[CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

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le Zakhan Noir
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[CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Hello
Bon, j'ai lancé cette mini campagne du livre de base de la 6è edition... J'espère qu'on la terminera... si il y a des amateurs (gardiens forcément sinon passez votre chemin), je vous la conseille, je la trouve vraiment pas mal

Bon, j'en ai chié pour le CR mais je l'ai terminé... Il est quand même super long donc je vais faire ça en trois posts, pour le rendre un poil plus digeste

PS: les PJ sont des pré-tirés mis à disposition par un utilisateur du site TOC, qui a déjà joué la campagne... Merci à lui.


Un Phare dans la Nuit


Liverpool, 6 novembre 1922

Journal de bord du capitaine Sappletown

En cette matinée pluvieuse sur le quai 11-B, j’embarque à bord du Mary’s Galloway un groupe de passagers plutôt hétéroclite :

Roger Walras, une sorte d’huissier/détective bancaire à la mâchoire un peu trop carrée pour ce type d’emploi…

Célestin Lemarchand, un dandy français parfumé aux manières cyniques voire méprisantes, mais pas assez pour que j’oublie les livres qui semblent couler à l’infini depuis sa bourse…

Rochus Bradley, un jeune étudiant passionné par la civilisation celte, toujours perdu dans ses bouquins

Keane O’ Brian, un vieux médecin urgentiste à la retraite, mais qui a gardé le bras solide lorsqu’il s’agit de lever le coude (et je dois avouer que son whisky irlandais 12 ans d’âge prouve qu’il a un certain goût en la matière)

Lewis Burton, l’écrivain à succès des romans d’aventure « Licky Narsson ». Apparemment, il part trouver l’inspiration à Dublin. Il serait justement bien inspiré de ne pas faire sa chochotte pour un oui ou pour un non…

•Ce n’est pas la journaliste qui le suit comme une mouche, Kirsten Mc Luhan, qui me contredira. Cette jolie poupée supporte les sautes d’humeur de Môssieu l’artiste mais je sens bien que ce n’est qu’une façade… Elle a sûrement envie que ce reportage se termine la pauvre petite


Le voyage doit durer deux jours jusqu’à Dublin. Nous ferons escale à Bryn Celli Ddu, sur l’île d’Anglesey. Au retour, je m’arrêterai à Douglas, sur l’île de Man, pour vendre des peaux de mouton, mais je doute que mes passagers fassent autant de chemin..


Une poignée d’heures après notre départ, alors que chacun se pavane devant les autres pour se présenter (à ce jeu-là le Frenchie est très fort…) ou tente de conserver un semblant de dignité à cause du mal de mer, j’ai des picotements désagréables le long de la colonne…la mer est calme - enfin… pas trop agitée quoi - mais je pressens un grain, et pas un petit.

Sur ce coup-là, j’aurais vraiment aimé me tromper. Un vent puissant a soudain balayé la mer, soulevant des vagues de plus en plus hautes. Le Mary’s Galloway s’est retrouvé ballotté dans tous les sens, et le pont glissant et rempli de lourdes est devenu dangereux. Les passagers se sont vite réfugiés dans leurs cabines, à part l’huissier (jusqu’à ce qu’il abdique pour une pauvre cheville foulé… putain de terriens) et l’étudiant qui m’ont aidé à arrimer tout ce qui se trimballait sur le pont.
La pluie, le vent, les rouleaux de vague, la situation a vite empiré… même en criant il devenait difficile de s’entendre dans ce vacarme. J’ai vite compris que mon bateau courait d’énormes risques et me suis donc résigné à mettre le cap sur le phare pour m’y abriter.
Cela n’a pas été de tout repos, l’un de ces crétins d’eau douce, se prenant pour un vrai marin m’ayant envoyé droit sur un récif en voulant que je vire à bâbord ! Heureusement, mon Diesel est plus solide que le Titanic, hé hé et les griffures sur le flanc ne l’ont pas coulé. Nous avons vu un chalutier nous précéder dans la crique de quelques minutes, et à l’entrée de celle-ci, les débris d’une chaloupe, le White Flower. Mes passagers ont cru voir l’ombre de formes humanoïdes nager sous l’eau… il faudra leur apprendre qu’il y a pas mal de phoques en mer d’Irlande…

Nous nous arrimons enfin sur le quai, où nous assistons à une scène malheureuse : un pêcheur, la cinquantaine, sûrement du coin, est agenouillé auprès d’un homme âgé également, qui git inconscient avec une sérieuse blessure à la tempe… Il saigne abondamment et notre médecin irlandais fait une moue significative en l’observant. N’ayant pas trop le temps de nous attarder sous ce déluge, nous embarquons le blessé. En chemin vers le phare, nous apprenons que le pêcheur avait embarqué ce type, un certain Docteur Robert Stoner, biologiste, qui voulait se rendre à Liverpool (depuis le village de Bryn Celli Ddu), et que la tempête soudaine les avait forcés à se réfugier ici. Le pauvre aurait ensuite glissé sur l’escalier détrempé, et aurait basculé la tête la première, se heurtant violemment la tempe sur un coin de marche…

A l’intérieur du phare (du bâtiment érigé contre la tour plus exactement), Georges Farlan nous accueille. J’ai déjà vu quelque fois ce pauvre bougre, mais il me surprend toujours : voûté, ridé, les cheveux filasse, il passe son temps à ruminer, maugréer, boire et répéter toujours les mêmes vers d’un poète certainement torturé… :

« Parfois je me tiens sur le rivage
Où les peines versent leurs émanations
Les aux agitées soupirent et crient
Murmurant des secrets qu’elles n’osent prononcer »


Mgrbll, faudrait savoir mon vieux Georges, les eaux, elles murmurent ou elles crient ?? Enfin bref…

On installe le blessé dans un lit de fortune, et on le laisse aux bons soins du médecin… et du pêcheur, un certain Irwin Winfall. Il est grand temps de se jeter sur la terrine de Farlan et de lever un demi-verre à sa santé…
Le jeune Bradley fait d’ailleurs l’erreur de boire une rasade un peu trop généreuse… oubliant que les boissons locales ont rarement la consistance de la limonade !

Dehors, la tempête ne faiblit pas, et semble partie pour durer toute la nuit…
L’ambiance et le moral se dégradent doucement : le blessé est agonisant ; le vent qui s’engouffre dans l’atelier fait claquer certaines portes et imite d’atroces hurlements ; des ombres malsaines se forment sur les murs, l’humidité nous frigorifie et Farlan répète en boucle ses maudits vers, par le trident de Neptune !!

Par deux fois, selon notre médecin irlandais, le docteur Stoner est provisoirement sorti de sa brume pour livrer des propos étranges, décousus, à propos d’un masque, d’une confrérie, de créatures… ainsi que d’une certaine Margaret Sannyhoc… Rien de bien tangible et impossible à clarifier puisqu’il ne pouvait lutter longtemps contre l’inconscience…
Mû par je en sais quelle conscience professionnelle, le docteur avait également fouillé les affaires du pauvre homme, révélant un croquis d’un conque géante gravée de symboles et d’une carte de la Mer d’Irlande sur laquelle était dessinée un étoile à 5 branches (« un pentacle » m’a-t-on dit dont l’une des pointes désignait Bryn Celli Ddu et le centre, l’île de Man).
Bradley nous précisera d’ailleurs que les sites pointés par l’étoile sont tous des cercles de pierre levée celtes…

Le fringant écrivain-aventurier de mes deux est souffrant, et la petite journaliste est vraiment apeurée ! Elle nous rejoint d’ailleurs en criant, persuadée d’avoir vu un homme se promener parmi les rochers de l’îlot, sans avoir pu distinguer son visage…
Tout le monde choisit de croire qu’elle s’est laissée emporter par sa frayeur, que la tempête est trop forte (et qu’aucun bateau n’a accosté) C’est assez logique mais ça arrange vraiment tout le monde de ne pas mettre le nez dehors en même temps…

Le temps passe, la nuit s’installe, et je dois avouer que le ragoût servi par Farlan a été apprécié, nos estomacs étant ravis de nous faire oublier le spectacle offert par la tempête.

Le pêcheur me semblait louche, toujours à scruter nos réactions à ses paroles. Là encore, je maudis mon intuition : quand nous sommes montés nous enquérir de l’état de Stoner et offrir à manger à notre médecin, nous avons eu affaire à lui : Walras s’est en effet retrouvé braqué par un antique pistolet de marine, munie d’une petite baïonnette. O’Brian était enfermé dans le placard

Je n’ai pas tout suivi car je suis monté avec les autres quand j’ai entendu du grabuge, mais Irwin (le pêcheur donc) a fini par pointer le pistolet sur la gorge d’O’Brian et a menacé de l’exécuter si nous ne le laissions pas s’enfuir…
On a essayé de parlementer, de gagner du temps, mais il était nerveux, parlait d’un masque, d’une victoire de la confrérie…
Des coups sourds et puissants, comme du métal contre de la pierre, ont retenti depuis les profondeurs du phare…
Le dandy français a alors tenté un coup de poker magistral mais très risqué : faire croire à Irwin que son fameux masque était sur la commode derrière lui…
Un bluff aussi énorme n’aurait jamais dû passer, mais un peu épuisé nerveusement, il n’a pas pu s’empêcher de jeter un petit coup d’œil, ce qui a permis à Walras de se jeter sur lui. Nous l’avons vite aidé et il a pu s’emparer de l’arme à feu. Alors qu’Irwin se jetait sur lui pour la reprendre, Walras appuyé sur la détente… pour rien. L’arme n’était pas chargée !
Du coup, notre nombre a fait la différence et le pêcheur s’est retrouvé ligoté comme un gros thon rouge sur le lit.
Les coups sourds et réguliers se poursuivaient pendant ce temps, et ont graduellement illuminé le visage d’Irwin d’un éclat torve et malsain :
« Notre destin est en marche, vous n’y pourrez rien ! Rejoignez-nous, prosternez-vous devant le Grand Masque, c’est votre unique chance de salut ! »

Un dernier coup, plus puissant a retenti… Puis une mélopée s’est insinuée à travers la pierre jusqu’aux étages, une mélopée portée par le vent, qui a pris de l’ampleur, devenant un chant, une complainte d’une voix, puis deux, dix, une multitude de voix mêlant cris et chants, un milliers de gorges laissant libre cours à leur terreur, leur désespoir. Résonnant dans toutes les pièces, vrillant nos cerveaux, elle a semblé duré des heures, nous clouant au sol, presque paralysés, les mains collées aux oreilles.
Expliquer une blague, c'est comme disséquer une grenouille. On comprend le mécanisme, mais elle n'y survit pas (Mark Twain, un peu modifié)
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le Zakhan Noir
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

O’Brian, faisant preuve d’une froideur inquiétante, a proposé d’obliger le pêcheur captif à voire du whisky à l’entonnoir jusqu’à ce qu’il parle…
Ce ne fut pas très concluant : avant de sombrer dans un sommeil sans rêves, il a balbutié en ricanant : « Ha ha, vous ne pouvez plus rien… Barry et Brandon ont fait ce qu’il fallait, la Confrérie a brisé la magie des vieux celtes… le Masque, nous aurons le masque ! Nous célébrerons les Dieux de l’Océan !»
La situation était critique : dehors, la tempête malmenait de plus en plus l’îlot, et les deux bateaux amarrés au quai.
En bousculant un peu Farlan qui continuait à psalmodier son quatrain favori, nous l’avons amené à nous révéler ce qu’il aurait pu nous dire plus tôt, le bougre d’espadon moisi, à savoir qu’une vieille crypte, (un réseau de galeries en fait) existait sous le phare et s’ouvrait sur la mer, protégée par une grande dalle portant le signe traditionnel de l’Ile de Man, le triskel
On pouvait y accéder par une porte puis un escalier au rez de chaussée

Nous avons délibéré entre nous pour savoir ce qu’il convenait de faire, sachant que cette histoire de masque commençait à nous obséder… Quel est cet objet ? Pourquoi le mourant, le pêcheur et sa « confrérie » en ont-ils tellement besoin ? Est-ce liée à cette tempête monstrueuse qui semble ne jamais finir ? Nous ne pouvons fuir dans cette tourmente, et attendre indéfiniment nous ronge, il est temps de savoir de quoi il retourne. Armés du gourdin de Farlan et de quelques couteaux de cuisine ébréchés, nous nous équipons de lanternes et descendons dans la crypte

Au bas des marches glissantes, nous découvrons une dalle brisée qui se dressait contre une ouverture dans la paroi : on devine le symbole du triskel sur les morceaux. L’arme du crime, une lourde masse, repose entre les débris.

Peu rassurés, nous nous engageons dans les galeries obscures ; sans nos lanternes nous serions aussi aveugles que des tonneaux de cidre…
L’odeur de varech s’épaissit à mesure que nous progressons, l’eau suinte des murs, des flaques de plus en plus nombreuses s’étalent sur le sol qui s’incurve en pente douce.
Nous entendons le vent marin au loin, les embruns parviennent jusqu’à nous… L’humidité s’infiltre partout, l’eau monte progressivement, charriant un peu de boue, striée de temps à autres par des vers de vase ; d’immondes cloportes blanchâtres rampent sur les murs.
Les chemins sont multiples, certaines galeries complètement inondées…
Au détour de l’une d’elles, nous apercevons un corps recroquevillé sur lui-même, un homme roux imposant portant un masque en cuir de poisson (le même que nous avons récupéré en fouillant Irwin) : hagard, bavant, il ne cesse de répéter : « la créature… la créature… ». il a perdu la raison, et nous ne nous attardons pas sur son sort…
Plus loin, sur un petit promontoire, nous découvrons son complice, moins chanceux (ça reste à prouver). Il git en effet, dans un mélange d’eau et de sang, la gorge arrachée par des crocs ou des griffes démesurées)
Toutes ces visions macabres font régner un silence pesant sur notre groupe… nous continuons, mais d’un pas bien plus résigné que conquérant… nos mains se crispent sur nos armes de fortune (si au moins j’avais emporté mon vieux harpon de baleinier !).
La tempête doit redoubler dehors car l’eau monte lentement… par endroits, nous en avons jusqu’aux cuisses
Nous aboutissons enfin dans une vaste caverne d’où émane une lueur pâle : elle provient d’un masque posé sur un autel!

Devant l’autel, une longue structure de pierre, longue de 3 mètres , très fine (une vingtaine de cm de diamètre environ) et percée d’un trou à une extrémité gît, brisée… Des lanières attachées au trou suggèrent qu’elle était suspendue quelque part

Derrière, une étendue d’eau sombre forme une sorte d’étang dans une galerie descendante qui semble vite s’évaser vers la mer, si l’on en croit les mugissements du vent et la houle.
Sous nos semelles, nous sentons comme des coquilles d’œuf brisées… Le jeune Bradley farfouille d’une main et repêche une sorte de fragment de coquillage, de conque selon moi… Le sol en est parsemé…
On y décèle des inscriptions étranges, stylisées, limite géométriques.
A la lueur des lanternes, nous nous apercevons que les murs accueillent également une forme d’art rituel : des hommes étranges, voûtés, palmés, entourés de liserés ondulés, vénèrent un de leur semblables au gabarit cinq à six fois supérieur…


Ne tenant pas plus que ça à demeurer dans cet endroit malsain, nous reportons notre attention sur ce fameux masque qui attire tant les convoitises et pour lequel le Dr Stoner git entre la vie et la mort. Walras s’approche et s’empare : il semble constitué entièrement de nacre, habité d’une lumière changeante et bourdonnante…et les trous pour les yeux sont situés largement sur les côtés ! Le détective blêmit en étudiant les détails de l’objet
A cet instant, le temps s’est arrêté… Heureux les aveugles et les sourds car ce que j’ai vu et entendu souillera pour toujours ma mémoire comme un torrent d’algues poisseuses et vénéneuses…

Dans un fracas liquide, une créature a subitement émergé de la mare derrière l’autel . Elle ressemblait vaguement à un homme, mais aucun homme, même au cirque, ne dispose d’une crête dorsale reptilienne, de crocs tranchants taillés comme ceux des requins, d’une peau grisâtre, de yeux jaunâtres et aussi écartés que ceux du Masque.
Nul homme ne dispose d’écailles en abondance sur le torse, de mains palmées, de branchies sanglantes à la base du cou
Et qui oserait prétendre pousser des hurlements glaireux, des bruits abominables comme ceux que nous avons entendu ?
A peine avons-nous noté que cette chose possédait une sorte d’épée en granit garnie de coraux qu’elle lance un harpon en os, en direction de Lemarchand !
Celui-ci se laisse tomber par réflexe et évite le projectile.
Au même moment, un grondement retentit, mélange sordide entre un feulement gigantesque et le son d’un cor rouillé. Des rouleaux de vagues déferlent dans la caverne, la mer elle-même semble nous assaillir.
Walras se redresse.
La créature avance vers lui.
Sans nous consulter, nous cédons tous à la panique et nous ruons en pataugeant sur le chemin dont nous venons…
Je me retourne et laisse échapper un cri de joie en me rendant compte que la créature semble disposer de jambes atrophiées et que son pas lourd et hésitant n’est pas adapté à la poursuite !

Mais l’eau monte rapidement… Des galeries inondées jaillissent des flots en furie, nous ralentissant. Très vite, O’ Brian appelle à l’aide… le vieux médecin pèse ses 72 ans et s’effondre dans l’eau.
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Walras et moi le tirons de là et l’aidons de notre mieux

A gauche, à droite, nous ne sommes plus si sûrs du chemin… nous fuyons à l’instinct, et ça semble ne jamais finir !
Un autre cri résonne sur la gauche : une seconde créature ! L’eau nous arrive bientôt à la poitrine, et monte toujours, nous continuons en nageant…
Lemarchand, pris d’une idée folle, récupère le Masque et se l’applique sur le visage… Peine perdue, ainsi qu’un temps précieux !
La salle de la dalle, enfin ! L’escalier est en vue ! Mais des lignes strient l’eau derrière nous : ils sont sur nos talons, et nagent apparemment bien plus vite qu’ils ne marchent !
Je laisse Walras emmener O’ Brian en haut des marches…
Derrière, ça se complique : la créature émerge à quelques encablures de Bradley et Lemarchand. Ce dernier s’interpose et se fait transpercer profondément la cuisse par la lame de granit… Quand celle-ci se retire, du sang coule à profusion. S’adossant à une paroi, devinant certainement son destin funeste, il trouve alors la force de nous lancer le masque pour qu’il ne soit pas récupéré par les créatures. Geste noble qui honorera sa mémoire…

Bradley n’en mène pas large, il tente d’atteindre la porte avec un bond dans l’eau désespéré… il nous rate de peu ! Je m’avance un peu pour lui porter secours, mais le « triton » est sur lui ! Il va le déchirer de ses griffes !
Non ! Il pousse un hurlement ignoble : Lemarchand, décidément héroïque, vient de s’agripper à lui et de lui planter son couteau dans le dos !
Mais c’en est trop pour lui, toujours victime de son hémorragie, il s’affaisse ensuite dans l’eau. Et le coup, qui aurait sans doute paralysé un homme, n’a fait qu’enrager un peu plus notre ennemi. Nous pourrions revenir, mais nous n’osons pas… je m’en veux encore, mais seul le Français a fait preuve de courage aujourd’hui. Bradley profite juste du répit pour sortir à son tour
Un second sort de l’eau et les deux ensemble saisissent Lemarchand, leurs mâchoires lui arrachent des morceaux de gorge et de membres !!!
Horrifiés, mais aiguillés par l’instinct de survie, nous détalons.
Détrempés, nous constatons que nous sommes au plus mal : la tempête fouette le phare de toutes parts, et l’eau commence déjà à envahir le premier niveau ! Venant de la crypte, de l’ilôt, l’eau défie toute force qui se oserait se mettre en travers de son chemin ! Divers débris jonchent l’atelier principal.
Nous grimpons à l’étage, emmenons avec nous Farlan, Burton et Mc Luhan, ainsi que le docteur Stoner, toujours dans le coma. Très vite, l’évidence s’impose : l’eau va tout submerger. Notre dernier espoir : le sommet du phare, la salle de la lampe ! Prenant à la hâte quelques provisions, nous montons jusqu’au sommet et accédons au dernier niveau par la trappe.
Nous nous rendons compte que nous condamnons Irwin, le pêcheur de la « confrérie », toujours attaché au premier étage à une mort certaine et plutôt moche, mais l’eau monte tellement vite que nous ne voulons pas prendre le moindre risque…
Barricadés dans notre salle, avec une vue imprenable sur la tempête dehors (enfin, par saccades, quand nous suivons du regard la lumière du phare), nous attendons, priant pour oublier ces bruits qui résonnent de partout : le vent, la mer, les portes arrachées, les meubles qui s’effondrent, les grognements de ces hommes-tritons , comment les appeler autrement ?
Ce que nous redoutions se produit d’ailleurs : ils ont retrouvé notre trace et nous les entendons progresser dans l’escalier en colimaçon. L’eau finira par arriver, mais eux sont déjà là ! Et des coups résonnent sous la trappe, arrachant plusieurs cris à la journaliste
Que faire ? Walras propose de détruire le masque, O’Brian rétorque que Stoner, qui vient d’ailleurs de rendre l’âme, comme nous pouvions le craindre depuis le début, avait précisé le contraire justement…

Les coups redoublent, le bois se fendille ! Une lame apparaît entre deux planches ! Pour gagner du temps, nous poussons une commode renversée sur la trappe… mais ils ne s’arrêtn pas pour autant !
Blam, blam, blam !
Walras a raison, nous devrions détruire le masque… puis mourir sans doute, piégés comme des rats
A l’horizon, une lueur nous parvient… un rayon de soleil. Lentement, l’astre se dévoile, véritable bouée mentale dans cet océan d’amertume, de cadavres, de ténèbres…

L’aube se lève, et nous offre, au passage de la lumière du phare, une vision monstrueuse : derrière une falaise, à moitié caché par les houles, une créature apparaît… semblables aux atrocités qui nos poursuivent, mais gigantesque ! Les flots en furie qui l’entourent semblent concentrer toute la colère de l’océan...
Paralysés, nous attendons que la lumière revienne à cet endroit… mais plus rien !
Dans la foulée, les vagues s’affaissent, refluent, le vent baisse… et les coups sous la trappe cessent !
Nous attendons une bonne heure, riant presque sous le soleil matinal, heureux d’être en vie… La tempête a complètement disparu…
Quand nous osons sortir, nous constatons que le phare est ravagé, mais les eaux se sont retirées (enfin, progressivement, on en a jusqu’à la taille !)

En sortant, nous constatons que le chalutier d’Irwin a coulé mais le Mary’s Galloway a tenu bon, aha aha aha c’est normal, c’est mon bateau ! Plus aucune trace des créatures… et nous n’irons pas vérifier dans la crypte !!!

La coque est quand même foutrement amochée, mais pas par la tempête, car il y a des traces de griffe tout du long ! Ces saletés de tritons ont voulu couler mon bébé !

Tout le monde embarque, même Farlan le gardien, car sa réserve d’eau potable a été anéantie. Nous pouvons tirer jusqu’à Bryn Celli Ddu sur une mer désormais calme, mais il faudra impérativement faire des réparations là-bas…

Détrempés, assoiffés, terrifiés, mais en vie, nous embarquons pour le village… avec une pensée émue pour Célestin Lemarchand, qui flotte au paradis des dandys…

Ah oui, au fait, pas de trace d’Irwin… mais l’eau était teintée de sang là où nous l’avons laissé…
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Allez, voici la suite, le 2è volet de la campagne, non terminé.
Le CR a été rédigé par le joueur interprétant le vieux médecin urgentiste irlandais, Keane O'Brian


Les mots me manquent quand je pense aux récentes horreurs vécues lors de ces sombres journées où le sort semble s’être acharné de toute son horrible force sur mes pauvres compagnons d’infortune et moi-même. Et si je prends aujourd’hui le temps de consigner dans ces quelques notes les derniers événements auxquels nous avons été confrontés (alors que nous sommes encore plongés en pleine tourmente), c’est moins pour conserver une trace de nos mésaventures que pour tenter d’y raccrocher ma raison que je sens parfois vacillante…

Au petit matin qui suivit la nuit d’horreur que nous avions passé dans le phare du gardien Farlan, alors que les rayons d’une pâle aurore peinaient encore à dissiper les ténèbres que nous avions entre-aperçus, notre petite troupe n’avait qu’une hâte : fuir au plus vite cet endroit encore souillé d’une présence maléfique et d’odieux souvenirs. Sans même oser redescendre dans la crypte afin d’y rechercher le corps du pauvre Français pour lui donner une sépulture décente (mais restait-il seulement quelque chose de son corps ?), nous nous dépêchions d’embarquer sur le Mary’s Galloway pour nous éloigner au plus vite de ce lieu malfaisant. Mais en apercevant de profondes marques de griffures qui lacéraient la coque de son bateau, le capitaine Sappletown nous prévient d’un ton sombre que si nous pouvions prendre la mer, il nous faudrait impérativement nous arrêter à Bryn Celli Ddu pour y entreprendre des réparations indispensables. Nous étions alors loin de nous douter des nouveaux drames qui nous attendaient là-bas…

Le navire quitta enfin de l’île du phare : accoudé au bastingage le gardien Farlan ne cessait de fixer d’un regard perdu sa demeure dévastée par les intempéries de la veille tout en maugréant une fois de plus sa sombre litanie… Après nous être assuré que le capitaine n’avait nul besoin de notre aide, mes compagnons et moi-même décidions de regagner nos cabines pour y prendre un peu de repos. J’en profitais pour administrer quelques soins, puis recommander quelques heures de somme récupérateur à tout le monde. Je dois cependant bien avouer que pour ma part je ne trouvais point le sommeil rapidement, des visions cauchemardesques terribles se mettant à danser devant mes yeux dès que je les refermais. Je ne pus finalement m’assoupir qu’après avoir pris quelques rasades de mon irish whisky (dieu merci, il me restait encore de mon Loch Lomond 12 ans d’âge). Mais même ainsi mon sommeil fût souvent troublé par les râles de Roger Walras avec qui je partageais une cabine et qui semblait lui aussi en proie à de violents cauchemars. Le bruit de la corne du Mary’s Galloway acheva de me réveiller tout à fait : nous étions sur le point d’accoster dans le port de Bryn Celli Ddu.

En sortant sur le pont du Mary’s Galloway pour aider le capitaine à la manœuvre, nous eumes l’occasion de constater que la tempête n’avait pas épargné le village : les quelques embarcations présentes dans le port présentaient de sérieuses avaries (mât brisés et coques abimées…) et à terre des bâtisses semblaient avoir été mises à mal par les intempéries (tuiles arrachées aux toitures, vitres brisées, rues détrempées)… Si Bryn Celli Ddu ne devait sans doute pas avoir d’ordinaire un aspect des plus accueillants, l’image de désolation qui nous frappa tous nous aurait surement incités à ne pas nous y arrêter si nous n’y avions été contraints.

Avant de débarquer, le capitaine Sappletown nous déclara qu’il comptait se rendre chez le bourgmestre en compagnie de Georges Farlan pour signaler les dégâts subis par le phare, la mort du docteur Stoner, ainsi que la perdition du bateau Bad Luck et de la chaloupe White Flower au sujet desquels il essaierait d’en apprendre un peu plus… Avant de nous quitter le brave homme griffonna un plan sommaire du village et nous indiqua comment se rendre à la pension Crampton pour nous restaurer et prendre des chambres où se reposer et passer la nuit : selon ses estimations, il était en effet probable que les réparations nous immobilise quelques temps…

C’est donc autour de 10 heures que nous mettons enfin pied à terre dans les ruelles de Bryn Celli Ddu pour nous diriger vers la pension Crampton. L’aspect et l’état du village contribue à donner une sensation de malaise, renforcée par le fait que nous ne croisons pas beaucoup d’habitants, et en particulier aucun enfant (comme cela est pourtant fréquent dans les rues avoisinantes les petits ports du Pays de Galles)… Les rares habitants que nous croisons semblent d’ailleurs soucieux d’éviter tout contact avec nous, mais nous sentons pourtant leurs regards peser sur notre dos… Les portes semblent se refermer à l’approche de notre passage, et chose étrange et quelque peu sordide, je remarque qu’une dépouille de corneille est clouée sur l’une d’entre elles…

Nous arrivons enfin à la pension Crampton, où notre arrivée est saluée par un silence pesant, le cliquetis des couverts et autres bruits qui accompagnaient quelques instants auparavant le déjeuner des quelques clients présents prenant immédiatement fin à notre entrée. Malgré ce trouble et les regards inquisiteurs que nous sentons converger sur nous, nous nous dirigeons sans nous déconcerter vers la maitresse des lieux, une femme d’une quarantaine d’année qui astique des verres derrière le comptoir : Eléanore Crampton. Celle-ci a du être belle autrefois, mais elle semble à présent usée par les années et la routine quotidienne qui doit remplir son existence. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne se montre guère très accueillante de prime abord, et l’on pourrait se demander si elle est tient réellement à nous compter comme clients, son attitude pouvant même paraitre étrangement hostile. En la mettant au courant des circonstances qui nous amènent chez elle, nous évoquons le nom du Docteur Stoner, et l’hôtesse nous apprend que celui-ci vivait dans une villa éloignée du bourg où il travaillait avec son assistant : une certain John Wendish. Nous essayons bien d’en savoir un peu plus, mais Roger Walras a quelques mots maladroits dont certains marins attablés à proximité prennent ombrage et il s’en faut de peu que la situation ne dégénère, nous obligeant alors à abréger l’échange. Après avoir demandé les tarifs en vigueur, nous optons pour la pension complète et tentons d’obtenir un rabais, mais la mère Crampton est âpre au gain et bien déterminée à ne rien lâcher. A ma surprise Lewis Burton se montre alors grand seigneur et règle la note : peut-être compte il ainsi se faire pardonner sa couardise qui l’a poussé à ne pas nous suivre dans la crypte du phare, à moins qu’il ne cherche encore un moyen pour tenter d’impressionner une fois de plus la petite journaliste qui le suit toujours comme son ombre… Quoi qu’il en soit, son geste ne laisse pas insensible Eléanore Crampton : je crois bien lire de la cupidité dans son regard qui couve la bourse de Burton…

Une fois les questions pécuniaires réglées, nous gagnons à l’étage les 3 chambres que nous avons réservées (Roger Walras et moi, Lewis Burton et Rochus Bradley, Kirsten Mac Luhan occupant quand à elle une chambre seule) pour prendre nos quartiers et déposer nos bagages avant de redescendre dans la salle commune pour le déjeuner. Nous constatons alors que notre hôtesse n’est plus seule : accoudée au comptoir et la tête posée sur ses mains dans une pose coquette, elle est en grande conversation avec un homme assez grand, l’air distingué et bien mis de sa personne, lui-même appuyé dans une pose nonchalante de l’autre côté du bar. Alors qu’elle nous entend approcher, Eléanore Crampton se reprend et se redresse rapidement, mais pas assez vite cependant pour que n’ayons pas eu le temps de surprendre les regards langoureux et les minauderies dont elle gratifiait l’inconnu. Sans doute pour masquer son trouble, elle affecte de reprendre ses activités et nous présente d’une voix neutre l’homme qui se trouve devant nous : John Wendish, l’assistant de feu le docteur Stoner.

Après avoir échangé des présentations rapides et courtoises avec Wendish, nous le mettons au courant de la mort du docteur Stoner et des circonstances étranges dans lesquelles celle-ci est survenu, tout en passant sous silence certains détails qui pourraient l’amener à questionner notre santé mentale. Bien qu’il paraisse surpris de ce que nous lui racontons, il ne semble nullement choqué ni peiné outre-mesure. Désireux d’en apprendre plus sur ses relations avec Stoner, nous essayons de le questionner adroitement, mais le bougre n’est guère loquace. En désespoir de cause nous jetons nos derniers atouts dans la bataille et évoquons les dernières paroles de Stoner sur un masque et une certaine Maragaret Sannyhoc. A peine ai-je fini de mentionner ce nom que j’observe plusieurs réactions : si John Wendish prend un air un peu gêné, c’est surtout dans le regard d’Eléanore Crampton que l’on peut lire de la jalousie et une sorte de haine farouche… Wendish se reprend cependant assez rapidement et prétexte devoir partir tout en bafouillant des excuses : c’est à peine si il nous fournit quelques indications sur l’endroit où se trouve la villa du Docteur Stoner avant de partir assez précipitamment… Nous poursuivons encore quelques minutes la conversation avec la mère Crampton, mais là aussi il n’y a pas grand-chose à en tirer : nous apprenons à peine que la dite Maragaret Sannyhoc se trouve en effet au village, vraisemblablement chez une personne nommée La Vérole qui vit à l’autre extrémité du village. De guerre lasse, nous mettons alors un terme à la conversation pour passer à table et aviser nos actions pour l’après-midi…

Si la mère Crampton se montrait toujours aussi aimable qu’une porte de prison, la nourriture qu’elle nous servit était pour sa part bel et bien digne d’une administration pénitentiaire. Roger Walras en particulier ne put toucher au poisson qui lui fut servi (du hareng, à moins que ca ne soit du cabillaud) et se contenta de fixer son assiette avec un regard hagard. Tout en prenant un café qui tenait plus d’un infâme jus saumâtre (et dans lequel je m’empressais de verser un peu de Loch Lomond pour en relever le gout), nous évoquâmes le programme pour la suite de la journée. Le jeune Rochus Bradley ne parlait que d’aller visiter le site de pierres levées de Bryn Celli Ddu avec une exaltation qui était pourtant loin d’être communicative, mais sans doute ne se rendait il pas compte du manque d’intérêt qui accueillait les déclarations passionnées dont il nous rebattait les oreilles… Il finit tout de même par convaincre Lewis Burton de l’accompagner voir le site de menhirs et autres dolmens, pendant que Roger Walras et moi-même décidions d’aller rencontrer Margaret Sannyhoc chez la Vérole.

Avant de partir, le jeune Rochus Bradley et Lewis Burton demandent à la mère Crampton de leur indiquer où se trouve un commerce dans le village susceptible de leur vendre un peu d’équipement pour leur expédition (bottes et cirés). A tout hasard je demande également à notre hôtesse s’il y a un médecin dans le village, ce à quoi elle me répond qu’un certain Grégor Wenrec fait bien office de rebouteux, mais aux dernières nouvelles celui-ci s’est récemment absenté du village, et Eléanore Crampton n’est pas sûre si il est rentré ou pas. Après avoir obtenu ces quelques renseignements, nous quittons tous la pension Crampton vers nos destinations respectives (Roger et moi vers chez La Vérole, Rochus et Lewis vers le site de pierres levées).
Il est un peu moins de deux heures lorsque Roger et moi traversons le village sans encombre (je remarque tout de même à nouveau des dépouilles d’oiseaux clouées sur quelques portes) pour nous rendre chez la Vérole. Nous recherchons une maison d’apparence modeste isolée à l’ouest du village et parvenons bientôt devant une bâtisse correspondante à la description donnée par la mère Crampton. Nous hésitons quelque peu sur la marche à suivre, quand un cri strident déchire soudain le calme ambiant et nous cloue d’effroi sur place : un cri inhumain de bête blessée, où toute la douleur du monde et l’agonie sont palpables… Le doute n’est pas permis : le cri vient bien de la modeste bicoque et se prolonge avant de s’achever en un lugubre hululement. Roger et moi restons un instant déroutés, ne sachant que faire, quand le cri reprend de plus belle et retentit avec encore plus d’intensité. Cette reprise achève de balayer nos doutes et nous nous précipitons à l’intérieur de la maison vers la source des râles, lesquels m’évoquent confusément quelque chose… A l’intérieur, quelle n’est pas notre surprise devant le tableau surréaliste qui nous attend : au milieu d’un mobilier sinistre et sale, allongée en sueur sur une table, une femme est en train d’accoucher ! Une vieille bonne femme d’une laideur peu commune est penchée sur elle et lui prodigue des conseils et des encouragements, mais l’affaire semble mal engagée. N’écoutant que ma conscience professionnelle, je passe devant Roger (bien que gaillard, celui-ci n’en est pas moins pour l’instant blanc comme un linceul), et me précipite au chevet de la patiente, bousculant au passage la sage-femme pour lui prêter main-forte. Mon pressentiment était fondé et la naissance se présente mal, et je remarque également des anomalies insolites : les eaux du placenta s’apparente étrangement à de l’eau de mer et je dégage même des algues et des autres substances semblables à du varech ! Surprise par mon arrivée la vieille sage-femme m’invective et nous nous y mettons à deux pour extraire le nourrisson que nous parvenons finalement à dégager : le bébé (une fille) est d’une blancheur de nacre étonnante ! J’enveloppe le nouveau-né dans un drap propre et le tend à sa mère (qui l’appelle Amy), et ce n’est que quelques instants plus tard que tout le monde reprend enfin ses esprits… La vieille nous tend alors un cordial qu’elle nous invite à prendre en guise de bienvenue et se présente : il s’agit de la mère Wenrec plus connue sous le nom de La Vérole… Après avoir dégluti sa gnole et fait claquer sa langue (personnellement, je préfère le Loch Lomond), elle engage la conversation et nous apprend que la malheureuse qui vient d’accoucher dans des conditions si extravagantes n’est autre que Margaret Sannyhoc. De fil en aiguille, elle nous révèle également que l’enfant qui vient de naitre est celui de John Wendish, et ce bien que son fils Gregor Wenrec ait accepté d’épouser Margaret et de revendiquer la paternité de l’enfant sous prétexte d’éviter le déshonneur à cette pauvre fille. A l’évocation de ces circonstances, Maragaret semble se ranimer, et comme possédée par une agitation fiévreuse, finit par nous confier qu’elle a surpris une conversation entre John et Gregor où il était question d'un "Masque de nacre sacré qui a la blancheur de la peau des nouveaux nés" et qu’elle craint pour sa fille, d’autant que les deux derniers nouveaux nés du village n'ont pas survécu… Alors qu’elle nous fait ces révélations, la porte s’ouvre brusquement derrière nous, et son visage se décompose pour refléter la peur alors qu’elle serre un peu plus l’enfant sur elle. Un homme à la mine patibulaire vient de rentrer dans la pièce et nous nous figeons en entendant La Vérole l’appeler par son nom : Grégor…

En quelques enjambées, l’homme pénètre dans la pièce et se rapproche de nous dans une attitude menaçante. Un sourire narquois éclaire sa figure mauvaise et il prononce d’une voix grinçante : « Alors Mam, tu me présentes pas tes nouveaux amis ? » tout en nous dévisageant avec une lueur hostile dans le regard. Mais avant que l’un de nous n’ait le temps de répondre, son attention se reporte déjà sur Margaret et le bébé qu’elle tient. Il se dirige vers celle-ci qui pâlit un peu plus et resserre son étreinte sur l’enfant, tout en murmurant d’un air pitoyable : « Non… C’est ma fille… ». Une lueur nouvelle possède le regard de Gregor, et sans doute s’apprête-t-il à se saisir de l’enfant, avant de sembler réaliser que Margaret se recroqueville encore un peu plus et que Roger et moi nous rapprochons doucement de cette dernière. Evaluant le rapport de force (Roger est assez costaud, et bien que je ne sois plus tout jeune je me targue d’avoir pratiqué le noble art de nombreuses années pour calmer les malades les plus récalcitrants), Gregor nous jette un regard malveillant et déclare « C’est ma fille, et j’ai tous les droits sur elle… Mais je reviendrai bien la chercher plus tard… », puis laisse échapper un ricanement sardonique avant de battre en retraite et de disparaitre aussi rapidement qu’il n’est apparu.

Après son départ, la Vérole nous explique que Grégor est son fils ainé, d’un caractère parfois brusque qui le conduit à s’emporter fréquemment. « Il va sans doute revenir avec ses frères, Daniel Léoc et Pétric » nous dit elle en nous faisant le portrait peu flatteur de trois brutes épaisses au caractère irascible… « J’ai aussi un autre fils, Maboul, un peu moins querelleur, mais assez excité… ». Peu désireux de faire la connaissance de toute sa progéniture (Grégor nous ayant fait au demeurant une impression assez néfaste), nous décidons qu’il est plus sage de ne nous éclipser pour ne pas troubler une future réunion de famille. C’est alors que Margaret nous supplie d’emporter sa fille : « Prenez la et occupez vous d’elle, ou ce sont eux qui me l’enlèveront ». La Vérole semble approuver, et prend le bébé des bras de Margaret pour nous le remettre en déclarant : « Emmenez la et partez avant que mes fils ne reviennent. Il vaudrait mieux pour vous et la petite qu’ils ne vous retrouvent pas… ». Devant son ton qui n’augure rien de bon, nous partons avec l’enfant sans demander notre reste.
C’est sans échanger un mot et masquant mal notre trouble que Roger et moi regagnons en hâte la pension Crampton. En dissimulant au mieux l’enfant, nous traversons la salle commune déserte (nulle trace de clients ou de la mère Crampton), montons 4 à 4 l’escalier pour regagner nos chambres, et ce n’est qu’une fois la porte refermée qu’un peu de soulagement nous gagne… Celui-ci est de bien courte durée : quelques instants plus tard des bruits se font entendre dans le couloir et la porte s’ouvre soudain pour laisser apparaitre Rochus et Lewis, titubant et s’appuyant l’un sur l’autre en piteux état ! Les malheureux font peine à voir, et je ne peux retenir une exclamation devant une vue si désolante : leurs visages sont couverts d’ecchymoses et portent des traces de coups violents (Lewis a la lèvre fendue et Rochus a le nez éclaté), leurs vêtements sont sales et déchirés et ils boitent misérablement. Mais tout ceci n’est rien à côté de l’état horrible du bras de Lewis qui nous le montre en se convulsant : une peau de poisson immonde y est cousue à même la peau avec une grossière ficelle ! Le médecin que je suis est consterné devant une torture aussi barbare et ignoble, et j’entreprends de lui donner des soins alors que Rochus, tenant un mouchoir sur son nez meurtri, nous raconte leurs déboires d’une voix geignarde…

Après avoir quitté la pension, Rochus et Lewis se rendirent à un commerce du village pour acheter du matériel, puis empruntèrent ensuite la route menant au site des pierres levées. Ils marchaient depuis quelques minutes et Rochus en profitait pour dispenser à Lewis un cours sur les usages druidiques, quand un curieux personnage déboula en courant devant eux. Remis de leur surprise, nos amis purent observer un gamin échevelé aux habits crasseux qui leur retournait leurs regards d’un air moqueur. Le garnement baragouinait d’un ton excité, et ils eurent grand peine à comprendre qu’il parlait de lui à la 3ème personne et se prénommait Maboul : sans le savoir, Rochus et Lewis se tenaient devant le fils cadet de La Vérole… Maboul les interrogea sur leur destination, puis sans faire d’autre commentaire, se mit en tête de leur quémander quelque objet pour les accompagner. Sans doute impatientés et quelque peu irrités, nos deux amis l’envoyèrent paître gentiment mais fermement (Lewis se permettant de plaisanter aux dépens du sauvageon en lui faisant miroiter sous les yeux son briquet plaqué or avant de le remettre en poche) et reprirent leur route en lui tournant le dos et en le laissant là. Quelques minutes plus tard, ils arrivaient sur le site des pierres levées, mais quel ne fût pas leur désarroi en découvrant l’état de ce dernier ! La tempête avait littéralement saccagé le site, renversant plusieurs pierres et inondant la cuvette où les mégalithes étaient disposés. L’eau ne s’étant pas encore entièrement retirée, les dolmens s’enfonçaient dans une boue fangeuse en un équilibre précaire. Singulièrement émus et dépités par la vue d’une telle désolation (Rochus en avait encore des trémolos dans la voix alors qu’il nous décrivait la scène) et voyant qu’ils ne pourraient rien faire, nos deux compères décidèrent de revenir sur leurs pas et de rentrer au village…

Ils venaient à peine de parvenir au bourg que Maboul ressurgit soudainement de nulle part devant eux. Le drôle réclama encore quelque cadeau du même ton excité, mais comprenant sans doute qu’il risquait d’essuyer une nouvelle rebuffade, il offrit en échange de montrer à nos amis une curieuse étoile de mer sur la plage. Amusés ou intrigués, Rochus et Bradley lui emboitèrent le pas en lui promettant de le récompenser si cela en valait la peine. Les pauvres diables ne se doutèrent pas un instant qu’ils se jetaient ainsi dans la gueule du loup : en fait d’étoile de mer, Maboul les amena tout droit vers 3 solides énergumènes qui attendaient au détour d’une petite crique déserte… Le portrait que Rochus nous fit en tremblant des 3 molosses était sinistre : débraillés, grands et larges, tous trois arboraient des faciès de brute marqués de tâches de vin. Des lames de couteaux brillaient d’un sombre éclat à leurs ceintures où pendaient également d’autres accessoires macabres : dépouilles d’oiseaux, cadavres de petits animaux et peaux de poissons… Encerclés, nos deux amis n’en menaient pas large et subirent sans protester un vague début d’interrogatoire : « Alors, y parait qu’on va fureter du côté des pierres, les p’tits curieux hein ? Et on s’moque de not’ p’tit frère avec ça… C’est qui s’croient malins et fortiches les étrangers pt’être ? ». Ne sachant que répondre à ces provocations, Rochus gardait le silence alors que Lewis tenta faiblement de protester d’une voix mal assurée : « Allons messieurs, il y a méprise, nous sommes entre gentlemen…». Mais il eut à peine le temps de terminer que les 3 brutes se mirent soudain à les rouer de coups en les insultant ! N’étant pas de taille à résister, Rochus et Bradley ne tentèrent pas de riposter et se protégèrent du mieux qu’ils purent en attendant la fin des brutalités. Les 3 canailles s’arrêtèrent en effet après quelques minutes sur l’injonction de celui qui semblait être l’ainé : « Suffit Daniel et Leoc : faudrait pas les empêcher de causer… ». L’air menaçant, il poursuivit d’une voix malveillante : « On fait moins les marioles maintenant hein ? Allez finie la plaisanterie, qui a le masque ? », mais tétanisés par la peur, ni Rochus ni Lewis ne bronchèrent… L’ainé se pencha alors pour les fouiller rapidement avant d’étouffer un juron : « Crénom, y l’ont pas sur eux ! ». Se relevant, il donna au passage un solide coup de pied dans les côtes de Rochus qui se plia de douleur. Un des frères repris alors : « On devrait leur laisser notre carte, des fois qu’y voudraient nous revoir, pas vrai Petric ? », et avec une lueur malsaine dans le regard, l’ainé acquiesça : « Ouais, vas-y Leoc… ». Sortant de sa ceinture de la grosse ficelle et un hameçon, l’homme entreprit alors de coudre une peau de poisson tannée sur le bras de Lewis que ses frères maintenaient solidement : « compliments des frères Wenrec ». Lewis hurlait de douleur sans pouvoir se dégager, mais nul salut ne lui vint en aide, Rochus, étant trop mal en point pour réagir. Finalement, il finit par perdre connaissance.
Quelques instants après cette terrible séance de torture, Rochus parvint à ranimer Lewis, et les deux infortunés arrivèrent tant bien que mal à se trainer jusqu’à la pension Crampton où ils nous avaient retrouvés Roger et moi. Je terminais de donner les soins pendant que Roger mettait à son tour les deux blessés au courant de nos propres aventures de l’après-midi, puis je distribuais un peu de Loch Lomond à tout le monde afin d’achever de nous remettre de toutes nos émotions. Nous sentant un peu calmé après quelques minutes, nous commençons alors à envisager la suite à donner aux événements, lorsque je surprends des grincements et des bruits de pas feutrés provenant de l’étage supérieur où se trouve le grenier de la pension. En faisant signe à mes compagnons et en leur montrant le plafond, je tends l’oreille, mais les bruits se sont tus. J’ai pourtant l’intime conviction que la mère Crampton est sans doute montée dans son grenier pour tenter de surprendre notre conversation à travers les lattes du plancher : vu les regards énamourés dont elle couvait Wendish, notre hôtesse est sûrement de mèche avec lui, or c’est incontestablement ce dernier qui a parlé du masque aux frères Wenrec… Nul doute qu’il a aussi chargé Eléanore Crampton de nous espionner pour en apprendre plus. Je décide aussitôt de profiter de l’occasion pour retourner la situation à notre avantage, en déclarant à mes compagnons « Alors messieurs, c’est entendu, Roger va dès à présent partir se cacher avec l’enfant à la chapelle ou nous le relaieront discrètement durant la nuit ». Quelques minutes plus tard, Roger part en tenant un leurre constitué d’un drap entourant un oreiller contre lui, tandis qu’à l’abri des regards dans la chambre, je vide ma large sacoche de médecin pour la transformer en un couffin improvisé ! Avant que je ne m’apprête à partir à mon tour, Lewis sort en éclaireur dans le corridor et aperçoit la mère Crampton qui redescend du grenier : pour me laisser le terrain libre, il l’emmène alors à l’écart en lui faisant la conversation et en lui demandant à aller chercher du lait en cuisine. Ca n’est qu’une fois que la voie est dégagée que je sors enfin, emportant le bébé endormi dans ma sacoche, et filant aussi vite et discrètement que je le peux vers le port et le Mary’s Galloway…

J’arrivais assez rapidement au bateau en ayant à peu près la certitude de ne pas avoir été suivi ou repéré, et montais aussitôt à bord pour frapper à la cabine du capitaine Sappletown. Là, j’exposais la situation au brave homme en termes concis et en lui faisant valoir que nous avions besoin d’un endroit sûr pour dissimuler l’enfant le temps d’éclaircir les sordides manigances de John Wendish et des frères Wenrec. Le capitaine parut un peu embêté et me fit valoir que tout ceci risquait de ralentir son ouvrage et les réparations qu’il effectuait sur son bateau, mais je lui rétorquais qu’il avait l’aide de Georges Farlan et que Miss Mac Luhan viendrait également pour surveiller et nourrir la petite – nous avions seulement besoin que celle-ci se trouve dans un lieu sûr à l’abri des regards indiscrets, et son bateau était le meilleur endroit indiqué pour cela… J’ajoutais que nous étions pleinement confiants dans la capacité du vieux loup de mer et du gardien de phare pour défendre un enfant innocent si quelqu’un de mal intentionné tentait de s’en approcher. Je pense que cela acheva de le convaincre, et c’est ainsi que j’installais Amy dans l’une des cabines du navire…

Les derniers événements avaient pris une folle tournure, et si nous avions pour le moment réussi à donner le change aux ennemis qui guettaient nos gestes, nul doute que ceux-ci ne tarderaient pas à revenir à la charge… Il était à prévoir qu’informés par la mère Crampton et John Wendish les frères Wenrec allaient d’ailleurs sans doute tenter une expédition cette nuit vers la chapelle en pensant remettre la main sur l’enfant ou le masque… Fallait-il tenter de les piéger là-bas avec l’aide de Sappletown et Farlan, ou bien juste esquiver la menace pour gagner un peu de temps ? Parviendrions nous à protéger l’enfant et à découvrir le secret de ce masque que les agresseurs de Rochus et Lewis semblaient vouloir récupérer à tout prix ? Quelle était l’étendue de la conspiration à laquelle devaient être mêlés Eléanore Crampton, John Wendish, Grégor Wenrec et ses terribles frères Daniel, Leoc et Petric ? Quels étaient les secrets de Wendish, et ceux de Stoner ? Toutes ces questions ne présageaient rien de bon, et pour tenter de faire taire la sourde angoisse que je sentais monter en moi, je résolus de prendre une gorgée de Loch Lomond…
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Bon, y'ai un CR qui manque sur la troisième séance, désolé... je refouetterai l'auteur de cet abandon avec ferveur.

Je mets quand même le CR de la 4è séance, qui clôt le second volet. Bon, de toute façon, je suis le seul à le lire alors c'est pas grave hin hin (et je le comprends, ils sont tous trop longs, mais bon, on aime ça, et on n'arrive pas à éliminer des scènes...)


Le point de vue est celui de Rochus Bradley, l'étudiant en archéologie celtique

Ce soir je ne sais plus où j’en suis. Je me nomme Rochus Bradley, mais c’est bien la seule chose dont je sois encore certain. J’ai bien peur que la journée qui vient de s’écouler ait fortement et durablement dégradé ma santé. Pourtant Dieu sait que les événements qui se sont succédé au cours des dernières quarante-huit heures ne nous avaient pas épargnés, mes compagnons du Mary’s Galloway et moi !
C’est cet après-midi que le gros de mon malheur s’est joué, dans le sous-sol du manoir Stoner, lors de ma rencontre avec la créature enfermée dans cette cuve. Cette étrange créature humanoïde couverte d’écailles et aux membres palmés. J’aurais du me tenir éloigné d’elle, et même ne jamais avoir pénétré dans cette bâtisse, tant je redoute à présent les conséquences de cette rencontre sur mon état. Cette rencontre ainsi que tout le reste évidemment.
Oh, ce n’est pas mon état physique qui m’inquiète ! Certes, comme mon ami Roger ce matin à la pension j’ai échappé à une tentative d’empoisonnement qui aurait pu mal tourner. Ce diable de Gregor Wenrec avait réussi à verser discrètement de la digitaline dans nos bols de thé, avec la complicité d’Eleonore Crampton. Mais cet épisode s’est bien terminé pour nous, grâce au traitement que nous a administré Keane, sur les conseils de La Vérole. Je ne devrais pas conserver de séquelles de cet épisode. Non, c’est mon état mental qui nourrit en moi des doutes. Et ces doutes, mes compagnons d’aventure les partagent avec moi, si j’en juge par les regards silencieux et inquisiteurs qu’ils portent sur moi ce soir.
Mais revenons à cet après-midi. La teneur de l’échange que j’ai eu avec cette créature grâce à ses extraordinaires pouvoirs télépathiques, je ne peux la partager. Pas encore. Certains événements demandent du temps avant d’être analysés, et ensuite exprimés. Ce que je puis dire en revanche, c’est qu’il m’a profondément marqué, et que j’y réfléchissais encore, me posant intérieurement une foule de questions, pendant que mes compagnons et moi nous évacuions précipitamment le manoir Stoner, à bord d’une embarcation de fortune, en direction du village de Bryn Celly Du.
L’enchaînement des événements ultérieurs eut ceci de bénéfique pour moi qu’il me permit de me tenir éveillé et concentré sur des questions matérielles urgentes, et ainsi m’empêcha de sombrer dans la mélancolie ou le délire.
Vers trois heures et demie, Keane, Lewis, Roger, Kirsten et moi étions chez La Vérole, notre seule relative alliée dans le village je dois bien le dire. Deux décisions furent prises rapidement. Premièrement, Kirsten, fiévreuse, garderait la chambre au moins jusqu’à ce soir. Secondement, le masque de nacre en notre possession serait une nouvelle fois enterré (dans le jardin), afin d’empêcher qu’il soit récupéré par John Wendish si par malheur nous devions croiser une nouvelle fois le chemin d’un membre de la Confrérie.

Margaret, que nous retrouvions chez La Vérole pour la première fois depuis son accouchement, était à la fois terrorisée d’avoir subi un interrogatoire peu amène de la part des frères Wenrec, et inquiète quant à l’avenir de son bébé. Tant bien que mal, nous finîmes par la rassurer, relativisant par notre discours le pouvoir malfaisant des Wenrec, et rappelant a contrario notre détermination et nos ressources en termes d’astuce. Ces arguments étaient, il faut le reconnaître, autant destinés à nous convaincre nous-mêmes qu’à convaincre la malheureuse. Mais dans la mesure du raisonnable ils atteignirent leur but.
L’autre invité permanent de La Vérole, le bien nommé « Maboule », étant absent, Lewis en profita pour entamer une fouille rapide et discrète de sa chambre. Il faut expliquer que Lewis nourrissait un ressentiment à peine dissimulé à l’encontre de celui qui était à l’origine de la mutilation qu’il avait subi la veille. Il fomentait contre lui toutes sortes de projet de meurtre et de torture, expéditifs ou sophistiqués. Nul doute qu’en pénétrant dans la chambre du Maboule, notre ami espérait trouver un indice ou un outil qui lui permettrait de choisir définitivement le mode opératoire adéquat pour son funeste plan. La fouille de la pièce fut écourtée par l’intervention de la maîtresse de maison, dont l’attention pouvait difficilement être déjouée. Nous pûmes toutefois constater le capharnaüm qui y régnait, à l’image de celui qui devait régner dans le cerveau de son locataire. Sur le mobilier ou bien à même le sol, une accumulation d’objets hétéroclites de peu de valeur, probablement volés, y côtoyait une collection d’herbes diverses, sauvages et odorantes. Des petits animaux fraîchement décédés, entiers ou démembrés, traînaient ça et là et complétaient le tableau d’une façon désolante.
La Vérole nous ayant appris que deux étrangers venaient de débarquer au village en provenance de l’île de Man, Keane, Lewis, Roger et moi décidâmes d’aller prestement à leur rencontre, bravant la pluie qui avait fini par se substituer à la bruine du début de journée.


Bien nous en prit de nous hâter, car quelques minutes plus tard nous aperçûmes les deux étrangers alors qu’ils quittaient justement le port en direction de l’est, en empruntant une rue secondaire. Grâce aux précieux enseignements qui me furent dispensés naguère par mes professeurs à Oxford, j’établis rapidement et avec certitude l’origine druidique des deux personnages, en observant leur accoutrement. La saie et le bâton traditionnel que portait les plus âgé des deux le trahissaient tout particulièrement. Nous forçâmes l’allure, et ainsi arrivés à la hauteur des deux nouveaux venus nous engageâmes sans tarder les présentations.
Quoi qu’étonnés par notre procédé, les deux personnages nous écoutèrent avec intérêt et courtoisie avant de se présenter à leur tour, sans cesser de progresser sur le chemin qu’ils avaient commencé à emprunter. Le premier d’entre eux, âgé d’une petite cinquantaine d’années, s’appelait Craig Fergus et exerçait sur Man l’activité de druide. Il souhaitait se rendre toute affaire cessante et pour un motif impérieux sur le site des pierres levées. Le second, d’une vingtaine d’années, se nommait Craven Mac Kavel et était un simple novice. Il paraissait avoir fait le voyage depuis Man essentiellement pour assister matériellement son aïeul, ce dernier manifestant en effet des signes visibles d’affaiblissement et d’essoufflement physiques précoces pour son âge.
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le Zakhan Noir
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

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Fergus et Mac Kavel nous firent une impression positive. Nous décidâmes donc de nous en faire des alliés et de partager avec eux toutes nos informations, en narrant les événements dont nous avions tour à tour été les témoins, les victimes et les acteurs, et ce de la manière la plus concise et la plus cohérente possible, ce qui ne fut pas chose aisée si l’on se remémore la densité et l’étrangeté de ceux-ci. Nous insistâmes particulièrement sur la réalité des dangers qui menaçaient les étrangers dans le village, et sur l’incongruité d’entamer une marche en direction des pierres levées à une heure aussi avancée de la journée.
L’intérêt de nos interlocuteurs croissait au rythme des révélations que nous leur confiions, cependant avec lui croissait également leur inquiétude. Le récit que nous leur fîmes des dommages subis par le site des pierres levées à l’occasion de la tempête ne fit que renforcer leur détermination à constater par eux-mêmes l’étendue de ceux-ci. Ils augmentèrent leur rythme de marche d’une manière irraisonnée, nous contraignant à les accompagner si nous tenions à continuer avec eux notre discussion impromptue. La pluie tombait sur nous plus drue que jamais, par ailleurs le chemin était particulièrement hasardeux, boueux, parsemé de surcroît de nombreuses broussailles, de ronces et d’ornières qui rendaient pénible et dangereuse la progression de tout notre groupe.
À deux reprises, Fergus, fatigué, dut interrompre sa marche et lutter contre une violente quinte de toux qu’il parvint à maîtriser en absorbant une mystérieuse pilule tirée de ses affaires personnelles. Devant l’état pour le moins inquiétant de notre nouvel ami, et pour sa santé, Keane exigea de se livrer sur lui à un rapide examen médical, qui mit en évidence une langue chargée et de couleur malsaine. Mais rien ne devait entamer la détermination des deux étrangers à achever leur marche.


À son tour, Fergus nous fit des révélations. Les créatures marines monstrueuses que nous avions rencontrées à deux reprises depuis avant-hier dans les circonstances que l’on sait ne lui étaient pas inconnues. Je me rappelle nettement l’avertissement mûrement réfléchi qu’il nous livra à mi-voix : « Ces créatures sont dangereuses et manipulatrices. Il faut vous en méfier ! » Cette mise en garde résonna en moi de façon tout à fait particulière.
Notre nouvel ami connaissait Bryn Celli Ddu pour y avoir vécu autrefois, et avait même connu Eleonore, la tenancière de la pension Crampton, dans un contexte sur lequel il préféra rester discret. Ah, la Crampton … Je détestais cette femme presque autant que Lewis haïssait Le Maboule. Depuis notre arrivée à Bryn Celli Ddu, elle nous avait hébergés, avait accepté notre argent, avait fait mine d’être séduite par la compagnie de notre ami Lewis, nous avait fait des confidences, avant de nous trahir de la façon la plus détestable, en se rendant complice d’une tentative d’empoisonnement contre Roger et moi.


Quant au récent passage de Gregor Wenrec sur Man, Fergus l’ignorait totalement, mais il sembla relativiser la gravité de cette information. Il avait entrepris subitement le voyage vers Bryn Celli Ddu avec son propre bateau, immédiatement après que la tempête d’avant-hier se fut calmée. Angus Shergan, que notre groupe prenait jusque là essentiellement pour un auteur mineur appartenant définitivement à l’Histoire de l’art poétique gallois, vivait toujours aux dires de Fergus et exerçait la fonction d’ovate sur Man.
Un cri interrompit notre discussion. Roger, qui comprenait mal l’intérêt d’une vadrouille en terrain aussi difficile et qui s’agitait depuis quelque temps, venait d’enfoncer malencontreusement son pied dans une ornière, ce qui réveilla au passage une vieille douleur dans sa cheville et acheva de l’exaspérer. Keane, Lewis, Roger et moi jugeâmes alors plus prudent de rebrousser chemin vers le village, et donnâmes rendez-vous à Fergus et à Mac Kavel aux alentours de onze heures derrière la chapelle pour débattre alors des possibilités d’une action commune.
Nous fîmes de retour à Bryn Celli Ddu vers sept heures, et la première habitante que nous croisâmes sur le chemin fut la femme de l’un des frères Wenrec. Sans avoir cherché à la rencontrer, nous l’avions déjà croisée, ou plutôt aperçue, la veille, derrière l’enceinte de leur propriété. Aussitôt qu’elle nous vit, elle accourut vers nous en pleurs. Son visage tuméfié témoignait du traitement violent que son mari venait de lui administrer. « Ils nous ont forcées, nous confia-t-elle tout de go en ravalant un hoquet, Marianne et moi nous étions contre, mais ils nous ont forcées ! Ils nous ont envoyées au bateau pour distraire et séduire le capitaine. Pendant ce temps, ils ont volé le bébé ! »

À cette révélation soudaine notre sang ne fit qu’un tour et nous ne pûmes réprimer un juron collectif. Dire que nous pensions que la fille de Margaret était en sécurité incognito avec le Capitaine Tyler Sappleton et George Farlan à bord du Mary’s Galloway ! Erreur tragique ! Quelles conséquences funestes pouvaient bien découler de notre incroyable naïveté ?
Sur ces entrefaits arrivèrent les deux autres épouses de la fratrie Wenrec. Comprenant rapidement le revirement de leur belle-sœur, elles tentèrent de porter la main sur elle dans un accès de fureur. Heureusement notre prompte intervention les en empêcha. Sans chercher à les intimider, mais au contraire en tentant de les raisonner calmement, nous parvînmes à obtenir un renseignement complémentaire d’importance qui nous fit frissonner : leur méfait accompli, les frères Wenrec s’étaient dirigés vers le manoir Stoner, en compagnie d’un certain nombre de leurs camarades. Dieu seul savait quel sort cette Confrérie de pervers pouvait bien réserver à ce petit être sans défense !

Il n’y avait pas un instant à perdre. Notre groupe de quatre se dirigea à vive allure vers le port, sous une pluie désormais plus discontinue. Nous ne prêtions pas attention aux regards tantôt inquiets tantôt narquois des habitants qui nous observaient, nous avions fini par nous y habituer. À peine arrivés au port, la vue du capitaine gisant étendu, inanimé, face contre terre confirma nos craintes. L’un d’entre nous monta à bord et constata l’absence du bébé. Ce n’est certainement pas un Farlan hébété qui pouvait nous renseigner sur les événements récents. Le reste du groupe ranima le capitaine, qui après s’être excusé d’avoir failli à sa mission, nous confirma qu’il avait été sournoisement approché par deux des épouses Wenrec, qui avaient prétexté avoir besoin de son aide, avant qu’il reçoive un coup violent à l’arrière de la tête, probablement porté par l’un des membres de la fratrie.


La gravité de la situation nous imposait de tenir un conciliabule sur le champ. Le Marys’ Galloway pouvait être remis en état de prendre le large ce soir avant minuit, pour peu que l’un d’entre nous, le Cne Sappleton ou Farlan par exemple, procède aux derniers coups de marteau et de tournevis. Nous décidâmes de retourner au manoir Stoner pour sauver le bébé de Margaret, ce qui nous permettait également d’envisager une action visant à soustraire la créature marine à l’influence de la Confrérie. Notre groupe avait pris l’engagement moral auprès de Margaret de protéger son enfant et nous n’envisagions pas de faillir. Nous possédions des armes et un exemplaire d’un trousseau de clefs du manoir, dérobé par nous lors de notre premier passage.

À combien se montait le nombre de coquins ayant rendez-vous au manoir, les épouses Wenrec n’avaient su nous le dire, mais elles nous avaient affirmé qu’ils étaient douze lors de la précédente réunion trois semaines plus tôt. Il nous fut alors facile de calculer leur nombre mis à jour. En effet, quatre "Confrères" avaient trouvé la mort ces dernières quarante-huit heures (les trois pêcheurs Irvin, Barry et Brandon, ainsi que le fossoyeur) et il était peu probable que de nouvelles recrues soient venues grossir leurs rangs entre-temps. Un groupe comme le nôtre pouvait faire la différence face à huit adversaires, certes redoutables et cruels, à condition de bénéficier de l’effet de surprise et d’un renfort constitué des deux druides de Man et de deux ou trois personnes supplémentaires.


Nous nous rendîmes chez Robert Scoting, le bourgmestre, que le Cne Sappleton avait rencontré la veille et qui avait produit sur lui une impression plutôt positive. Il s’agissait d’un brave homme d’une cinquantaine d’années, présentant une allure ordinaire et un caractère quelque peu effacé. Comme plusieurs habitants du village, Scoting était depuis longtemps dubitatif au sujet des mystérieuses expériences menées par John Wendish et Robert Stoner, et plus encore consterné par les menaces incessantes que faisaient peser les frères Wenrec sur les villageois. Il souhaitait secrètement leur départ ou leur arrestation, mais n’avait jamais trouvé le courage et l’occasion de les braver. Comme nous nous y attendions, le bourgmestre se montra tout d’abord hésitant devant notre projet d’action. Les risques étaient grands pour l’intégrité physique des participants ! Pourtant, en entendant le récit des événements de la journée, il admit que Wendish avait dépassé les limites de l’acceptable. Après mûre réflexion, et après nous avoir entendu lui rappeler solennellement sa loyauté vis-à-vis de Sa Royale Majesté, il se rallia à notre plan, mais à condition qu’il soit accompagné par ses deux adjoints.
Notre groupe se sépara ensuite pour gagner en efficacité.


Lewis et Roger firent un passage à la pension Crampton pour récupérer quelques dernières affaires. Ils eurent la désagréable surprise de constater que nos chambres avaient été fouillées et saccagées en notre absence. L’argent de Lewis avait disparu, mais nos deux amis purent récupérer des vêtements et des lampes. En outre, constatant l’absence inexpliquée de la tenancière, Lewis se servit généreusement en nourriture dans la cuisine, après s’y être introduit à la dérobée par une fenêtre sans surveillance.
Dans le même temps, Keane et moi partîmes une dernière fois chez La Vérole. Margaret sommeillait, enfermée dans sa chambre. Notre amie Kirsten avait repris quelques couleurs, mais était totalement incapable de nous suivre dans la suite de notre aventure. Je lui confiai mon manteau ainsi qu’une lanterne et lui demandai de nous attendre dans le bateau au port. En effet, il était probable que nous dûmes quitter la presqu’île en précipitation en fin de soirée après notre expédition au manoir si les choses tournaient mal.
Le fils cadet de La Vérole, Le Maboule, était de retour chez sa mère. Ce galopin nous posait un problème : tantôt il manifestait de l’intérêt et de la sympathie pour la cause de notre groupe, et nous priait de lui venir en aide contre ses frères, tantôt il semblait craindre un châtiment de la part de ces derniers, et alors il rejetait nos tentatives pour le soudoyer.
Tentant le tout pour le tout, Keane décida de s’en faire définitivement un allié en faisant don au Maboule de son stéthoscope. Tout ébaudi par sa nouvelle acquisition, le garnement se mit à tester frénétiquement l’objet sur les murs et les objets environnants selon différents modes d’utilisation pour le moins farfelus et inadaptés. C’est à peine si le garnement écouta les recommandations de Keane : notre ami le médecin lui révéla notre intention de nous rendre dès ce soir au manoir Stoner, il lui demanda aussi de nous guider jusque là, et surtout de faire diversion pour protéger notre fuite le cas échéant si les choses tournaient mal pour nous.
Je crus bon de promettre en sus au Maboule l’appareil photographique de Kirsten, celui qui était resté à la pension, à condition que nul malheur ne nous arrive d’ici ce soir. Toutefois l’infortuné garçon n’avait jamais vu de photographie de sa vie, et ne soupçonnait même pas l’existence d’un tel objet. Pour lui montrer de quoi je parlais, je sortis de mon sac un exemplaire d’un ouvrage richement illustré qu’un éminent professeur d’archéologie à la Chaire de Cambridge avait consacré il y a quelques années à l’architecture romaine, le résultat de ses recherches faisant encore référence dans les milieux bien informés. Hélas le vil gamin m’arracha le précieux document des mains sans me demander une quelconque permission, et commença à en déchirer les pages fébrilement. Il finit par s’enfuir précipitamment en emportant nos cadeaux, vers l’ouest, soit dans la direction du manoir. Quel usage allait-il faire des informations que nous lui avions données ? Se rangerait-il de notre côté lorsque le moment crucial se présenterait ? Il était déjà trop tard pour le questionner à ce sujet.


Avant de prendre congé de La Vérole, cette fois-ci peut-être pour toujours, je pris bien entendu soin de déterrer le masque de nacre qui était enterré dans le jardin, et de le ranger dans mon sac pour le cas où j’en aurais besoin au manoir …
Notre groupe de quatre retrouva Craig Fergus et Craven Mac Kavel vers onze heures comme convenu derrière la chapelle. Ils avaient effectué le trajet de retour depuis le site antique jusqu’au village sans incident notoire, ce qui constituait un exploit dans la mesure où ils avaient marché dans l’obscurité et la bruine, sans compter la santé physique fragile de Fergus. Les dégâts subis par les pierres levées peinaient Fergus plus encore qu’elles ne m’avaient peiné lorsque je les avais constatés par moi-même la veille en compagnie de Lewis. Nos deux amis de Man étaient décidés à nous prêter main forte dès ce soir contre la Confrérie, dans la mesure de leurs moyens, et qu’elles qu’en soient les conséquences.
Le Cne Sappleton, Scoting et ses deux adjoints, eurent tôt fait de nous rejoindre. Les trois courageux fonctionnaires en étaient arrivés à cette conclusion que l’occasion de débarrasser Bryn Celli Ddu de cette vilaine Confrérie était enfin arrivée aujourd’hui, et qu’une occasion similaire ne se présenterait peut-être pas avant longtemps si, par manque d’audace, ils nous laissaient quitter la presqu’île sans nous avoir offert une aide susceptible d’être déterminante.
Expliquer une blague, c'est comme disséquer une grenouille. On comprend le mécanisme, mais elle n'y survit pas (Mark Twain, un peu modifié)
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le Zakhan Noir
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Notre groupe au complet était donc constitué de dix membres animés d’une réelle ambition d’en découdre, même si une incertitude pesait sur le degré d’engagement que les deux membres les plus fragiles physiquement, à savoir Keane et Fergus, seraient capables de supporter. Le simple fait d’être regroupés nous donnait un surcroît de courage, cette petite somme de courage qui nous aurait manquée si chacun d’entre nous avait du prendre une décision individuellement. L’espoir d’une victoire semblait à présent permis, d’autant que celle-ci était proche. À moins que … Une autre hypothèse aurait pu aussi bien être formulée pour expliquer notre subite et douce euphorie collective : il s’agissait peut-être plus prosaïquement du soulagement de savoir que le dénouement de notre macabre aventure était plus proche que jamais. Oui, c’était peut-être tout simplement cela que nous ressentions : la hâte d’être enfin délivrés des tourments et des angoisses que nous subissions depuis deux jours, et le soulagement de tourner la page bien vite, et cette perspective était presque plus importante que l’issue du combat lui-même ou que le sort qui serait réservé aux vaincus…

Le trajet en direction de la demeure Stoner nous était connu : il suffisait de suivre le plus discrètement possible la route de l’ouest, celle qui traversait le bois faisant face à la plage. Nous n’avions à redouter aucune erreur d’orientation. Naturellement cette marche fut propice au recueillement et au questionnement. Nous en profitâmes surtout pour dévorer les vivres que nous avions collectés et répartir le plus judicieusement possible notre équipement : les vêtements, les lampes et bien sûr les armes. Fergus ne se séparait jamais de son bâton de chêne. Nous disposions en outre de trois gourdins, d’un marteau (celui du fossoyeur) et d’ustensiles précédemment dérobés dans le manoir un peu plus tôt dans la journée, à savoir trois couteaux de cuisine, une canne, et une pelle.

Au sortir du bois, à l’approche de la falaise sur laquelle le manoir était bâti, nous nous efforçâmes d’achever notre progression sans bruit ni lampe pour éviter de nous faire repérer. À cette occasion nous pûmes constater que réciproquement le manoir était plongé dans le silence et l’obscurité.
Keane jugea prudent d’entamer – dans une position accroupie malaisée – une exploration préalable de l’arrière du manoir, spécialement de la façade extérieure de la cuisine. Pendant ce temps, le reste du groupe s’approcha de l’entrée du passage souterrain, dont nous connaissions l’emplacement. Le Cne Sappleton se dévoua pour dégager la lourde trappe d’entrée, mais tandis qu’il s’efforçait de la maintenir en équilibre vertical pour nous autoriser le passage, celle-ci lui échappa et s’abattit de tout son poids sur son bras droit.


Nous nous engouffrâmes tout de même dans le souterrain, Lewis et moi prenant la tête du cortège. Grâce à notre trousseau, nous franchîmes sans difficulté la porte qui donnait accès au corridor principal. Notre groupe, enfin reformé au complet grâce au retour de Keane, progressa avec un luxe de précaution jusqu’à la grande salle. Mon cœur battait la chamade : comment allais-je réagir si je me retrouvais de nouveau en présence de la mystérieuse créature marine ? J’ignorais moi-même la réponse. La cuve n’avait pas changé d’emplacement, au fond à gauche, cependant elle luisait plus faiblement que cet après-midi, d’une lumière jaunâtre qui interdisait d’être certain de la présence de la créature en son sein. La salle, comme le corridor que nous venions de quitter, était plongée dans un noir quasi complet. Seul le bruit du ressac sur notre droite nous rappelait l’existence d’une ouverture pratiquée dans la paroi dans le sens de la longueur.

Immédiatement au-delà de l’ouverture, à quelques mètres en contrebas, nous devinions la crique et les flots. Toutefois, même en nous approchant, il nous était impossible de distinguer la présence de quelque chose ou de quelqu’un sur la crique.
Notre attention fut alors tout entière captivée par l’écho de plusieurs voix, en provenance de l’autre salle du sous-sol. Si nous ne pouvions comprendre les mots prononcés, nous ne pouvions en revanche nous méprendre sur l’identité de ceux qui venaient de les prononcer : il s’agissait de Wendish et de Crampton. Les pleurs d’un nouveau-né couvraient leurs paroles, nous procurant un bref et relatif soulagement : la fille de Margaret était donc encore en vie !
Nous nous approchâmes de la petite salle avec une précaution redoublée, ce qui nous permit d’identifier d’autres voix : celle de Crampton, celles de plusieurs des frères Wenrec, ainsi que celle d’un homme que nous n’avions jamais entendu auparavant. Wendish haranguait son assemblée, évoquant sur un ton sarcastique nos tentatives pour découvrir leurs activités, prédisant à notre groupe une fin rapide et peu glorieuse, promettant ensuite à ses acolytes un départ sans retour pour un monde merveilleux au-delà des flots, ou plus exactement dans leurs profondeurs. L’assemblée se mit alors à entonner la sinistre prière à Dagon, le roi des profondeurs.
Pour notre part, séparés de nos ennemis de quelques mètres seulement, à l’abri derrière un recoin que formait le corridor, nous nous contentions d’écouter bouche bée et le souffle court, tout en échangeant entre nous des regards incrédules. J’éprouvai alors d’inexplicables sentiments mêlés, faits de malaise et de fascination devant cette prière entonnée avec tant de ferveur.

Au moment où Wendish annonça son intention de rendre hommage aux "Confrères" récemment décédés, Lewis, qui occupait la position la plus proche de l’entrée et qui ne tenait plus en place, brisa la torpeur ambiante et, nous ayant fait signe de le suivre, fonça comme un beau diable à l’intérieur de la salle.
La suite fut extrêmement désordonnée, chacun d’entre se précipitant à la suite de notre ami, se jetant contre le premier venu sans schéma tactique collectif. Lewis frappa d’un coup de canne le seul occupant de la salle qui nous était inconnu. Le Cne Sappleton envoya un violent coup de pied au ventre d’un autre comparse. Roger entraîna Scoting et un des adjoints contre Petric, Leoc et Daniel Wenrec. Hélas, l’autre adjoint nous abandonna sur place en courant vers le corridor. Fergus et Mac Kavel demeuraient pour le moment à l’écart de l’action.


Pour ma part, paralysé par l’enjeu, je perdis lamentablement l’avantage de l’effet de surprise, et me retrouvai vite acculé par mon premier adversaire. Par chance le hasard me désigna Eleonore Crampton. J’aurais hésité à frapper n’importe qui, mais La Crampton, c’était différent. C’est donc le sourire aux lèvres que j’abattis ma pelle sur elle dans un vigoureux mouvement de haut en bas, qui l’assomma sur le coup en lui faisant perdre une dent et quelques centilitres de sang.
Lewis n’eut pas le temps de souffler. Passé son premier succès, il se retrouva face à face avec le redoutable Gregor Wenrec, qui bien que plus âgé et plus faible physiquement que ses frères, disposait d’une arme à faire frémir le plus valeureux adversaire. Le sorcier tenait en effet dans sa main droite une sorte d’épée à la lame tordue et émoussée, mais qui luisait sous l’action d’une substance liquide indéterminée. La réaction du métal avec la substance mystérieuse produisait dans l’atmosphère environnante de subtiles volutes blanchâtres particulièrement inquiétantes. Gregor frappa le premier, mais grâce à ses réflexes Lewis évita le coup et contre-attaqua. Un membre de la Confrérie (lequel ? dans le tumulte ambiant, je ne puis me souvenir) se saisit à deux mains de l’adjoint du bourgmestre, et dans un mouvement puissant le projeta dans ma direction, provoquant notre chute et un choc contre la paroi qui se trouvait derrière nous.
Soudain, tous nous entendîmes s’élever dans l’air l’appel d’une corne de brume, qui fit naître un léger sourire sardonique chez certains de nos adversaires. Juste à l’extérieur du manoir mouillait un navire prêt à leur apporter du renfort ou peut-être simplement une solution de retraite !


Depuis notre irruption dans la salle, Wendish tenait dans ses bras le bébé de Margaret et pour cette raison se tenait soigneusement à l’écart des combats. Cependant, au son de la corne de brume, il sortit un pistolet et se dirigea en longeant un mur vers la seule issue dont la salle disposait. Si nous remarquâmes son manège, en revanche aucun d’entre nous ne disposait d’un répit suffisant pour empêcher la fuite de l’ignoble personnage. Mais nous savions que Keane veillait, tapi dans l’obscurité du corridor … Notre vieil ami médecin était resté prudemment caché à l’extérieur de la salle, de façon à prendre au piège par surprise celui qui tenterait de s’échapper. Il n’avait rien perdu de la scène et se préparait à bondir sur le chef de la confrérie au moment précis où celui-ci sortirait. Hélas, à l’instant critique, Keane fut renversé en arrière par une force qui s’acharnait à serrer autour de son cou un instrument comme on l’aurait fait avec une corde. Le vieux médecin reconnut l’instrument : c’était son propre stéthoscope ! Le Maboule ! Nous avions tous oublié ce satané garnement, qui nous avait devancés au manoir et s’était tapi sur nos arrières. Keane réussit à se dégager et à décocher un coup de couteau au maudit gamin, engageant finalement contre lui un véritable corps-à-corps. Néanmoins Wendish avait profité de la diversion pour se précipiter vers la grande salle.


Tout le monde emboîta le pas à Wendish. Gregor tout d’abord, poursuivi aussitôt par notre ami Lewis, lui-même suivi par Petric. Dans le corridor, Lewis se retourna subitement et prit Petric à contrepied, réussissant à le déséquilibrer. Lewis, brandissant son couteau, tenta de le planter dans le corps de son adversaire au sol, mais rata in extremis son geste d’une manière lamentable et inexpliquable, se foulant le genou dans le même mouvement.
Pour ma part, enfin remis de l’état d’étourdissement et d’essoufflement dans lequel m’avait laissé mon choc contre la paroi, je me jetai en-dehors de la pièce avec ma pelle et vis la situation critique dans laquelle se trouvaient Keane et Lewis. Lequel des deux aider ? Je choisi de frapper l’adversaire qui me semblait le plus redoutable, à savoir Petric, puis sans tarder me précipitai à la poursuite de Gregor et de Wendish.


En revenant dans la grande salle, à présent éclairée par plusieurs lampes, je pris connaissance de la situation dans sa globalité. Fergus et Mac Kavel, qui nous avaient devancés, se tenaient à ma droite dans un coin de la salle, prostrés et effrayés. Il y avait de quoi : à leurs pieds gisait une conque énorme, plus longue qu’un humain, qui rampait vers eux selon une allure immonde. Deux énormes pinces articulées semblables dans leur forme à celles d’un crustacé sortaient de l’intérieur du mollusque et pointaient de manière menaçante en direction des deux druides. Au fond de la salle, le cylindre de deux mètres de haut abritait toujours la mystérieuse créature marine. À proximité, Wendish tenait toujours le bébé dans son bras gauche et son pistolet dans la main droite. Il actionna (au moyen d’un levier, à moins que ce ne soit un bouton) un mécanisme qui mit la cuve en mouvement. Cette dernière se mit ainsi à avancer sans aucune action extérieure, à un rythme lent, le long des rails vissés sur le sol, en direction de la large ouverture pratiquée dans la paroi opposée. À quelques mètres seulement au-delà de cette ouverture, on distinguait nettement la partie supérieure du mât et de la cabine d’un bateau de grand tonnage.


Le temps fut alors comme suspendu. Ici même quelques heures plus tôt s’était peut-être joué mon destin, lorsque sans réellement l’avoir cherché, j’étais entré en communication silencieuse avec l’étrange occupant de la cuve. De nouveau une angoisse sourde s’empara insidieusement de moi. Pouvais-je faire confiance à mes compagnons d’aventure ? Pour sûr, c’était un combat éprouvant que menait notre groupe, mais pour moi le combat était plus éprouvant encore, car j’ignorais fondamentalement quel parti prendre. La vérité m’apparaissait maintenant dans ce qu’elle avait de plus terrible. Ce n’était pas seulement une Confrérie que nous affrontions, c’était les créatures elles-mêmes, et avec elles Dagon, le roi des profondeurs.
Je me rappelai les écrits d’un explorateur français du XVIIIe siècle. Cet archipel perdu d’Océanie qu’il avait découvert, cette peuplade de pêcheurs, leurs croyances, leurs danses, leurs nombreuses peintures, les hommes-tritons … Jamais l’éminent explorateur ne revint en Europe. Jamais la communauté scientifique européenne ne voulut donner foi aux témoignages troublants contenus dans les multiples lettres qu’il envoya. Il fut banni et oublié de l’Histoire officielle. Et cependant il avait raison … Avait-il choisi ou bien avait-il été choisi ? Toujours est-il qu’il tenta d’alerter l’humanité incrédule. L’humanité s’est toujours montrée incrédule face aux grandes vérités.


Moi aussi je connaissais la vérité. Depuis notre départ de Liverpool et jusqu’à présent je me l’étais cachée, mais à présent il était impossible de me duper moi-même encore une minute de plus. Le tableau d’ensemble m’apparaissait clairement. Les profonds et les hommes constituaient deux camps aux intérêts inconciliables. Certains hommes tels que les druides menaient contre les profonds une guerre continuelle sans concession, depuis l’aube de la civilisation, sous toutes les latitudes et dans le plus grand secret. Le combat d’aujourd’hui constituait la énième étape de cette guerre. La seule question qui me dévorait est : quel rôle allais-je personnellement y jouer ? La révélation que m’avait personnellement faite le triton dans sa cuve était absolument incroyable, mais avais-je le droit d’en douter ? Les paroles de Craig Fergus me revinrent en mémoire : « Ces créatures sont dangereuses et manipulatrices. Il faut vous en méfier ! » Et si bien au contraire c’était les druides qui nous manipulaient ?


Le moment fatidique était venu. Il fallait que je sache à quel camp j’appartenais. J’interpellai donc Wendish. Celui-ci, intrigué par ma démarche, pointa son arme sur moi mais écouta toutefois mes propos. Peut-être m’accorda-t-il en cela le bénéfice du doute, eu égard à l’initiative que j’avais prise le matin même à la pension Crampton, lorsque j’avais tenté une première fois d’établir un contact diplomatique avec lui.
« Wendish, attendez-moi, lui lançai-je en substance, je suis de votre coté ! Je veux vous rejoindre. Regardez, j’ai le masque. » Et je sortis l’objet de mon sac pour prouver ma bonne foi. « Aucune importance maintenant, me répondit-il. Nous avons mieux, nous avons l’enfant. » Je craignis alors de laisser passer une chance de salut unique pour moi, et entonnai à mon tour les premiers mots de la prière rituelle à Dagon, tout en approchant le masque de mon visage … À l’instant où je recouvrai mon visage, une lumière trouble envahit mon champ de vision, et je tombai évanoui sans pouvoir finir ma récitation, lâchant ainsi à terre le masque et mon arme. La suite des événements me fut racontée par mes camarades après la bataille.


Le combat se poursuivait en plusieurs endroits en même temps et dans une grande confusion. Dans la petite salle, le Cne Sappleton, Roger et Scoting affrontaient Daniel et Leoc Wenrec (l’adjoint de Scoting était définitivement hors de combat, de même qu’un inconnu et Eleonore Crampton) Dans le corridor, Keane avait pris le dessus sur le Maboule. Mais Lewis était à la lutte avec Gregor et Petric Wenrec.
Gregor s’avança, empoignant toujours son épée fumante. D’un coup de pied précis et vif, Lewis envoya promener l’arme à l’autre bout du passage, puis il abattit sa canne sur le vieux sorcier qui tomba évanoui à son tour.
Nos trois amis que nous avions laissés dans la petite salle firent alors leur apparition dans le corridor, suants et saignants, mais satisfaits. Ils pensaient avoir triomphé des deux derniers frères Wenrec. Cependant, Roger, qui fermait la marche, n’avait pas fait un pas dans le passage qu’il s’effondra vers l’avant comme un arbre. En effet, si Leoc était bien vaincu, en revanche Daniel s’était relevé, et ayant repris ses forces, venait d’envoyer à notre ami une lourde pierre directement à l’arrière du crâne.


Keane, en bon samaritain, se porta à la rescousse de Mac Kavel que la conque avait saisi dans l’une de ses pinces. Récupérant la pelle, il porta une série de coups sur la coque du mollusque et parvint ainsi à lui faire lâcher prise. Comme il fallait s’y attendre, c’est vers Keane que l’affreux animal porta alors son agressivité. Notre ami se retrouva à son tour pris dans l’étau terrible des pinces. Durant plusieurs longues minutes qui durent leur sembler affreuses, les deux druides tentèrent, celui-ci avec son bâton, celui-là avec un couteau, de dégager l’emprise que la conque exerçait sur Keane. Mais alors que notre médecin pensait être parvenu au bout de ses peines, il fut surpris par le jaillissement inopiné d’un liquide acide en provenance de l’intérieur de l’animal. Immédiatement il hurla de douleur. Comme cette lutte était ardue ! Quand devait-elle finir ?


Pendant ce temps, la créature marine dans sa cuve avait achevé son déplacement et était parvenue à l’extrémité des rails. Trois mètres seulement la séparaient du bateau, en longueur comme en hauteur. Wendish, qui tenait toujours le bébé et son pistolet avec son bras gauche, tentait de réaliser une manœuvre délicate pour faire descendre la cuve en direction de la crique et du bateau. Un bref échange verbal entre le chef de la Confrérie et l’homme à bord du bateau trahit l’identité de ce dernier : il s’agissait de Ray l’estropié. Nous connaissions donc enfin le décompte exact et la position de tous nos ennemis. Lewis, qui venait de faire son apparition dans la grande salle, se lança pour s’interposer avec Wendish, mais reçut en guise de sanction une balle dans la jambe qui le plongea un moment dans l’inconscience. Puis, ayant rengainé son pistolet et grâce à une corde et un anneau que Ray lui lança, Wendish entreprit d’arrimer la cuve.


Le Cne Sappleton, qui avait enfin réussi à assommer Daniel Wenrec (Scoting avait hélas entre-temps subi le même sort) nous rejoignit dans la grande salle. Comprenant la situation, il fonça sur Wendish qui pour faire face se débarrassa du bébé en le balançant tout simplement comme un vulgaire paquet de linge sale en direction de la crique, où son comparse Ray assurait la réception. Un corps à corps fougueux s’ensuivit entre le valeureux capitaine et le chef de la Confrérie. Coup de poing du Cne Sappleton dans le ventre de Wendish, qui répliqua par un coup de pied dans la hanche du premier … Mais la cuve était complètement arrimée et se trouvait maintenant en équilibre instable au bord de l’ouverture juste au-dessus de la crique. Elle finit par basculer sous la traction exercée au moyen de la corde par Ray. Le choc avec le sable impacta la paroi de verre sans la fendre. Puis Wendish se débarrassa du Cne Sappleton et sauta d’un bond vers la crique.
Keane s’était enfin libéré de l’étreinte de l’affreuse conque, qui rampait désormais en direction de l’ouverture pour rejoindre la crique. Après lui avoir donné un dernier coup rageur d’une force impressionnante, Keane chercha à empêcher nos adversaires d’embarquer la cuve à bord du bateau : il projeta sa pelle dans un mouvement désespéré à travers l’ouverture en direction de la crique. L’outil percuta la cuve, occasionnant un second impact, et rebondit sur Wendish le blessant-sérieusement.


Je repris alors mes esprits et pus lentement me relever en position assise, ce qui m’autorisa à observer la scène d’un œil hébété. Mac Kavel assistait Fergus qui se tenait le ventre, semblant souffrir tant des effets de sa maladie que des coups que lui avaient portés la conque. Wendish se tenait sur le bateau aux côtés de la cuve tandis que Ray entamait la manœuvre de départ. La conque immonde mouillait sur le rivage dans le sillage du bateau.
La partie était terminée. Il n’était plus possible de rejoindre l’embarcation qui déjà s’éloignait de nous. Scoting et son adjoint, qui avaient entre temps émergé de leur évanouissement, nous rejoignirent alors. Keane, malgré sa brûlure au visage qui le faisait toujours souffrir, trouva tout de même les ressources pour ranimer nos amis Lewis et Roger, ainsi que Gregor Wenrec, prudemment maintenu attaché par le Cne Sappleton. Le vieux sorcier fut soumis à un interrogatoire en règle, mais les réponses de l’intéressé furent assez déroutantes : « John et Ray sont partis rejoindre les grandes cités d’Innataniel, nous confia-t-il à demi-ahuri, ils accèderont à l’immortalité … Quant au bébé, elle est la fille de John, elle sera utilisée comme il se doit pour célébrer Dagon … Vous avez échoué … » Notre prisonnier fut ensuite pris d’un rire convulsif et s’enferma dans le mutisme.


Comment devions-nous traîter nos adversaires défaits ? Scoting, qui tremblait encore, manifesta son intention de rejoindre la Grande-Bretagne dans les jours à venir pour livrer l’ensemble de ces sinistres personnages – excepté Le Maboule, qui entre-temps avait inopportunément disparu – à la police de Sa Majesté. Ceux-ci passeraient la nuit fermement ligotés dans un cellier fermé à clef ou bien à la pension Crampton.
Quant à Wendish et à la fille de Margaret … Tous nous nous tournâmes vers Fergus, qui semblait s’être remis de ses émotions et était le seul à avoir une idée du plan à mettre en œuvre. Le druide voulait retourner dès demain à Man, rappelant le rôle essentiel de protection joué par sanctuaire au centre de l’île. Il nous mit aussi en garde contre la tentation que nous pourrions avoir de détruire le masque de nacre.


C’est sans regret que nous prîmes congé de ce lieu sinistre en emmenant nos prisonniers. Notre troupe se sépara en chemin avec des sentiments mêlés de gratitude réciproque, de fierté et d’impuissance malgré tout. Lewis accompagna Keane chez La Vérole. Celle-ci serait peut-être fâchée d’être réveillée en pleine nuit, cependant l’état de la joue de notre ami nécessitait l’application urgente d’un baume réparateur. Le Cne Sappleton, Roger et moi retournâmes au port. Èvidemment le bateau de Ray l’estropié manquait à l’appel. Nous retrouvâmes Farlan et Kirsten au Mary’s Galloway. Nous étions trop épuisés nerveusement pour avoir le courage de leur narrer les événements du manoir. Mais Farlan nous assura avoir travaillé efficacement depuis la fin de l’après-midi, et avoir enfin réussi à terminer les réparations. Quel soulagement ! Enfin nous allions pouvoir quitter cette presque île maudite et ce village à la population dégénérée !


La fatigue nous empêche d’avoir les idées claires. Nous n’avons pour l’heure qu’une envie : retrouver quelques forces au moyen d’une nuit de sommeil bien mérité. Même si cette nuit menace d’être agitée par de bien mauvais rêves … Quant à moi, les mêmes questions me taraudent. Tant de voix me parlent en même temps, tant de messages se contredisent. Dans quel camp se trouve la vérité ? Je revois cette créature marine, enfermée dans sa cuve, couchée sur le pont du bateau de Ray. Cette cuve allant rétrécissant et s’obscurcissant à mesure que l’embarcation s’éloigne du rivage et s’enfonce dans la nuit. Il me semble même entendre résonner en moi la voix de la créature. Est-ce un souvenir ou le fruit de mon imagination ? Sa voix qui me parle. Et qui me dit … Oh non ! Si seulement je pouvais être certain que c’est bien le fruit de mon imagination !
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Lordelric
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par Lordelric »

le Zakhan Noir a écrit :Je mets quand même le CR de la 4è séance, qui clôt le second volet. Bon, de toute façon, je suis le seul à le lire alors c'est pas grave hin hin (et je le comprends, ils sont tous trop longs, mais bon, on aime ça, et on n'arrive pas à éliminer des scènes...)
Non, non, je te rassure, il y en a qui lise tout jusqu'à bout, même si cela prend du temps. En tout cas bel effort littéraire, cela a du être un sacré travail à rédiger, mais le déroulement et l'ambiance sont bien rendus. Sur le fond, c'est plus contrasté : l'épisode du phare est vraiment 100% angoisse, alors que la partie sur l'île paraît un peu plus kitch, voir limite nanar sur l'affrontement final (la grosse bebête fait assez toc), mais avec de bons retournements quand même (l'attaque de Maboule avec le stéthoscope :twisted: )

J'aurai une petite question au niveau de l'organisation des parties : dans cette campagne, quels sont les personnages incarnés par des joueurs, et lesquels sont Pnj ? A la lecture, on a l'impression qu'il n'y a pas toujours eu le même nombre de joueurs autour de la table suivant les épisodes. Et comment a été géré le décés de Célestin Lemarchand ? Le joueur a abandonné la campagne ?

EDIT : en tout cas cela m'a presque redonné envie de me remettre à l'Appel de Cthulhu :yes:
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Lordelric a écrit : J'aurai une petite question au niveau de l'organisation des parties : dans cette campagne, quels sont les personnages incarnés par des joueurs, et lesquels sont Pnj ? A la lecture, on a l'impression qu'il n'y a pas toujours eu le même nombre de joueurs autour de la table suivant les épisodes. Et comment a été géré le décés de Célestin Lemarchand ? Le joueur a abandonné la campagne ?
Oups, désolé mister, tellement pas l'habitude, que j'ai pas vu ton post, hi hi! Merci pour tes commentaires


Alors, normalement les PJs sont décrits au début:


1) Rochus Bradley, l'étudiant en archéo celtique...et peut-être un peu plus que cela
2) Roger Walras, huissier/recouvreur de dettes/ briseur de genoux selon des mauvaises langues (dont le joueur a raté la séance baston à Bryn Celli Ddu)
3) Célestin Lemarchand,dandy mort (le joueur a fini la séance avec le capitaine Sappleton, a raté toutes les séances au village puis a joué la journaliste lors du dernier volet)
4) Keane O'Brian, le médecin irlandais alcoolo

C'étaient les 4 PJ de base, plus les deux suivants, toujours présents mais passifs jusqu'à leur "activation" (pouf) par les joueurs

4) Lewis Burton, l'écrivain de gare

5) Kirsten Mc Luhan, journaliste écossaise

Donc, oui le nombre de PJ a été variable, entre 3 et 5, souvent 5 ceci dit...

Bon, et j'ai reçu le CR de l'avant-dernière séance, première moitié du troisième volet: "le Sanctuaire des Eaux noires". Je le poste ci-dessous
Dernière modification par le Zakhan Noir le ven. sept. 24, 2010 3:39 pm, modifié 1 fois.
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

CR écrit par Kirsten Mc Luhan, journaliste (ou par son joueur si vous préférez)
Là aussi, vu la longueur, je vais scinder en plusieurs morceaux


LEWIS BURTON, ECRIVAIN LE JOUR… ET HEROS LA NUIT
(travail en cours) texte et photographies Kirsten Mac Luhan
A l'heure où l'Empire traverse une grave crise de conscience qui amène certains de nos concitoyens à remettre en cause les acquis les plus fondamentaux de notre société, quel soulagement d'apprendre qu'il existe encore de vrais héros, dignes de la longue et grande histoire de notre prestigieuse nation ! Et lorsque ces personnages d'exception prennent en plus les traits de l'un de nos auteurs les plus avant-gardistes, l'émotion n'en est que plus forte.

Dans certains cercles, il est de bon ton de se gausser des aventures, parfois rocambolesques il est vrai, de Licky Narson, narrées avec un brio inégalé par monsieur Lewis Burton depuis maintenant plus de dix ans – et trente-deux volumes. Qui n'a pas entendu, dans un bus à impériale ou sur les bords de la Tamise, un lecteur incrédule s'exclamer : "Où vont-ils chercher tout ça", en tournant avec fièvre les pages de son opuscule ?
Bien décidée à répondre à cette angoissante question, votre dévouée servante avait obtenu du maître lui-même la permission de le suivre jusque dans sa retraite irlandaise où, me confia-t-il, il comptait retrouver l'inspiration. Ceux de nos lecteurs qui possèdent une résidence secondaire sur la côte occidentale n'ignore pas que le temps y est parfois bien capricieux [note : glisser une photo du bateau pour que les gens voient dans quelles conditions pourries on travaille].

A la suite de péripéties trop insignifiantes en comparaison de ce qui allait suivre et dont le récit risquerait d'ennuyer inutilement notre clientèle, le petit groupe de voyageurs au sein duquel Lewis Burton s'était glissé avec une simplicité et une convivialité qui l'honorent se trouva contraint de séjourner un temps dans un petit village gallois au nom fort pittoresque mais néanmoins imprononçable [insérer la photo du bled].
Un héros blessé dans sa chair

La réputation d'honnêtes fermiers de nos amis gallois n'est plus à faire. Malheureusement, leur sens de l'accueil un peu frustre et leurs manières primitives nous contraignirent à vivre un peu chichement. Plusieurs ouvrages seraient sans doute nécessaires pour couvrir en détail les mœurs pour le moins étranges de ces gens simples, qui vivent dans un dénuement matériel et moral que les citadins n'imaginent sans doute pas.
Victime d'une légère intoxication alimentaire, je manquai l'essentiel des événements contés dans mes chroniques précédentes. Au récit de monsieur Burton, je compris néanmoins que des événements fort graves s'étaient produits dans ce lieu oublié par l'histoire. La modestie naturelle de ce grand aventurier l'empêcha évidemment de se mettre en avant mais je compris rapidement que son courage et sa capacité à prendre les bonnes décisions aux bons moments avaient sauvé la vie de nos compagnons de voyage.

Pourtant, malgré toute la vaillance de notre estimable concitoyen, des malfaiteurs étaient parvenus à s'enfuir en emmenant avec eux un enfant du village. Qu'un tel crime puisse encore se produire à notre époque de progrès et de culture civilisatrice a sans doute de quoi décourager les esprits les plus nobles. Il en aurait cependant fallu bien davantage pour abattre un homme de la trempe de Lewis Burton.
La suite ne me permit cependant d'apprendre dans quels buts inavouables ces hors-la-loi avaient ainsi bafoué les bonnes mœurs. En effet, deux sympathiques gentlemen à la mise rustique qui s'étaient, semble-t-il, joints aux efforts de notre sympathique héros furent pris en cet instant d'un malaise bien compréhensible.

Le grand Lewis Burton lui-même ayant été atteint d'une balle dans la jambe pendant la rixe, le brave médecin irlandais qui avait fait route avec nous, le docteur Keane O'Brien, mobilisa toute sa science pour extraire le projectile. Nous devons ici à la vérité de préciser que, contrairement à la plupart de ses compatriotes, il sut faire preuve d'une sobriété et d'un sang-froid tout à fait louable dans ces circonstances difficiles. De son côté, en bon Britannique, monsieur Burton ne pipa mot pendant l'opération.

En revanche, la science du docteur O'Brien paraissait impuissante à soigner les deux hurluberlus, qui me furent présentés comme étant "des druides". Plutôt que de les vilipender pour leur hygiène douteuse – un mal hélas bien trop répandu dans nos contrées les plus reculées – nous préférons ici inviter le lecteur à méditer sur les graves conséquences qu'une telle négligence peut engendrer.
Peut-être harassé par la lutte qu'il venait de livrer contre la mort ou ayant tout simplement perdu ses facultés, le docteur se déclara incompétent face à une telle "malédiction" et insista pour que l'on s'en remît aux bons soins de la guérisseuse locale, que le courageux monsieur Walras s'empressa d'aller quérir [photo de la mémé].

Privés de l'influence civilisatrice de monsieur Lewis, les esprits s'échauffèrent. Les avis sur la marche à suivre divergeaient, les hypothèses se succédaient et parfois se chevauchaient, sans que l'on avançât d'un pas. La paysanne se déclara incapable de soigner qui que ce soit, ce qui n'étonnera pas le lecteur averti. Brisant la règle de neutralité chère à tous les gens de ma profession, j'évoquais la possibilité qu'une épidémie se fût déclarée sur l'île d'où étaient originaires ces deux "druides". L'esprit embrumé par les miasmes délétères qui leur rongeaient le cerveau, ils se contentèrent de réponses approximatives.

Monsieur Rochus Bradley, un jeune étudiant au demeurant fort brillant projeté avec nous dans cette sinistre tempête, semblait quant à lui avoir été violemment éprouvé par les événements précédents. Afin de préserver son avenir et sa réputation, nous avons décidé de ne pas publier ses propos in extenso. Tout juste nous bornerons-nous à constater son étrange comportement : le pauvre avait apparemment développé une inquiétante phobie des fruits de mer, en même temps qu'une fascination pour le moins étrange pour tout ce qui touchait à l'élément marin.

Au milieu de cette cacophonie, un consensus se dégagea malgré tout : il fallait se rendre à Curtain Wall où, selon toute vraisemblance, l'enfant avait été conduit par ses ravisseurs. Coïncidence troublante, les deux vagabonds hirsutes nous affirmèrent vivre là-bas, au sein de ce qu'ils nommèrent avec une certaine morgue une "communauté".

A ce stade, le lecteur s'étonnera sans doute qu'une douzaine de personnes adultes et (pour la plupart) instruites se lancent ainsi à l'aventure en omettant d'en informer les autorités. Il ne doit surtout pas y voir une invitation à prendre la loi en main, selon la formule consacrée. Toutefois, tout délai risquait de coûter la vie de ce nourrisson innocent.
Les craintes bien légitimes concernant l'aspect sanitaire de notre entreprise furent rapidement dissipées par le docteur O'Brien, qui nous assura également n'avoir rien bu de la soirée. Nous allâmes donc nous coucher avec nos incertitudes, conscients que chaque minute pouvait compter mais indécis quant à la marche à suivre.
Dernière modification par le Zakhan Noir le ven. sept. 24, 2010 3:43 pm, modifié 1 fois.
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Plus qu'un héros, un meneur
Quelle ne fut pas notre surprise, à notre réveil, de trouver Lewis Burton sur pied ou presque ! Comme le grand écrivain nous l'aurait sans doute rappelé lui-même s'il n'avait pas été occupé ailleurs, ni la maladie, ni la souffrance n'arrêteront jamais l'homme britannique sur le chemin de la justice. Malgré sa condition extrêmement précaire, monsieur Burton était prêt à en découdre avec la Terre entière.

"Qu'on m'amène des béquilles", rugit-il. Face à un tel courage, nous ne pouvions que nous incliner et emboîter le pas de ce personnage hors du commun, auprès duquel Licky Narson lui-même aurait fait bien pâle figure. En dépit de l'heure matinale, le rude marin qui nous avait guidés jusque-là se tenait prêt à partir, démontrant une fois de plus qu'une éducation modeste n'empêchera jamais un honnête travailleur de remplir sa tâche avec courage.
Malheureusement, mon souci bien féminin de propreté ne rencontra durant notre trajet qu'un écho très lointain chez mes interlocuteurs. L'exemple de ces deux malheureux qui avaient foulé aux pieds les règles les plus élémentaires de l'hygiène et qui manquaient s'étouffer dans leurs barbiches mitées n'avait-il donc servi à rien ? Il fallait le croire.

Fort heureusement, le jeune monsieur Bradley, qui avait sans doute bénéficié d'une éducation digne des meilleurs maisons, parut plus sensible à cette question. Mais, dans son enthousiasme juvénile, il fit preuve d'une intransigeance étonnante. Sans se soucier des circonstances, il exigea qu'on lui apporte une bassine pleine, sur-le-champ. Confronté au refus goguenard du capitaine, il alla jusqu'à plonger lui-même une bassine dans la mer afin de pouvoir épancher au plus vite sa soif de propreté.
Voilà qui devrait nous rappeler qu'en toutes choses, la modération doit rester de mise. Le soleil avait décidé d'honorer de sa présence notre brève traversée, ce qui eut un effet bénéfique sur le moral des voyageurs épuisés que nous étions. Quoi qu'en dise les mondains qui boudent notre belle Angleterre pour aller s'exhiber sur les plages françaises, notre côte occidentale n'a pas à rougir de la comparaison, surtout par beau temps.

Cette clarté automnale nous permit également d'être les témoins d'un phénomène étonnant. Pendant de longues minutes, nous aperçûmes des bancs de créatures blanchâtres qui se déplaçaient selon une ligne plus ou moins perpendiculaires à la nôtre. Tour à tour, nous essayâmes de deviner de quels animaux il pouvait bien s'agir – phoques, dauphins ou tritons, encore que cette dernière supposition semble particulièrement farfelue, compte tenu de la taille de ces animaux [penser à faire une photo en rentrant]. Le jeune Bradley parut tout spécialement intrigué par ce spectacle.

Nous arrivâmes à bon port quelques heures plus tard. Qu'il soit bien entendu ici que nous employons le terme "port" dans son acception la plus large, puisqu'un simple escalier en pierre, taillé à même la roche, tenait lieu de débarcadère [photo]. L'un de ces fameux druides nous expliqua, entre deux quintes de toux, que le point d'accès avait été rendu inutilisable par la récente tempête.
Alors que nous nous apprêtions à nous lancer dans cette périlleuse escalade, le volcan pestilentiel d'une idéologie moyenâgeuse et obscurantiste projeta ses scories nauséabondes sur le pont. A l'article de la mort, les deux hurluberlus se révoltèrent soudain contre la présence… d'une femme sur leur île ! En d'autres circonstances, on eût cru rêver devant tant de sottise.

"Ben… c'est que, y en a jamais eu avant", ânonna le pauvre hère qui tenait lieu de porte-parole à cette triste délégation. Nous laisserons le lecteur seul juge de la portée d'un tel argument historique. A croire que ces druides n'avaient jamais entendu parler des suffragettes ! Quoi qu'il en soit, sa motion ne rencontra qu'un silence gêné, ou consterné, dans notre petite assemblée.

En revanche, je dus me résoudre à abandonner mon appareil sur le bateau pour poursuivre ce reportage de façon plus traditionnelle. "Attention de ne pas vous foutre à la flotte", nous avertirent nos hôtes, avant de gravir les marches avec une agilité que n'auraient pas renié ces amusants petits ouistitis que l'on peut admirer à la Zoological Society of London.
Pour nous, la tâche fut moins aisée, d'autant que nous comptions tout de même un blessé et une personne âgée dans nos rangs. Un esprit pusillanime eût réclamé de l'aide pour franchir l'obstacle ; un lâche eût supplié qu'on le laissât passer en premier afin de minimiser les risques. Lewis Burton exigea de fermer la marche en compagnie du docteur.

Malheureusement, les années avaient eu raison de la vaillance de notre vénérable compagnon. Alors que nous nous trouvions déjà en sécurité au sommet de l'escalier, la malchance voulut que le docteur dérape sur les degrés les plus glissants, au risque de se briser le cou. N'écoutant que son courage et au mépris de sa propre santé, l'un de nos plus grands auteurs fit apprécier ses réflexes fulgurants en tendant une béquille salvatrice au vieillard tremblant.

Sans doute faudrait-il tout le talent de Lewis Burton lui-même pour faire revivre au lecteur l'angoisse et la tension qui nous agitèrent tandis que nous assistions à ce sauvetage miraculeux. Avec son ironie coutumière, le destin venait d'offrir à monsieur Burton la chance de sauver la vie de l'homme qui avait sauvé la sienne, quelques heures auparavant. En des circonstances moins pressantes, l'émotion nous aurait sans doute débordés.
Hélas, le spectacle qui s'offrit à nous à l'intérieur des terres fut bien moins exaltant. Au milieu des cahutes crasseuses qui formaient l'essentiel des habitations sur l'île, des hommes de tous âges agonisaient. Peut-être parce qu'il venait lui-même de frôler la mort, le docteur ne parut pas s'émouvoir outre mesure du sort de ces malheureux et se risqua même à quelques plaisanteries d'un goût fort douteux que nous ne rapporterons pas ici, par charité chrétienne.

Au milieu de ces visages moribonds, un druide de forte carrure et présentant tous les signes extérieurs de l'alcoolisme vint à notre rencontre. De toute évidence, son vice l'avait préservé de la maladie qui, comme nous l'avions pressenti, s'était développée à partir du réservoir qui abreuvait les habitants de l'île. Compte tenu du contexte délicat, nous nous abstînmes de tout commentaire sur sa conduite, quand bien même son manque de retenue et son mépris évident des bonnes mœurs nous révoltaient.

Malgré son existence dissolue, l'homme se montra malgré tout serviable. Il nous apprit notamment qu'un certain nombre de ses collègues œuvraient dans des cavernes voisines. Sans hésiter, nous partîmes à leur rencontre quand, une fois de plus, nous fûmes retardés par des considérations d'un autre temps. D'aucuns prétendaient interdire l'accès desdits souterrains à votre servante au prétexte qu'aucune femme n'était admise en ces lieux. Cette fois, nous écrasâmes toute protestation du poids de notre mépris.
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Plus qu'un meneur, un sauveur
Nos pas nous conduisirent au chevet de l'homme qui se trouvait à la tête de cette étrange communauté. Le pauvre hère était si mal en point que les minutes lui semblaient comptées. Dans son délire, il évoqua des créatures marines qui devaient se reproduire dans un sanctuaire que les druides se devaient de protéger. Emportés par l'ambiance morbide qui régnait en ces lieux, aucun de nous n'eut la présence d'esprit de remettre en cause ses propos. Il nous signala également que ses collègues participaient actuellement à une cérémonie pittoresque destinée à éloigner les créatures en question.

Faisant fi de toute raison, nous accourûmes sur les lieux dans l'espoir de prêter main-forte à ces malheureux. En dépit de son caractère profondément païen, la cérémonie en elle-même se révéla impressionnant : des hommes de tous âges, pieds nus, étaient allongés au sol et mêlaient leurs voix dans la pénombre d'une caverne de belle taille. Au-dessus de leurs têtes, une roche étrangement taillée pendait à l'extrémité d'un fil qui se perdait dans les hauteurs de cette salle naturelle.

Un vieillard crasseux qui, dans un autre contexte aurait tout eu du charlatan, se présenta sous le titre de barde et se proposa de tester notre aptitude à participer à ce qu'il nommait pompeusement "le chant des hommes". Le lecteur ne sera pas surpris d'apprendre que votre servante n'a pas eu cet honneur… Il ne s'étonnera pas davantage de découvrir que les évidentes qualités humaines et spirituelles de monsieur Burton n'échappèrent pas à notre interlocuteur. Monsieur Walras fut également choisi. Avec un manque d'éducation que ne trahissait pas son apparence rurale, le barde rejeta sommairement la candidature de Rochus Bradley : "Surtout pas", s'exclama-t-il après avoir pris la tête du sympathique universitaire entre ses mains. Fort heureusement, celui-ci ne prit pas ombrage de l'offense.

Ce dernier, d'un caractère plus émotif qu'on ne l'aurait cru en le jugeant à sa mise, fut rapidement pris de spasmes. "Je me sentais doté de pouvoirs télépathiques", nous révéla-t-il après coup. Voilà qui prouve une fois encore, si besoin était, que toutes ces affaires de spiritisme doivent être prises avec le plus grand sérieux. Qui sait quels ravages des aigrefins dotés d'un sens de la mise en scène poussée pourraient faire parmi les honnêtes gens ?
Le docteur, monsieur Bradley et votre servante assistèrent un moment la cérémonie, jusqu'à ce qu'une curiosité bien naturelle reprenne le dessus. Avant de décéder, le vieux druide avait parlé d'une salle des soupirs dans laquelle il pouvait s'entretenir avec celui qu'il nommait "l'Ancien". Sans même nous concerter, nous résolûmes d'aller à la rencontre de ce mystérieux personnage.

Nous trouvâmes cependant porte close. Nos hôtes avaient manifestement quelque chose à cacher. Mais une fois de plus, le vice vint au secours de la vertu. Faisant appel à de lointains souvenirs dont l'origine nous paraît aujourd'hui plutôt douteuse, le docteur O'Brien parvint à crocheter la serrure à l'aide de son bistouri.
Grâce à cette inattendue et peu conventionnelle, nous pénétrâmes dans une vaste caverne humide dans laquelle un puits avait été creusé. Etrangement, nos appels intrigués reçurent rapidement une réponse. La voix qui s'élevait depuis les profondeurs de la terre était déformée par un épouvantable accent gaélique. Sans doute l'ancien n'avait-il pas eu l'occasion de bénéficier des bienfaits de l'enseignement public. Nous comprîmes rapidement que le malheureux était assez peu au fait des derniers événements en surface. En revanche, de son propre aveu, le sanctuaire marin ne lui était pas inconnu.
Faisant preuve d'un sens des convenances honorable mais peu pratique, il nous invita à le rejoindre afin de poursuivre cette conversation de vive voix. Entretemps, la cérémonie païenne avait pris fin : ébranlés par cette expérience inédite mais plus déterminés que jamais, messieurs Walras et Burton nous rejoignirent.

Plus qu'un sauveur, un explorateur
L'Ancien – appelons-le ainsi – nous avait mis sur la voie en nous glissant qu'une brèche située près du réservoir conduisait à son domaine. Malheureusement, les recherches s'avérèrent malaisées à plus d'un titre. L'obscurité, l'eau polluée et la barque, qu'il nous fallait manier à l'aide de gaffes, se révélèrent autant d'obstacles sur notre route. Nous faillîmes manquer le passage en question mais, une fois de plus, la vivacité d'esprit du docteur nous évita une cuisante déconvenue.
Avec difficulté, nous nous engageâmes dans l'étroit passage, lequel descendait en pente douce. Nous errâmes un certain temps dans des couloirs sans âges, jusqu'à ce qu'une forme indistincte se dessine à proximité. Notre imagination, les émotions et la fatigue avaient eu raison de nous : dans la pénombre de ces boyaux souterrains, le vieillard nous apparut comme un monstre hideux et inhumain, provoquant la crainte et même, dans le cas de monsieur Walras, un dégoût non dissimulé.

L'homme s'exprimait avec difficulté. En réponse à nos questions pressantes, il nous enjoignit de le prendre par la main. Ce qui se produisit ensuite, je ne saurais le décrire avec exactitude. La seule chose que je puis affirmer avec certitude, c'est que nous avions tous été victimes de la même hallucination. Comme dans un rêve, nous vîmes des hommes primitifs s'entretenir avec des monstres parmi lesquels se tenait notre interlocuteur. Des propos étaient échangés, que nous n'entendions pas. Puis, sans crier gare, l'une des créatures attaqua un humain et la scène toute entière fut plongée dans le chaos. Les images se succédaient à un rythme effréné, jusqu'à ce que les hommes parviennent à sceller les lieux en faisant écrouler une partie du plafond. Nous aperçûmes notre interlocuteur qui fuyait par un passage dérobé avant la catastrophe.

En bon romancier, Lewis Burton prit la chose très au sérieux. Je me contentai de regretter que l'appareil photo n'ait pas été inventé à l'époque. Quoi qu'il en fût, nous étions animés de la certitude que le lieu que nous venions de voir était bien le sanctuaire marin.
Alors que nous revenions sur nos pas, nous remarquâmes une fissure au cœur de la roche. L'Ancien nous apprit que celle-ci menait directement au sanctuaire mais il nous déconseilla vivement de l'emprunter. A l'en croire, les lieux pouvaient être envahis d'une minute à l'autre par les créatures que nous venions d'apercevoir.


En homme pratique, le docteur observa que ladite fissure longeait le réservoir qui contenait vraisemblablement plusieurs milliers de litres d'une eau empoisonnée. L'idée d'attaquer la roche afin de déverser ce liquide malfaisant sur ces montres, réels ou imaginaires, s'imposa à nous. Toutefois, l'entreprise s'annonçait périlleuse. En effet, la personne qui se chargerait de la chose risquerait d'être emportée par le courant. En outre, nous ne disposions pas des outils nécessaires, pas plus que des cordages indispensables pour assurer la sécurité de celui qui se dévouerait pour mettre un terme à cette folie.

Ces considérations matérielles m'ont fourni un excellent prétexte pour revenir à la surface, en compagnie de monsieur Bradley et du docteur, qui ont eu la gentillesse de m'escorter…
[penser à reprendre mes notes une fois que cette histoire de fous sera terminée]
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le Zakhan Noir
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Bien, le joueur incarnant Lewis Burton a pondu le dernier CR de cette mini-campagne. Je le trouve vraiment très bon au niveau stylistique, mais je préviens tout de suite, il n’est pas complètement fidèle au déroulement de l’histoire.

En fait, comme il incarnait un écrivain de roman de gare (avec son héros récurent, Licky Narson) qui est mort durant le final, il a établi son CR en deux parties une lettre d’introduction que je vous mets dans ce post-ci puis le CR lui-même qui est en fait conçu comme une nouvelle de l’écrivain, très héroïque, très pulp, et donc pas du tout dans l’ambiance oppressante du bouzin mais ce prisme déformant (il a changé les noms des PJ par exemple) est tellement bien foutu , bien écrit et assez hilarant, que je vous le restitue tel quel dans les posts suivants

Bonne lecture… Lordelric !


Lewis Burton Society



Très chère Mrs McLuhan,



Au nom de la Lewis Burton Society, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour vos touchants messages d'encouragement.



Cela fait à présent trois années que notre bien aimé Ecrivain est parti pour la plus grande de toutes ses Aventures, et pour nous, c'est comme s'il était toujours présent avec son enthousiasme et son inspiration. Nous savons le rôle que vous avez joué aux derniers instants de sa vie. Vos articles et le récit que vous avez eu la gentillesse de nous faire dans notre modeste club du Suffolk ont été pour nous un témoignage précieux et émouvant. Oserais-je ajouter qu'ils nous permettent de faire notre deuil et d'avancer d'un pied vaillant sur le chemin de la vie ! Mais voilà que 'emprunte les expressions de M. Burton ! J'espère finalement, que de là haut, il nous regarde avec bienveillance !



Venons-en à présent à l'objet de ce courrier. Comme vous le savez notre Société organise chaque année la Licky Narsson Convention, rebaptisée depuis l'année dernière la Licky Narsson & Lewis Burton Convention. Pour célébrer les 20 ans de la sortie de "Un gentleman dans la jongle du Kampuchéa" - le premier récit de notre Héro - nous avons imaginé une manifestation qui sortirait quelque peu de l'ordinaire. Durant votre brillant exposé, Mrs McLuhan, vous sembliez particulièrement insister sur une localité où Lewis Burton séjourna pendant son expédition en mer d'Irlande. L'héroïsme dont il fit preuve là bas et la convalescence qu'il y passa nous laisse à penser que Bryn Celli Ddu - puisque c'est de ce pittoresque ilot qu'il s'agit - devait occuper une place toute particulière dans son cœur. Dans l'euphorie de nos discussions, mettons cela sur l'enthousiasme contagieux des lectures des aventures de Licky Narsson, nous avons décidé d'y établir la XIIIème Convention !



Les choses avancent bon train. L'accueil de notre projet fut quelque peu réservé, mais nous gardions en mémoire les notes de M. Burton sur le caractère introspectif et rude des ces insulaires. Nous avons d'ores et déjà réservé la pension de feux Mrs Crampton. Imaginez-nous tenir nos repas et nos assemblées dans ce lieu où le grand Ecrivain séjourna ! La raison pour laquelle je vous sollicite concerne votre mémoire. Avez-vous connaissance d'amis ou de rencontres que M. Burton aurait pu faire là-bas ? Nous avons quelques peu anticipé les choses et pris contact avec certains de ses habitants. Le cadet d'une certaine Mme V. Roll-Wenrek, un garçon très vif nous a-t-on dit, serait d'ores et déjà prêt à y faire un discours ! N'est ce pas merveilleux ? Par ailleurs, et j'espère que vous me pardonnerez cette requête quelque peu directe, vous nous feriez un immense honneur à accepter notre invitation. Nous pourrions imaginer par exemple la lecture du manuscrit déposé chez son sollicitor et publié à titre posthume "Licky Narsson et la fille du Roi de Perse"... Il va de soit que nous couvririons tous vos frais !



Enfin, et je gardais cela pour la fin, une statue à l'effigie de Lewis Burton dans ses jeunes années a été commandée auprès de la fonderie Mc Namara de Sheffield. Nous pensons sérieusement en faire don à la municipalité de Bryn Celli Ddu ! Cette idée les a rendus muets !



Je n'ai que trop occupé votre temps. Vous trouverez en annexe de ce bavard courrier une courte nouvelle écrite par un des membres de notre société les plus prometteurs. J'espère que vous en apprécierez sa lecture et qu'à travers ses lignes, l'esprit de notre cher Burton Lewis vous visitera.



Dans l'attente de vous lire,



Mrs Camilla Padington

Hnrs Présidente de la Lewis Burton Society
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

Nous avions laissé Licky Narsson en vilaine posture sur l'ile druidique de Curtain Wall. Sans les lumières de notre aventurier, ses équipiers semblaient désorientés et ânonnaient fadaises et plans farfelues devant la fissure...

- "Grands Dieux ! Rien ne vaut un somme pour remettre un Homme sur ses deux jambes !" lança Licky Narsson en s’écartant avec sa souplesse toute féline de la roche humide contre laquelle il se reposait.

- "Oh Licky ! Licky !" supplia Lauren en attrapant le bras lacéré de l'intrépide Aventurier. "Licky, vous êtes impossible, cela fait à peine quinze minutes que vous vous êtes assoupi. Vous êtes blessé...".

D'un air goguenard, Licky pris ses deux mains dans les siennes, ce qui fit rougir la prude journaliste.

- "Vous savez Lauren. Il y a des jours où un Homme a rendez vous avec son Destin. En de pareilles occasions, il serait inconvenant d'arriver en retard". Tous mesurèrent la profondeur de sa réflexion. "Qui plus est, j'appris d'un pirate javanais le secret des marins qui leur fait tenir la barre des semaines durant sans dévier de leur cap. Bien évidement je ne dispose pas de leurs excitants exotiques mais, voyez vous, Lauren..." Elle le laissa plonger ses yeux noirs ténébreux dans les siens "... avec de la volonté, il y a peu de chose qu'on ne puisse accomplir".

- "Oh... Licky..."

Prenant la jeune femme par la taille, il se tourna vers ses compagnons. "Et, bien, vous me semblez bien perdus, camarades !".

Roger Walrus, le solide agent des assurances avança d'un air penaud. "C'est que, Licky, il ya cette faille... et puis ce peuple-poisson... et l'enfant... vraiment tout cela c'est trop pour nous".

Le Professeur Narsson parti d'un grand éclat de rire qui résonna dans la caverne lugubre. Son rire communicatif détendit l'atmosphère et bientôt, ce furent tous ses compagnons qui le joignirent.

- "Merci Licky, c’est c’dont nous… hips… avions b’soin à présent" dit avec gratitude le docteur O'Reilly, le doyen du groupe, miraculeusement arraché des griffes de la Mort par notre aventurier durant l'escalade des falaises qui protégeait l'ile des indésirables.

- "Allons, messieurs ! Je ne vois là rien de très étonnant".

Rochas - le plus fragile d'entre eux - poussa un cri. "Enfin, M. Narsson ! Nous sommes perdus, vous le savez comme nous ! Les hommes poissons nous attraperons comme ils ont attrapé l'enfant ! Les druides sont impuissants ! Nous sommes impuissants ! Et puis cette salle secrète qu’ils convoitent, nous est interdite d'accès !".

Licky Narsson, repris son air sérieux et concentré qu'il arborait quand sa formidable intelligence trouvait un point de fixation ; une énigme à résoudre. Soudain, ses yeux s'éclaircirent pour prendre la teinte du vert profond des forêts de son Yorkshire natal. Alors, lentement, il prépara sa pipe avec un sourire désarmant.

- "Enfin qu'il y a t il ?" rugit Rochas
Prenant le temps d'allumer sa plus fidèle amie, il tira une bouffée profonde et regarda le jeune étudiant.

- "Si tu avais pris le temps d'analyser la situation, mon jeune ami, tu aurais pu noter deux choses". Sa remarque fit sensation ; tout le monde était suspendu à la révélation qu'il s'apprêtait à faire. "Primo, tu aurais pu constater, en tendant ton oreille, que cette faille qui nous parait si réduite doit surement s'élargir compte tenu de l'écho qui depuis tout à l'heure répète nos paroles". Il tira une seconde bouffée et reprit. "Et deuxièmement, tu aurais remarqué ces petits coquillages fossilisés qui n'apparaissent qu'au pied de cet étroit conduit. Aucun doute possible, cette faille mène à la mer et avant elle à notre salle secrète !"

- "Oh ! Licky..." s'écria Lauren

- "Alors mes amis ? Resterez vous ici a aider ce pauvre Roger qui tente de déloger cette dalle pour noyer les poissons, ou me suivrez vous ?!"

- "Hourra !" crièrent ils tous à l'unisson. Le pauvre Roger frotta ses articulations endolories et se glissa à la suite de notre Aventurier dans ce passage qui, semblait-il, menait droit aux entrailles de la Terre...



Sans l'audace et la torche de notre intrépide Explorateur, nul doute que ses compagnons auraient tournés talon. Toutefois inspirés par son exemple, conscients des blessures dont ils pouvaient constater le sanglant témoignage à intervalles réguliers sur la paroi, Rochas, Lauren, O'Reilly et Walrus lui emboitèrent le pas. Leur descente dura des heures durant lesquelles, plus qu'a leur cordée, c'est à la trempe de Licky Narsson que tous se cramponnaient. Lauren repensa au discours qu'il lui avait tenu une fois sur le courage et sur ce qu'un Homme de devoir se devait d'accomplir - parfois dans l'ombre - pour vivre face a face avec lui même. Quel extraordinaire orateur il était tout même. Se reprochant son sentimentalisme elle rougit, et reprit de plus belle sa marche dans les pas de son Inspirateur. Au terme d'un longue intervalle, le chemin se fit moins raide et le tunnel s'élargi pour laisser place à un spectacle stupéfiant. Des ossements qui n'auraient pu appartenir à des hommes jonchaient une allée laiteuse éclairée par un plafond qui semblait battre lentement au rythme d'un ressac inhumain et profane.

Tombant sur un crane hideusement déformé, le docteur O'Reilly l'inspecta avec horreur.

- "Pas un homme… pas une baleine… hips… cette mâchoire..." Tournant ses yeux embrumés par une consommation trop régulière du whisky qu'il tirait de sa flasque intarissable, il reprit "Mes enfants, il n'y a guère que Dieu qui puisse nous sauver à présent...".

Ils n'eurent pas le temps de se recueillir, que Licky Narsson intervint. Retournant vers ses équipiers, il écrasa de sa botte, le crane monstrueux et balaya les restes d'un air dédaigneux.

- "C'est ce qu'on essaie de vous faire croire, en effet, mon vieil O'Reilly !" Posant ses poings contre ses hanches il reprit en bombant le torse. "Le plus surprenant est qu'un homme de sciences comme vous, et qui plus est, n'est plus un enfant, croit en ces balivernes ! Comme vous le savez, les amis, j'ai quelques peu voyagé par le passé".

D'un air rêveur, tout le groupe se replongea alors dans les récits trépidants et exotiques dont Licky les régalait depuis leur rencontre.

- "Durant un de mes périples, j'’eu la malchance d'accoster sur une petite ile du Pacifique, territoire d'un peuple mélanésien guerrier et mauvais. Je n'avais guère le choix, mon navire ne pouvait aller plus loin et mes réserves en eau potable étaient épuisées. Ce que j'ai pu y voir - je vous passe les détails rocambolesques au cours desquels je parvins à libérer les prisonniers d'une compagnie de chemin de fer néerlandaise et a détruire leur temple maudit dédié a une pieuvre géante – ce que j’ai pu y voir, donc relevait de la consanguinité la plus extrême. Les corps de ces sauvages, étaient difformes, ramassés, leur faces : grotesques et prognathes. L'alliance de leur sang maudit et d'un effroyable régime alimentaire où le cannibalisme le disputait au scorbut avait marquée ces hommes - car comme le sage Darwin l'a démontré, c'est bien de cela qu'il s'agissait.. Des cranes comme celui qui vous as effrayé, mon bon O'Reilly… il y en avait là bas des centaines !"

Constatant l'effet de ses paroles sur le groupe qui, peu à peu reprenait espoir, il leur lança :

- "Hardis ! Compagnon, un enfant compte sur vous !"

- "Hourra !" crièrent-ils tous en cœur.

Continuant leur progression, ils découvrirent d'autres ossements, mises en scènes macabres qui à présent ne les affectaient guère. Enfin, au bout de plusieurs heures de cette progression ils arrivèrent à un vaste espace dont le volume était suggéré par l'écho profond de clapotis inquiétants. Les flots sombres et maléfiques qui cachaient Dieu sait quelles horreurs n'étaient plus loin. Un autel impie attira l'attention de Licky Narsson. Rappelons ici au lecteur qu’avant son doctorat de physique, l'Aventurier avait brillamment soutenu sa thèse d'archéologie sur les racines communes de certaines croyances primitives du sous continent Indien, de l'Amérique pré Colombienne et des peuples africains des hauts plateaux. Les panneaux d'albâtre déformés par l'environnement marin hostile décrivaient des scènes de sacrifices et de dévotion à la grotesque idole Dagon. Les yeux bleus du professeur parcouraient ces illustrations avec acuité.

- "Tout cela est limpide" murmura Nicky. Il sentit la présence toute féminine de Lauren qui vint se blottir contre lui.

- "Oh ! Licky ! Tous ces monstres ! Ces crimes ! C'est horrible".

- Il posa sa main rassurante sur la fragile épaule de la journaliste. Sentant son corps frêle et tremblant, il reprit "C'est tout l'objectif de ces saynètes, Lauren. Impressionner les visiteurs, et les faire déguerpir. Mais pour qui parvient à garder son calme, à continuer d'avancer d'un pas sûr, épaulé comme nous le sommes, par la Raison et le Justice, alors celui-ci, tombera vraisemblablement sur une meute de zoulous dissimulant derrière leurs masques un désarroi bien légitime face à notre aplomb. Les cultistes que nous rencontreront, car il ne fait à présent nul doute que nous venons de découvrir leur repaire, seront les premier effrayés à nous trouver là. Soyez sûr de notre bon droit, ma cher Lauren. Et puis... " Il approcha de ses lèvres son visage terriblement attirant "... je suis là".

"Oh ! ... Oh... Licky", susurra la jeune femme en se refugiant contre l'Aventurier.
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Re: [CR] [l'Appel de Cthulhu] Le Ressac de Bryn Celli Ddu

Message par le Zakhan Noir »

- "Oh non ! Ca recommence !" Les lamentations de Roger Walrus brisèrent l'instant suspendu qui retenait Lauren à Licky. "Rochas... voilà qu'il nous refait le coup de la castration !".

- "Vous vouliez surement dire 'prostration', vieux briscard" le corrigea Licky en donnant une bourrade amicale et virile à l'agent d'assurance.

En effet le jeune universitaire se tenait en position fœtale au milieu d'une flaque d'eau saumâtre. Il récitait une litanie incompréhensible et jetait de temps à autres des regards apeuré sur l'autel que venait d'étudier le fameux archéologue. O'Reilly, s'apprêté à lui administrer un sédatif lorsque la voix de Nicky Marson retentit.

- "Laissez, vieille branche. Le cas du jeune Rochas dépasse le cadre de la science. Lèves toi, fils".

Tirant sans ménagement sur le bras de son compagnon, le solide Aventurier n'entendait en rien le céder au sentimentalisme ou à l'abattement. Ensemble ils entreprirent de visiter le reste de la grotte aux dimensions titanesques.

- "Voyez, là-bas !" s'exclama Walrus "L'accès vers la mer". Et, de fait, dans la direction qu'indiquait fiévreusement le solide recouvreur une lueur déchirait les ténèbres et révélait la sortie.

- "Bien joué, old chap", Licky lui assena une claque virile dans le dos. "C'est par l'à qu'arriveront nos invités une fois quitté leur base sous marine".

- "Et peut on savoir d'où vous tenez ça, monsieur l'Explorateur". Le regard mauvais que Rochas jetait au meneur du groupe terrifia ses compagnons. S'il le jeune homme avait quitté sa léthargie c'était en revenir avec des idées noires et des projets sinistres.

- "M. Rochas, votre manque de jugement est consternant. Si, au lieu de nous gratifier de vos errements piscicoles vous prêtiez un peu d'attention à ce qui nous entoure, vous sauriez que ce lieu, revêt une importance toute particulière pour leur culte. Reprenons ce que nous savons, voulez vous ? Cette secte qui se déclare ancienne était rivale de la société des druides qui occupe cette ile. Un différent par le passé les a séparés. Les druides, manipulant les esprits faibles de leurs rivaux sont parvenus à les convaincre que leur chants pouvaient se révéler nocifs pour eux. Ces clameurs, associées à la résonance toute cristalline des lieux ont sûrement du faire un grand effet sur ces sectateurs dégénérés. Il aura fallut qu'un homme de raison, l'associé du Docteur Stoner, apprenne l'existence de leur société pour qu’il décide de se hisser au sommet de leur hiérarchie."

Curant le fonds de sa pipe, Licky d'un coup d'œil circulaire s'assura que tous suivait sa brillante démonstration.

- "Les ambitions de ce Wendish ? La jalousie vis à vis du professeur et la rancœur sur des travaux en recherche marine qui n'avançaient pas assez vite. Il entreprend alors pour assoir son autorité de construire dans les sous sols du manoir ses curieux véhicules sous marins. Sa "découverte" (qu'il glisse dans les filets de Ray l'estropié) fait sensation devant son assemblée de consanguins. Plus que jamais ils voient en lui leur chef. Mais il y a mieux ! Arrachant d'un geste théâtrale les rideaux qui masquaient le fonds de son atelier, il dévoile ce grand aquarium qui leur fait passer pour la résidence d'un représentant du peuple poisson ! Rappelez, ce même bocal que je projetais contre leur navire au moment ou ces ruffians prenaient la fuite ! Les sectateurs sont emballés, et prêt à suivre leur gourou aveuglément. Il dirige leur ferveur à l'endroit du regretté Dr Stoner. Le voilà à présent seul maitre à bord du manoir." Rallumant sa pipe il tira une longue bouffée et reprit : "Rapidement, le culte s'essouffle, faute d'objectif. Le manoir est à lui. Les esprits influençables de Bryn Celli Ddu sont déjà sous sa coupe... Il lui faut trouver un objectif pour rassembler à nouveau sa horde. Puisant alors dans les légendes locales, il entend parler des réminiscences d'une société druidique, gardiens de la mer d'Irlande. Il trouve là des adversaires tout désignés. Il arrange alors quelques peu les mythes et entreprend de convaincre sa triste assemblée qu'un pacte ancien lierait les marins de Bryn Celli Ddu au peuple poisson. Que ceux ci les accueilleraient comme des frères dans leur cité sous marine dont la porte d'accès serait à Curtain Wall. En plein quartier général ennemi ! Il n'en faut pas plus pour que la secte se lève comme un seul homme, convaincu qu'avec la sorcellerie (de ridicules tours de passe-passe) de Wendish, ils n'ont plus à craindre le Chant des Hommes. Pour ajouter un effet mélodramatique, le gourou exige un sacrifice. Quoi de plus évident qu'un nourrisson ; celui de la pauvre Margaret ?"

- "Oh Licky... cet enfant... comment peuvent-ils ?" intervint Lauren
.
- "Ma chère enfant, un homme peut être rendu fou par deux choses, voyez-vous ?"

La jeune femme le dévorait des yeux

- "L'Ambition..." il s'approcha d'elle et lui glissa à l'oreille "... et l'Amour." Elle approchait ses lèvres des siennes lorsqu'un bruit fracassant retentit

- "Dieu tout puissant protégez-nous", gémit le Docteur O'Reilly, "Les voilà."

- "Face à notre Destin, ainsi que je le prévoyais" clama Licky Narsson "Doc' ; c'est le moment de jouer au héro. Je vous l'avoue aujourd'hui. Ce jeune soldat qui traversa le champs de bataille miné au chemin des Dames pour vous sortir des barbelés... c'était moi." Les larmes coulèrent sur les joues du vieillard, nettoyant de ses prunelles ses années d'alcoolisme. Tout ce temps a ses demander à qui il devait la vie... Solennellement, il se redressa, posa sa sacoche à terre il fit le salut règlementaire au private Narsson, le soldat le plus décoré de la 5ème compagnie. "Fils, servir à vos coté fut un honneur". Il empoigna le manche de sa pelle et, poussant un cri de rage et de désespoir se jeta au devant de ses adversaires qui débarquaient à présent par dizaine du navire de Ray l'estropié.

Donnant une claque virile dans le dos de Roger Walrus, il lui indiqua la forme courbée et fuyante de Rochas :

- "Gardes un œil sur celui là mon vieux Roger. Faites de votre mieux pour les retenir, pour ma part j'ai un plan."

Tout n'était donc pas perdu ! Roger, avait à présent un objectif simple, ce qui lui allait parfaitement. Tous ces dégénérés ; c'étaient eux qui avaient liquidé Stoner... et par là même les créances de son employeur. Hurlant à plein poumons le nom de la Société d'Assurance de Boston, il entendait faire barrage de son corps pour laisser le temps à Licky de mettre son idée à exécution.

- « Quand à vous Lauren, restez prêt de moi »

- « Oh Licky…. Licky, je… »
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