vers laquelle descendent des escaliers vermoulus que personne n’a du utiliser depuis des lustres…
Il manque de se faire surprendre dans ses investigations par deux employées venues ranger du matériel de sport et ne doit sa survie qu’un un rush fabuleux qui l’amène à se dissimuler de justesse dans un Plint (agrée de sport également appelé banc d'impulsion).
Guère plus avancé (mais ayant acquis la certitude qu’il y a quelque chose de définitivement malsain dans la zone, Angus se débarrasse en vitesse de son déguisement et retourne jouer les parfais chauffeurs.
A ce moment là, une employée du Centre lui rappelle courtoisement qu’un homme seul n’est pas sensé rester sur les lieux. Angus se dédouane en affirmant chercher les toilettes.
L’employée les lui indique et, c’est là qu’Angus prend conscience d’une petite bizarrerie à propos de l’eau courante qui alimente le Centre : d’où vient-elle effectivement ? Angus décide d’en embarquer un échantillon en vue d’analyses…
Fin de la visite, le PJs quittent le Centre, guère plus avancés, mais persuadés que quelque chose de louche s’y passe.
C’est alors que, tout pris qu’ils sont par leurs cogitations, il ratent le coche et se retrouvent dans un petit village proche du Centre de cure Sélène :
COUDE (EN FRANÇAIS DANS LE TEXTE), VILLAGE CAJUN.
Mercredi 23 mai 1920 –vers 14 heures.
Coude (en français dans le texte) est un village d’un petit millier d’habitants, Cajuns et métis, situé au coude (précisément !) d’une rivière assez paresseuse dont les méandres semi–marécageux vont se jeter dans le Mississippi. Bien que construit sur un terrain sec, certaines maisons en bordure sont construites sur pilotis et de nombreux pontons de bois peuvent témoigner d’une ancienne activité fluviale.
Clairement le patelin a connu des jours meilleurs : les maisons n’ont pas vu un coup de peinture depuis des années, les rues ne sont pas pavées et les gens ne portent pas toujours de chaussures…
Malgré cela, les rues sont animées : on y voit beaucoup de gamins, qui n’auraient pas dépareillé dans Tom Sawyer) courir dans tous le sens (les adultes sont nettement plus flegmatiques), tandis que les passants se dirigent, sans hâte aucune, vers leur destination. Fumant leur pipe, les vieillards se balancent sur leur rocking-chair, situées sous les pergolas d’où ils regardent le monde.
L’arrivée des PJs en voiture automobile ne semble pas susciter de mouvement particulier.
Lorsque les PJs entrent dans le troquet local pour y prendre la température du patelin (en gros : lourde, moite et étouffante…) il y tombent en plein duel de dominos mené sous le regard attentif d’une douzaine de témoins.
L’hostellerie en question est le Cavalier rouge (en français dans le texte). Lorsque les PJs demandent à boire, le patron (Henri Léprée) leur sert une espèce de tord-boyaux tiède. C’est Angus qui manque de faire un esclandre en demandant quelque chose de plus "frais".
Ce méprenant sur le sens du mot "frais", Henri les conduit, d’un pas pachydermique, à travers les rues vers un jardin où une vingtaine d’habitants du cru s’affairent autour d’un énorme alambic ou bouillonne à force de vapeurs suspectes quelque improbable mixture…
Au passage, l’un de nos joyeux bouilleurs de cru n’est autre que Bert LaBouef, le shérif de Coude, qui en voyant les PJs croit avoir affaire à des agents fédéraux et affirme que l’installation est légale car appartenant au pharmacien de Coude, Charles Beaubois (qui est présent et l’alambic est bien sur son terrain), dans un but de production strictement médical…
Les PJs le détrompent vite et se font passer pour des journalistes new-yorkais à la recherche de pittoresque pour leurs articles.
Dès lors la glace se brise et les villageois font bon accueil aux PJs, d’autant qu’Angus parvient à avaler sans défaillir le tord-boyaux local tout juste distillé ("un peu jeune", de l’avis général), ce qui lui confère un respect général et immédiat.
Les habitants de Coude ne sont pas antipathiques, juste un peu rustiques, et surtout très pauvres (l’alcool maison est revendu à la Nouvelle-Orléans, c’est leur seule source de revenus un peu conséquente…). En évitant de les prendre de haut les PJ peuvent vite sympathiser, lorsque Angus remarque une exception dans le paysage :
Au bout de la rue, un homme les observe. En particulier Amelia qu’il foudroie littéralement du regard. Avec ses petites lunettes rondes, son front dégarni, sa large carrure et sa barbe de quaker, l’homme n’a pourtant pas l’air d’un étranger.
De fait, Angus l’interpelle et, bien forcé, il se fait connaître : il se nomme Frédéric Lapierre, il est l’instituteur à Coude. Il comprend assez vite que les PJs sont là pour une bonne, une très bonne raison et les invite à le suivre.
Les guidant vers son école (une maison simple, dotée d’un rez-de-chaussée et d’une chambre sous les combles) il les fait entrer dans la remise / bibliothèque qui lui sert de bureau.
L’ambiance est tendue : Visiblement il veut savoir qui sont les PJs et ce qu’ils viennent faire à Coude. De leur côté les PJs n’apprécient pas d’être ainsi sondés et sentent bien que l’individu a quelque idée précise en tête…
La conversation tourne très vite autour du Centre de cure sélène, Frédéric leur apprend assez vite que le centre a mauvaise réputation chez les habitants, mais essentiellement parce que ses occupantes préfèrent se fournir à la Nouvelle-Orléans…
Et puis, la ferme a un "passé"... rien de précis, mais une sale réputation (des coups de malchance répétés : accidents nombreux, incendies ou glissements de terrain, maladies du bétail un peu trop fréquentes, des gens qui mourraient jeunes… etc). Son dernier propriétaire, Charles Ledroit, l'a vendue pour une bouchée de pain et est parti "à la ville" (à la Nouvelle-Orléans) où il travaille…
Imperceptiblement, le récit de Frédéric Lapierre glisse vers le légendaire. Celui-ci a en effet consigné dans des cahiers d’écolier des nombreuses légendes recueillies auprès des peuples indiens qui ont occupé le bassin du Mississippi depuis des millénaires. L’une d’entre elles fait référence à des temps très (très !!) reculés lorsqu’un gigantesque bataille eut lieu entre un monstre appelé le "Dévoreur sans fin" et les "Fils du Loup" aidés de "Ceux-qui-rampent-sur-la-Terre-Mère".
Selon la légende, le "Dévoreur sans fin" fut vaincu et enterré sur un lieu qui se trouve être l’endroit où se dresse actuellement le Centre de Cure Sélène…
Curieuse histoire, mais récemment les PJs ont déjà eu un drôle de contact avec le surnaturel en rencontrant un "zombi" lors de leur précédente aventure (cf. scénario "L'or, la myrrhe et l'encens") et Angus trouve dans ce récit un échos à la terrifiante sensation qui fut la sienne lorsqu’il visitait les lieux.
Incidemment, les PJs mentionnent le nom de "Monsieur Léon", un Sorcier Noir rencontré lors de leur précédente aventure (cf. scénario "L'or, la myrrhe et l'encens"). Visiblement, Frédéric en a entendu parler et met les PJs en garde, ils se sont faits un ennemi mortel.
Par ailleurs, les Ps exposent à Frédéric les vraies raisoin de leur venuer : le probable meurtre d’Emily par son fils de 4 ans, également empoisonné dans des circonstances mystérieuses…
A ce récit, Frédéric semble abasourdi. Il laisse entendre que la Colline est responsable de l’état de William et est surtout abattu. En effet, "on" (mais qui ?) l’avait chargé de surveiller la colline et de guetter un éventuel "réveil" du "Dévoreur sans fin". Il n’avait rien remarqué et est effondré de voir que ce sont des détectives New-yorkais qui attirent son attention sur la situation dangereuse créée par la présence du Centre Sélène…
Une bonne nouvelle, toutefois : Frédéric a déjà vu la fameuse "Femme en noir", soupçonnée de l’empoisonnement de William (quoi qu’il ait pu être par ailleurs…) : elle se trouvait à Coude moins de deux moins auparavant. Elle s’était faite remarquer en traitant de "gourgandine" (sic!) une employée du Cavalier rouge qui se maquillait. Elle a ensuite provoqué une rixe sur la voie publique avec Isabella Estarriès du Centre Sélène qui passait à Coude. C’est suite à cela qu’elle s’est faite embarquer par Bert LaBouef, le shérif de Coude, qui a pris son identité avant de l’expulser le lendemain par le navire qui assure la liaison avec la Nouvelle-Orléans 2 fois par mois.…
Notre mystérieuse inconnue se nomme Victoria Johanson. Elle est d’ailleurs plus jeune que son apparence le laisse penser (29 ans, mais en parait 40…), et elle portait sur elle, entre autres, une Bible, un chapelet, une bouteille d’eau de Cologne et… un couteau de boucher. Une énigme trouve donc un élément de réponse grâce au simple cahier d’écolier fort défraîchit servant de registre des arrestations au Shérif de Coude.
Enfoncés le FBI et la Pinkerton…
Dernier point : Frédéric demande à examiner les Colt Police modèle 1862 portés par Amelia. Il semble que la présence des balles en argent massif le dérange (ce qui explique pourquoi il l’a considérée avec tant d’hostilité).
BON, MAIS ALORS, ON FAIT QUOI?
A ce stade, les PJs ont trouvé à peu près tout ce qu’ils cherchaient, à savoir :
- La vraie cause de la mort d’Emily et le nom de son meurtrier (William, un garçon vraisemblablement possédé par le "Dévoreur sans fin").
- L’identité de la meurtrière de William (Victoria Johanson), dont on ignore à peu près tout, si ce n’est qu’elle est folle à lier…
- La cause du mal : une créature très ancienne et malfaisante, nommée le "Dévoreur sans fin", qui dort sous la Colline, mais semble en phase de réveil.
- La cause de ce réveil : l’activité du Centre Sélène et la présence de Mme Isthar dont les dons médiuminiques (latents mais réels) semblent stimuler involontairement le réveil du monstre.
Selon Frédéric, attaquer de front la créature serait une erreur, car cela signifierait d’entrer en contact avec elle et pourrait, au contraire, précipiter son réveil.
Le plus simple est encore de convaincre Mme Isthar de quitter les lieux, car une fois la ferme vidée de toute présence la créature replongera dans sa torpeur.
De fait, la solution, très simple dans son principe, vient d’Amelia : Puisque Grand-Père Matthews veut le nom de la meurtrière, elle accepte de le lui communiquer, à condition qu’il rachète le Centre Sélène à n’importe quel prix, en rase les installations et interdise toute occupation…
A sa grande surprise, F. C. Matthews accepte sans rechigner sa proposition, et moins d’une semaine plus tard, un mystérieux acheteur lui rachète le terrain du Centre pour une somme rondelette. Les fonds ainsi récoltés lui permettent d’ouvrir un nouveau centre de thalassothérapie ultramoderne en Floride…
CONLUSION
Il n'y a pas grand-chose à gagner dans cette aventure, sinon la satisfaction d'un travail bien fait, l’identification d'une meurtrière folle à lier qui est désormais recherchée activement et le renvoi au sommeil d’une créature malfaisante à la puissance monstrueuse Ce n’est déjà pas mal…
A cela s’ajoutent :
- Un nouveau contact dans les milieux du surnaturel, en la personne de Frédéric Lapierre, 40 ans, instituteur de Coude et investigateur fort bien renseigné dans l’occulte …
- La considération (car le mot "recon-naissance" ne figure pas dans son univers mental) de Franck Charles Matthews pour avoir vengé un des membres du "Clan" familial. Nul doute qu’il saura se souvenir des PJs à l’avenir, d’autant qu’il semble un peu trop bien renseigné dans certains domaines…
FIN (de l’épisode).