voilà le chapitre 2, n'hésitez pas à intervenir hein
2- Une pierre encombrante
Je revins le lendemain matin la tête pleine de nouvelles connaissances et de promesses de savoir. A peine eu-je passé le pas de la porte que je rencontrais Niklas Schulmann, l’expert envoyé par Nuln pour analyser la pierre.
Il se présenta comme un mage céleste, un savant spécialisé dans l’étude des astres et de la divination. Je pris un siège et commandai une bière brune en attendant d’écouter ce qu’il avait à dire. Il s’assit à son tour et posa son bâton noueux avant de joindre ses doigts en pyramide devant son nez. Sans doute pour se donner un air sévère. Il avait une barbichette blanche, les yeux bleus cernés et de profondes rides sur le front et le cou. Sa robe jaune était brodée de fil d’or et deux poches se découpaient sur le devant pour y mettre ses mains ou y cacher des objets de petites tailles, potions et parchemins.
- Herr Ottavio, il me semble que vous êtes le chef de l’expédition qui a ramené la pierre elfique, n’est-ce pas ? demanda-t-il d’une voix posée.
J’avais l’impression d’entendre un de mes professeurs d’université. Ce n’était pas la première fois que je voyais un mage. Ils étaient puissants, et respectés, mais très dangereux. C’est pourquoi l’usage de la magie avait été réglementé. Celui qui voulait pratiquer son art devait avoir étudié dans l’un des collèges de magie homologué et disposer d’un document officiel, obtenu après un rigoureux examen, lui permettant de faire usage de sortilèges dans l’Empire. J’avais entendu dire que la magie n’était pas très loin du chaos et que bien des mages avaient succombés au pouvoir de la corruption et à l’adoration des dieux obscurs. Utiliser cette énergie me séduisait. Plier la réalité à ma volonté, refuser le pouvoir des dieux et embrasser celui des hommes, voilà ce que je voulais. Mais pour suivre cette voie, il me fallait une recommandation. Et je pensais la tenir. Juste en face de moi.
La mort d’Akney avait privé notre groupe de son chef, et il fallait bien que quelqu’un tienne maintenant ce rôle. Je décidai de ne pas détromper mon interlocuteur.
- En effet monseigneur, répondis-je d’un ton égal. Que puis-je pour vous ?
- Je suis envoyé par le collège céleste de Nuln pour étudier la pierre. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle n’est pas banale.
- Je vous écoute, dis-je d’un air détaché.
- Je vais être direct si vous le voulez bien. La pierre que vous avez ramenée n’est qu’un morceau d’un tout. A l’origine elle devait être ronde. Les inscriptions sont incomplètes et sans le reste, je ne puis en connaitre la signification. Je ne sais pas combien il y a d’autres morceaux exactement mais si nous voulons en savoir plus, il va falloir les rassembler. En tout cas, je puis vous dire qu’elle a un rapport avec la magie de mon ordre et qu’il serait souhaitable, pour tout le monde, que cette pierre soit reconstituée au plus vite.
Ces informations me laissèrent un instant sans voix. Mon grand-père m’avait déjà parlé de ce genre de quête où il fallait aller chercher tel ou tel objet aux pouvoirs incroyables, retrouver l’épée des dieux, déterrer l’amulette du destin, jeter un anneau unique au fond d’un volcan et autres billevesées. Ces histoires me faisaient rêver, elles étaient prétexte à l’aventure, à l’action ! Jamais je n’aurais cru qu’elles puissent être vraies, et encore moins y participer moi-même un jour.
Un éclair frappa l’auberge, éclairant vivement la salle principale. Encore un ! Je m’aperçus alors que les éclairs frappaient régulièrement, comme le tic-tac d’une monstrueuse horloge. Mais il n’était pas l’heure de se réveiller. Le mage s’était penché vers moi, ses yeux bleus acier plongés dans les miens.
- Ce n’est pas tout murmura-t-il, sans doute pour ajouter une dimension dramatique à ce qu’il allait m’annoncer. Comme vous le savez, je suis un mage céleste, et en tant que tel nous avons parfois des visions.
- Des visions ? répétais-je, incertain de la conduite à tenir.
- Il y a quelques jours, j’en ai eu une plus puissante, plus persistante que les autres. Et je suis persuadé qu’elle a un rapport avec l’existence de cette pierre. Et avec vous.
Il prononça cette dernière phrase après une petite pause. Il s’y connaissait en effet de style. J’écoutais avec attention.
- Dans ma vision, une femme se tient au sommet d’une colline battue par les vents. Le ciel est rouge et les nuages noirs. De ses mains elle brandit en l’air la pierre des elfes, complète. Ses bras sont décharnés, son visage creusé, et ses orbites vides. Elle n’appartient plus à Mòrr.
- Elle est revenue d’entre les morts vous voulez dire ? l’interrompis-je.
Il se redressa soudain.
Son regard devint dur et ses traits se figèrent. Une autorité presque surnaturelle semblait émaner de lui. Ses cheveux se soulevèrent comme portés par un souffle invisible, un halo de lumière dorée apparut autour de lui, du moins je cru le voir, et sa voix tonna, puissante, écrasante. Je n’étais plus qu’un gamin pris en faute devant son père, qu’un estudiant puni par son professeur, qu’un insecte attendant la mort.
Qu’un Ottavio courbant l’échine devant le martinet du père Akney.
Cela ne dura qu’un instant mais me marqua longuement.
- Pauvre imbécile. A qui croyez-vous parler ? N’avez-vous donc pas appris le respect ?
- Je vous supplie de m’excuser monseigneur, bégayai-je. Je..je ne voulais pas.
- Il suffit, l’incident est clos. Cette femme, disais-je avant d’être grossièrement interrompu, abandonnée par le dieu de la mort et des songes se tenait sur cette colline. La pluie tombait et tombait encore comme des cordes dressées vers le ciel. Et des nuages noirs surgissaient des éclairs. Je me suis alors approché d’elle, tel un esprit observant la scène figée, et m’aperçus que derrière elle se tenaient des centaines, que dis-je, des milliers de cadavres revenus à la vie. Elle dirigeait là une véritable armée de morts-vivants !
Un éclair tonna juste à ce moment-là, me faisant sursauter brutalement.
Un bruit de porte brisé se fit entendre à l’étage où se trouvait Camillia. Je profitai de cette interruption et fonça voir ce qu’il se passait. Une odeur d’orage emplissait le couloir. Müller se tenait là, la main sur la garde de sa rapière, devant le chambranle éclaté d’une des chambres de l’auberge. De là où j’étais, j’entendis distinctement Camillia jurer.
- Qu’est-ce que vous faites dans ma chambre ? se mit à crier le mage qui m’avait suivi.
Maitre Schulmann me dépassa et s’engouffra dans la pièce en tenant son bâton à deux mains. Le bout épais se mit à luire légèrement. Je le suivis aussitôt.
La chambre était simple, sans ornement particulier si ce n’est un étrange appareillage métallique posé sur le rebord de la fenêtre entrouverte. Juste devant le paratonnerre, sur un coffre plat avait été posée la pierre elfique.
- Pourquoi avez-vous ramené la pierre ici ? cria Camillia pour couvrir le bruit des éclairs.
- Le lecteur Magnus souhaitait que j’étudie la pierre ailleurs, répondit le mage. Il ne supportait plus le bruit des éclairs qui le dérangeait dans son travail.
- L’église est le seul bâtiment qui peut la contenir. Vous allez foutre le feu à l’auberge !
- Madame, je suis un mage du collège du ciel. Contrairement à ce que vous pensez, je sais parfaitement ce que je fais.
Pendant un instant, ses cheveux volèrent au vent et sa voix prit une intention plus grave. C’est comme s’il s’adressait directement à nos corps plutôt qu’à nos oreilles. Plutôt perturbant. D’un doigt il désigna l’appareil métallique et continua.
- Ceci est un paratonnerre, destiné à éviter les désagréments dont vous venez de nous faire part. Je vous prierais donc de vous calmer et de me faire confiance.
- Un mage dites-vous ? dit le répurgateur dans mon dos. Il avait repris son ton suspicieux. Et pourrais-je savoir ce que vous faites là ?
Le mage se retourna comme s’il voyait le sigmarite pour la première fois.
- Je fais mon travail. Je suis expert en histoire elfique. Ecartez-vous et sortez de ma chambre.
- Et vous avez une autorisation ? demanda le répurgateur d’une voix suave.
- Et comment. Le mage fouilla dans sa poche et en sortit un parchemin portant un sceau doré représentant un aigle à deux têtes. Ce parchemin, regardez bien, me donne autorité en cette matière. De plus, il me reconnait en tant que mage du troisième cercle habilité à pratiquer la magie de la manière dont il me sied pour servir l’Empire.
- Moué, faites-voir votre papelard, je suis pas bien sûr.
Le mage fulminait mais tentait de n’en rien laisser paraitre. Le répurgateur examina longuement le parchemin, le tournant et le retournant pour bien montrer que c’est lui qui menait la danse. Après de longues secondes, il remit le parchemin au mage d’un air dédaigneux.
- Vous êtes content ? Et bien tant mieux, si vous n’avez rien de mieux à faire, je vous prierais de sortir d’ici, j’ai du ménage à faire, dit-il en foudroyant Camillia du regard.
Quant à moi, je me tenais en retrait, appuyant les paroles du mage, lui faisant part de ma désapprobation quant à l’attitude désinvolte du répurgateur. Pour une raison inconnue, Camillia eut l’air de m’en tenir rigueur. Pendant que je la regardais s’éloigner, je me demandais comment s’était passé son entretien.
Le regard appuyé qu’elle fit au sigmarite me donna tous les indices dont j’avais besoin.
La douche et la vaisselle sont les derniers endroits où se cachent les muses.