Épisode 75 Oh, les filles, oh les filles !
P/ Aller et venir, il nous faut au moins deux embarcations pour passer de la rive au bateau.
Un navire et deux canots. Virer les gardes du corps des deux côtés parce que Sanguinella ne viendra pas à poil et Ducatore non plus. Ils seront là donc Lupo, tu nous trouves le matériel adéquat.
P/ Un navire d’assez grosse taille avec une cabine qui ferme et qui coule pas.
L/ On fait ce qu’on peut mais s'il prend feu.
P/ Le deuxième canot en cas d’évacuation précipité.
L/ Pour la haute mer, ils ont trois canots.
P/ Mais aussi beaucoup de personnel
L/ Peut-il y avoir une garde minimale ce soir-là ?
P/ Je veux bien qu’on leur demande de se barrer mais qui c’est qui rame ?
L/ Je connais un ancien phalangiste assez balaise qui parle pas trop
P/ Ettore je l’aurai plutôt vu entre les deux bordées de gardes du corps avec ses meilleures blagues
L/ On va voir ça.
P/ Je pense que t’es l’homme de la situation et si tu croises des Stefani.
P/ Tout le monde se doute bien que c’est un accident.
L/ Surtout à un contre cinq.
P/ en parlant de notre égorgeur préféré, il pionce encore ?
L/ Pourquoi ? Il est là ? Il a pas bougé de sa chambre encore ?
P/ J’en sais rien
L/ Il a pas été empoisonné ?
P/ j’ai une vague idée, une certaine Demestilla est venue lui parler ce matin et je suppose qu’il est passé la voir.
L/ Ça suppose qu’il est parti.
P/ On peut toquer à sa porte.
L/ Tu veux pas envoyer Speranza ?
P/ Je dois aller voir Argante.
L/ Je dois aller voir le bateau alors, le premier de nous qui croise Ettore le met au parfum.
P/ Ça roule. De toute façon on laisse un petit mot pour Ettore ou Speranza
P/ Petit mot mais pas explicite, trop d’étrangers dans la maison en ce moment.
L/ C’est ce que je dis aussi et moi je vais pas ramener une femme et des gamins.
Les deux se retrouvent devant la porte à qui frappera le dernier et sont étonnés que ça réponde.
E/ Oui ?
L/ Ah si, il est là.
P/ T’es visible ou pas ?
E/ Non, non. Mais, j’arrive.
P/ Faut qu’on sorte, je te laisse des consignes avec Bella.
L/ Speranza plutôt ?
P/ Je sais jamais où est Speranza.
Pidocchi va faire le point avec les souriceaux. Bella n’est pas là et quand il demande où elle est, il sent qu’on lui ment en disant ne pas savoir. Pas très clair. Ils savent mais elle a pas dit où elle allait.
Pido insiste auprès de Pulcino qui se dit, pourquoi moi ?
Coltello qui le foudroyait du regard se trouve à son tour interrogé.
Coltello/ T’as besoin qu’on fasse des trucs sinon ?
P/ J’ai besoin de toi pour une mission spéciale mais après avoir eu l’info qui m’intéresse.
P/ T’es partant ?
c/ Ben ouais
P/ Alors après que tu m’ai dit ce que je veux savoir.
c/ C’est quoi comme mission ?
P/ J’ai dit après.
c/ Partie chercher de la picole au Bœuf Rouge.
P/ Alors, je t’ai promis une mission, on va à l’hirondelle et tu y rentre pour trouver Argante et tu le guide jusqu’à dehors.
c/ Ou ça ?
P/ Là ou je t’aurai attendu.
c/ Faut que je le tranche ?
P/ Pas prévu de te servir de ton couteau
c/ J’en prends trois c’est plus sûr, truffé de Carpone là-bas.
P/ Si Ettore vient vous lui dites que je suis parti avec Coltello.
Preferiti/ A l’Hirondelle, oui.
Speranza surveille l’hôtel Ducatore. Elle apprend à connaître les lieux mais ça reste ennuyeux.
Coltello, suivi comme d’habitude comme son ombre par Pulcino, et Pido se dirigent vers l’Hirondelle.
P/ Tu vas dedans, tu demandes Argante et tu parles que à Argante.
Coltello revient et touche sa prime.
c/ Il avait une affaire à traiter et il arrive.
P/ V’la ta prime et tu assures la sécurité du rendez vous.
c/ Je vais derrière lui ?
P/ Si tu veux.
c/ Je vais faire comme Speranza et je vais monter sur le toit. Pulcino, aide-moi.
P/ Si tu vois un curieux, tu siffles.
c/ Pulcino va se mettre au coin et faire le mendiant.
Le gamins se contestent le privilège de monter sur le toit, Coltello règle l’affaire à l’aide de quelques taloches et peu après, du haut de son observatoire, il signale l’arrivée d’un Argante seul d’un jet de cailloux.
Argante vérifie qu’il n’est pas suivi, fait semblant de dénouer l’aiguillette avant de rentrer dans la ruelle histoire de ne pas avoir à expliquer à d’éventuels spectateurs.
Il pisse sur le mur à un mètre du Compari qui a vue sur cour …
A/ Je voulais te voir parce que ça bouge. Ceux qui veulent reprendre le combat montrent les dents.
A/ Si vous retapez dessus ça peut dégénérer mais faudrait les calmer sans qu’il y ait trop de casse et que ça brise les dernières volontés.
P/ Est ce qu’organiser un coup occuperai les plus actifs ?
A/ Ces gars-là se réunissent et je suis pas invité.
P/ Ah ouais.
A/ Natale non plus et après la petite comédie de la dernière fois. Ceux qui l’ont admis sont exclus de cette petite bande. Si y’avait un bon coup qui fait arriver de la thune au Carpone, bonne idée Pido.
P/ Ça, ça peut s’arranger.
A/ Tu peux passer les soirs à l’Hirondelle, j’y serai et on en parle.
A/ Bon, j’arrête de pisser, j’aurai eu de quoi remplir quatre pichets.
P/ Ça concerne combien de gars ?
A/ Cinq six pas plus mais je te ferai passer le nom du leader.
A/ Ce sera grâce aux Compari qu’on aura le coup, je mettrai ça en avant. J’ai vu que t’avais causé à Rosina qu’est ce qu’elle t’a dit ?
P/ Elle était inquiète.
A/ Qu’elle s’occupe de ses affaires. J’étais pas pour mais certains voulaient que la veuve de Vascularino soit là pour les représenter.
P/ Tes cinq six gars sont quoi par rapport à Rosina ?
A/ Rosina c’est rien.
P/ Ils prévoient de te putscher ou quoi ?
A/ Non, toujours pareil. De chopper un Compari dans un coin. Se réunir pour vous nuire. Soit à vous soit à un de vos protégés.
P/ T’as des noms ?
A/ De qui ils cherchent, sûrement vers le Bœuf Rouge.
P/ Non, les leurs.
A/ Pas facile à voir entre les vraiment hostiles, ceux qui font semblant d’en être pour ne pas avoir l’air de et ceux qui viennent pour voir.
P/ Histoire de savoir qui je dois surveiller.
A/ De toute façon y’a plus de Carpone qui doit venir dans votre rue.
P/ Je vais vous organiser ça pour gagner de l’argent mais ça sera dans un autre quartier que le vôtre.
Pido rentre dans ses pénates avec ses deux gardes du corps fiers comme des coqs.
P/ Et pas un mot, pas un geste.
Lupo s’est habillé d’une tenue un peu bourgeoise, habits de qualité mais de couleurs sombres pour faire sérieux dans une zone salissante. Le fils de l’armateur qui devait monter dans la société s’équipe quand même d’une rapière et d’une main gauche mais assume de s’y présenter sans masque.
Sur le port, l’activité est au ralenti, les navires ont peu à charger ou décharger et les embauches se font rares. Les ouvriers se rabattent sur les rades le long du port ou joue aux dés assis par terre sur les quais.
Il observe les navires dans le port. Pas évident de savoir ce qui est accessible ou utilisable entre l’hivernage ou les cales sèches de certains et l’absence de marchandises pour les autres.
Il entend une voix venant de derrière un tas de caisse.
L’Anguille/ Lupo, fait gaffe. Te retourne pas mais y’a un mec qui te suit et un autre vient de partir en courant. Les dockers, t’es marron. Si tu veux je peux faire une diversion mais ils vont revenir avec des gars pour te péter la gueule car vu leur tronche ça doit pas être tes potes.
L/ Va pas prendre de risques mais merci pour l’info.
Lupo manœuvre et finit par aviser le gars qui essaie de le suivre discrètement.
Lupo lui fait signe qu’il l’a vue et continue sa route le long du quai.
Surpris, le docker s’inquiète de savoir si ses potes arrivent, reste à distance mais grimace avec une autre idée en tapotant l’épaule d’un type qui jouait pas loin. Les gars se lèvent avec un sourire en avisant le beau qu’on leur indique comme une proie facile.
Ça fait un peu plus à semer. Lupo longe le port et part en direction de l’arsenal en utilisant l’opposition les ouvriers remontés contre l’incendie de l'entrepôt et les dockers soupçonnés d’en être plus ou moins impliqués. Une partie des gars renoncent à aller dans ce quartier. Dès qu’ils sont à hauteur des abattoirs, il a moins de suivant et seuls trois gars sont encore à sa suite. Les voyant courir, il comprend qu’ils veulent l’intercepter avant le fortin et pour se défendre, il dégaine ses lames. Le rattraper c’est une chose mais la victime qui sort deux lames avec une posture sérieuse, c’est dissuasif.
D’ailleurs, celui qui a le plus approché engueule ses copains qui ont renoncé. Des phalangistes approchent nonchalamment la hallebarde sur l’épaule. Les dockers s'engueulent, avisent des phalangistes et Lupo rengaine ses lames.
Les soldats s’approchent encore et le chef arrive, souriant.
d/ Des problèmes monsieur ?
L/ Bonjour dizainier, j’ai vu que j’avais attiré votre attention mais j’avais un doute concernant les malandrins qui me suivaient.
d/ Vous avez fort bien réagi monsieur. Monsieur ?
L/ Tramonte.
d/ Désirez vous que nous vous escortions ?
L/ Non mais trinquez plutôt à ma santé à la fin de votre service.
Quelques pièces changent de main.
d/ Fort aimable, nous avons la gorge sèche monseigneur.
L/ Vous assurez la sécurité publique.
d/ Peu de citoyens ont conscience de notre mission.
Les soldats s’éloignent après avoir démontré leur souplesse. Ils ont rapidement appris auprès des alguazils les subtilités de la ville et de comment apporter un plus à la solde.
Quitte à être à l’arsenal, Lupo observe d’autres bateaux sur place dont un navire en attente de cale sèche qui pourrait convenir. Au moins là, pas d’équipage. Dans le bassin mais pas encore en cale sèche avec le gréement qui a déjà été enlevé.
Lupo se renseigne pour connaître le nom du capitaine et voir comment organiser la rencontre. Capitaine ou Quartier-maître, sonder le premier qu’il trouve pour lui exposer son besoin d’un lieu qu’il pourrait occuper une nuit moyennant compensation.
qm/ On peut en discuter dans un coin avec moins de monde ?
L/ Tout à fait, je vous laisse gérer.
Sous prétexte de causer charpenterie de marine et adaptation à la haute mer, ils trouvent des sujets à aller discuter autour d’un verre de façon plus précise.
d/ Savoir sans trop savoir, mais m’assurer que mon bateau restera en bon état.
L/ Rien d’illégal mais juste un rendez-vous discret. On arrive, on cause et c’est fini.
Ils s’arrangent sur une somme coquette. Le marin négociant plus que les cinq premiers florins proposés en tentant de multiplier par dix.
L/ Vingt.
d/ Quarante et on tope.
L/ Trente cinq.
d/ Va pour trente cinq.
Speranza, au bout de son ennui, pique du nez, elle va s’endormir si elle continue de regarder les murs du palais Ducatore et décide de rentrer.
Pendant ce temps, dans la chambre d’Ettore
E/ Vont finir par revenir et va falloir que tu rentres.
Demestilla/ Tu souhaites que je parte, je comprends.
E/ Non, tu comprends pas.
E/ La dernière personne dont on a cru qu’elle était avec moi, ils l’ont enlevée, l’ont séquestrée dans une cave, battue et violée pendant plusieurs jours jusqu’à ce qu’on vienne la délivrer. Juste pour me chopper moi, c’est elle qu’ils ont attrapé.
D/ Dans quoi tu t’es mis ?
E/ Dans ce qui se fait dans cette partie de la ville. C’est pas Deglia Ducati, pas de palais, de marchands et de belles tenues. C’est plus sale et faut survivre.
D/ Tu fais quoi là dedans ?
E/ Je fais ce que je sais faire, casser des gueules et tuer les problèmes. Soldat à mon compte.
D/ Tu comptes rester ?
E/ Je suis chez moi ici. J’ai pas d’école ni d’héritage pour gagner de l’argent. Faut qu’on se débrouille pour se faire une place et la garder.
D/ Et vous êtes nombreux dans votre coterie ?
E/ Assez pour se protéger, pas assez pour éviter les ennuis.
D/ Tu n’as besoin de te justifier.
E/ Mais je ne me justifie pas.
D/ Je comprends que ta vie est dangereuse, que tu veux m’en protéger.
Un doigt sur la bouche d’Ettore.
D/ Cela me fait du bien ce moment.
E/ Pareil.
D/ Je n’ai pas envie qu’il s’arrête.
E/ Faut que tu rentres. La maison doit s’inquiéter de ton absence.
D/ Tout le monde doit être fou d’inquiétude mais j’en ai cure.
E/ Tu as intérêt à avoir une belle histoire à raconter.
D/ C’est différent mais toujours aussi... vivant. Je me sens vivante avec toi.
Il va pour descendre avec elle mais, riante, elle le retient pour un baiser de plus.
E/ Tu devrais pas montrer que tu es avec moi, on peut pas sortir en même temps.
D/ L’aubergiste et la servante sont dignes de confiance ?
E/ Y’a intérêt pour eux.
Un dernier sourire et elle descend les escaliers.
Elle dénote dans le quartier et les gens jettent un oeil à cette étrangère au quartier mais la capeline empruntée à la servante permet de limiter les regards. Ettore regarde alentour elle part en direction de via Imbosca. Chemin entre le Castelleto Acigliato et la plazza Smaradina patrouillé par les phalanges, elle est en zone sécurisée. La regarder comme le font les autres mais pas plus pour ne pas attirer l’attention et il choisit d’aller chez le barbier.
Zani/ Ah, Ettore, comment va ?
E/ Bien Zani et toi ?
Z/ Pas terrible les gens préfèrent se raser eux même.
Les deux hommes échangent sur les nouvelles de la ville.
Z/ De moins en moins grève mais plus de jours sans travail.
Z/ Mais bon, ça me regarde peut-être pas et vous êtes pas là pour entendre les mauvaises nouvelles. La petite Sandra a eu un bébé. Le père est parti, la mère a pas de travail mais ils ont besoin de se nourrir.
Ils discutent les ragots d’une vie de quartier.
E/ Tu vois toujours passer le bellâtre qui va chez Azzura ?
Z/ Il est venu quelques fois se faire raser, un peu comme vous mais ça fait quelque temps qu’il est pas venu. Il vient avant pour être présentable, une peau de bébé.
Ettore paye le barbier et double la somme.
Z/ Non merci don Compari. Pas besoin.
E/ Si la moitié de tes clients ne payent plus, faut que tu manges.
Z/ Je disais pas ça pour me plaindre c’est plutôt Sandra qui aurait besoin de votre visite.
E/ Tu lui donneras si tu veux.
Z/ Vous voulez pas lui donner directement ? Elle sera contente.
E/ Quand j’arrive, les gens commencent par me craindre et après il savent pas s’ils doivent dire merci.
E/ C’est mieux si ça vient de toi.
Il fait un tour rapide et passe au niveau de la cache des souriceaux.
E/ Tout va bien ici ?
Bella/ Pidocchi est venu après moi. J’ai réfléchi à ce qu’il m’avait proposé. Les enfants sont encore petits. Je peux continuer à m’en occuper.
E/ Tu pourras pas jouer tout le temps à la maman.
La gamine a l’air un peu saoule.
E/ Tu sors la bouteille ?
Elle lui tourne le dos et part pour rejoindre les enfants.
E/ Bella ?
B/ Oui ?
E/ Est ce que tu peux me sortir une bouteille ?
B/ J’en ai pas.
E/ T’as l’air d’en avoir dans le gosier donc ça doit pas être si loin.
B/ J’ai bu un coup au Bœuf Rouge.
E/ Je me souviens pas qu’ils servent les enfants au Bœuf.
B/ Je suis plus une enfant, Pidocchi me l'a dit.
E/ T’es plus une enfant ?
B/ Oui puisque Pidocchi dit que je devais choisir un métier.
E/ Choisir un métier c’est pas finir poivrot.
B/ Je suis pas un poivrot puis tous les enfants picolent ici.
E/ Oui mais ils marchent droit.
B/ En tout cas je bois moins que toi.
E/ Si t’es une adulte, on va voir comment tu bois ? D’adulte à adulte.
Il repart d’un pas décidé vers l’auberge. Si elle veut boire, on va boire.
E/ Pietra, c’est souvent que Bella vient boire à l’auberge ?
p/ Ben ouais. Pourquoi ?
Elle a regardé sur le côté avant de répondre. Là où le tenancier essuie ses verres. Alors Ettore demande plus bas.
E/ Y’a un problème avec Angelo ?
p/ Non
E/ Y’a un problème avec Angelo ?
E/ Pourquoi t’as regardé Angelo avant de répondre.
p/ Parce que c’est lui qui lui file à boire.
Il lui demande de venir ranger des trucs à l’étage. Faisant semblant de l’engueuler et elle de rechigner à la tâche.
Une fois à l’étage, il lui fait signe de s’asseoir à la table de la salle commune.
E/ C’est souvent que les gamins viennent chercher à boire ?
p/ Surtout Bella qui vient, elle repart souvent avec une bouteille de vin.
E/ Pidocchi est au courant ?
p/ Je sais pas.
E/ Et pourquoi t’as regardé Angelo ?
p/ C’est pas gratoche, elle donne des choses pour Angelo.
E/ C’est vrai que c’est de plus en plus souvent ?
p/ Quand elle va chercher son vin c’est dans l’arrière cuisine. Des fois elle va chercher à la cave.
E/ Et pas toute seule.
p/ Comme je suis plus d’accord pour Angelo, tu vois bien.
E/ Prends ton temps pour ranger, y'a rien à ranger. Elle est ou cette boutanche? J’en pique une à Lupo si sa sœur a pas tout sifflé.
p/ Par contre, c’est qui qu’a fait le ménage ici ? C’est pas vous c’est la vieille hein ?
Speranza arrive en croquant une pomme et fait sursauter Pietra à venir sans bruit comme à son habitude.
E/ Tu veux bien m’accompagner chez les souriceaux ?
S/ Ouais
Quand ils repassent par la salle, peu de clients et un regard en coin d’Angelo.
Ça sent bon, dans la cuisine et même Ettore sent moins fort que d’habitude, voire il sent bon.
S/ T’es passé chez Zani toi ? Et ça sent sent la bouffe ! J’arrive.
Dans la cuisine, Francesca fait mijoter un petit plat en ce milieu d'après-midi.
Speranza pique une belle tranche de viande et la récupère sur une miche de pain.
F/ Pas touche, tu mangeras pas ce soir sinon. C’est pas bon. Faut que l’estomac se repose ou t’auras des remontées.
S/ J’ai pas de remontées et c’est toi qu’a dit que j’étais toute maigre.
Ils laissent la cuisinière à ses affaires et repartent retrouver les souriceaux. Quelques-uns sont rentrés.
La miche de pain frais garnie assure un succès immédiat à Speranza qui distribue des tranchotes.
Ettore a ramené une bouteille de gnole et deux verres, un pour lui et un pour Bella. Il les remplit, lui tend un verre et commence par boire le sien.
E/ Bois, c’est une conversation d’adultes.
Elle n’est pas heureuse de la contrainte mais obéit quand même et son verre à peine vide est vite rempli par Ettore qui va donner la cadence.
E/ Donc tu veux parler à Pido de tes plans d’avenir maintenant que t’es adulte.
B/ Je sais pas ce que tu veux me faire dire.
E/ Ben qu’est ce tu veux faire.
B/ Travailler à l’auberge. Aider Pietra, c’est pas loin pour les gamins.
E/ Puis à l’auberge y’a Angelo.
B/ Ben ouais.
E/ Puis à l’auberge y’a la cave.
B/ Ben oui.
Speranza a compris les allusions d’Ettore que les réactions désabusées de la gamine à moitié ivre ont confirmé. D’ailleurs à moitié ivre est une faible interprétation car rapidement le corps malingre subit la défaite face à l’alcool et Ettore la porte jusqu’à sa couche en laissant à d’autres la consigne de veiller sur elle et sur les plus petits.
Petit à petit, les enfants les plus âgés reviennent de leur tribulation dans les rues de la ville et le pain devient un souvenir qu’on a partagé.
Speranza et Ettore repartent une fois les consignes claires et discutent en chemin.
E/ Je le dirai à Pido.
S/ Mais s’il se marie avec Rosina elle peut aider avec le gamin.
E/ Ça peut.
et y’a quelqu’un
S/ Autre chose, Azzura. Elle cafte trop. Elle a pas compris le message. Je vais prendre Jobelin et l’emmener sur les docks
E/ Tu comptes l’échanger ?
S/ Non, l’offrir aux dockers.
E/ Si tu la ramène après ça, elle trahira.
S/ Elle trahit déjà.
E/ Si tu lui fais ça, elle aura plus de raison de se retenir.
S/ Alors on la ramène pas.
Coltello arrive en courant
c/ On était chez les Carpone avec Pido.
Il commence à manipuler le bout de ferraille qui lui sert de couteau.
c/ Regarde la nouvelle feinte ‘Tore, j’la fait bien ? Quand est-ce qu’on continue ?
Pidocchi arrive et ils rentrent à l’auberge où Lupo se trouve déjà en discussion avec Pietra.
P/ Ben tu tombes bien, fallait une réunion au sommet
L/ J’ai Pietra qui m’a fait un résumé, j’imagine que c’est de ça dont vous parlez.
S/ Ça se peut.
Ils regagnent l’étage mais ça sent super bon dans la cuisine et Pidocchi fait le détour attiré par l’odeur pour féliciter la cuisinière.
F/ Vous avez plein de bonnes choses ici. J’ai pas ça chez moi.
P/ Bonne idée et on pourrait même le vendre.
L/ J’ai peut être un navire dans le bassin en attente de cale sèche.
P/ Dans l’eau ?
L/ Dans le bassin.
L/ J’ai discuté avec le quartier-maître . En réfection, pas beaucoup d’hommes donc on aura le champ libre mais c’est trente cinq florins
P/ Note de frais à présenter, disons donc cinquante.
L/ Faut voir avec notre commanditaire si ça leur va.
E/ On donne pas plus d’infos à droite qu’à gauche.
P/ Ça c’est fait, autre chose ?
S/ Angelo abuse de ses prérogatives sur la cave pour se faire, comment dire …
E/ Vu que Pietra couche plus avec lui, il s’est rabattu sur Bella
P/ Y’a la boutanche et Angelo.
S/ Ce qu’elle fait pour la boutanche ne peut qu’empirer la boutanche.
L/ Elle a commencé à payer en nature.
S/ Je vais essayer de lui parler. Elle voudrait s’occuper des gamins.
P/ Parle lui de Sergio.
S/ Je crois pas que se faire menacer d’être virée soit la bonne idée. C’est pas une solution. Lui montrer qu’elle peut faire autre chose. Tu vas te marier, faire un petit.
S/ Si tu déménages, elle irait avec toi s’occuper de ton môme.
E/ J’ai une autre proposition. A l'Hirondelle, c'est des femmes qui dirigent.
P/ Oui mais c’est en territoire Carpone et elle est connue pour avoir bossé pour moi.
S/ Sinon elle va avec Francesca et apprend à faire la cuisine. Ça pourrait lui aller.
P/ Je suis pour si elle est d’accord.
L/ Deux options, vous me dites. S’occuper de ton futur fiston et si elle veut s’occuper des souriceaux, elle reste dans le coin.
S/ Si tu bouges elle devient le contact privilégié.
P/ Loger Rosina et son fils à proximité mais pas loger avec.
E/ C’est d’accord mais on fait quoi pour Angelo ?
S/ S’il a des besoins, il touche pas au personnel, il fait comme les autres, il va payer les filles.
L/ À ce tarif, il va se transformer en mac
S/ Ah au fait j’ai calmé l’emplumé, on va pas le revoir de sitôt avec son crincrin.
P/ Définitivement ?
S/ Ah non, il va bien.
L/ Ça me fait penser, j’ai croisé des amis sur le port, ça joue des biscottos mais rien de grave.
P/ Ton bateau est de quel côté du port ?
L/ L’arsenal pour éviter les interférences.
E/ C’était des dockers ou des gars des Stefani croisés au mariage ?
L/ Les gars que j’ai vu étaient pas au mariage. Je pense qu’ils ont fait passer le mot dans leur quartier.
E/ Si ils nous bloquent l’accès au quartier du port, ça se passe pas pareil.
L/ Ils ont fait passer le mot, y’a une vraie volonté familiale.
E/ On va voir avec qui on peut s’allier. Si on peut trouver du monde ? Y’a qui contre les Stefani ?
L/ Demande à la famille de la fille avec qui j’étais ils ont voulu la frapper aussi.
E/ C’est une Cominello, si tu t’allies avec eux après un mariage Esposito et Mala vida. Ils vont mal le prendre.
E/ Azzura à échanger avec une de ceux qui râlaient ?
S/ C’est ça ou ça va mal se passer pour elle. On l’a avertit qu’il fallait qu’elle ferme son claque merde.
P/ Elle travaille au même titre que les autres gens de la rue. C’est chez nous, on fait ce qu’on veut
E/ C’est moi qui vais faire la politesse mais si ils sont fâchés, ça fait une ou deux famille de plus qui vont se retourner contre nous. Ils peuvent pas laisser passer.
S/ On va faire comprendre que chez nous aussi on punit les filles.
S/ J’emprunte Jobelin.
L/ Tu vas faire le mac.
S/ Je vais en faire cadeau aux dockers. Elle va apprendre la loyauté.
P/ Tu veux faire une croix de vache ?
S/ Ah non, plus radical que ça. A poil sur les docks et cadeau aux dockers.
L/ Effectivement, y’en a qui vont être contents.
P/ Il y a des chances qu’elle n’en revienne pas. Je suis pas habitué.
S/ Azzura, on l’a prévenu. Gentiment, moins gentiment. Je vais pas crever pour elle quand elle aura donné à d’autres nos habitudes. La nouvelle je la protège mais si elle me mord, je la puni.
L/ Et son amoureux ? Il serait prêt à payer ?
E/ C’est une lame de sénateurs et elle juste une prostituée. Elle vaut rien pour lui.
P/ Autre chose ?
S/ Francesca prend ses aises chez nous, je sais pas si elle va vouloir repartir.
L/ Vous êtes sûr de votre coup ? Ma sœur, c’est pas une timide et si vous prenez son petit personnel et qu’elle doit se retrouver à faire la tambouille, elle va pas laisser faire.
S/ On échange contre Angelo et Azzura.
S/ Si Bella va apprendre avec Francesca, elle repart avec eux.
P/ Le temps de la former.
L/ Elle a peut être pas envie d’avoir une apprentie.
S/ C’est une gentille gamine.
E/ Tant qu’elle a pas un coup dans le nez ?
L/ Si j’avais su qu’il suffisait d’un verre dans le nez. Je pensais qu’elle serait plus difficile.
Le soir est tombé sur cette discussion.