Sessions 13 & 14
Le bâton du gardien de la route
Année 2052 T.A.
Et puis la neige cessa. Et puis elle fondit. Et puis nous partîmes et quittâmes la Porte-du-Soleil pour Bourg-les-Bois au printemps. Ce début d"année fut bien maussade et c'était à regret que nous laissions nos hôtes si accueillants des terres de l'est. Avant de partir, de nombreuses rumeurs nous parvinrent aux oreilles. Elles venaient du nord où les béornides avaient affronté des hommes du Nord, de dangereux esclavagistes menés par Vinglund le cruel. Ils auraient même attaqué la porte du sentier des elfes ; un assaut auquel le roi Thranduil répliqua durement. Les hommes du Nord furent vaincus mais le prix humain de cette victoire s'avéra bien lourd aux yeux des vainqueurs. Lorsque nous arrivâmes à Bourg-les-Bois, une tension était palpable car les sages s'inquiétaient de ces soubresauts belliqueux et de l'éventuelle perte du vieux gué par Béorn et les siens. Si tel était le cas, la communication et le commerce avec les peuples libres seraient compromises.
Et puis juin fila et juillet arriva. Un soir à la grande salle de Bourg-les-Bois et alors que nous festoyons entre amis, un nain connu entra. Richement vêtu, sa barbe rousse était soignée. Il scruta la salle puis focalisa son regard sur notre tablée et s'avança d'un pas volontaire vers nous. Oui, le nain ne nous était pas inconnu, il était déjà venu à Bourg-les-Bois lors du grand rassemblement et était même monté sur l'estrade avec les représentants de la communauté de Fort-Bois. Il s'agissait de Bofri, fils de Bofur, un nain d'Erebor comme il nous le rappela lorsqu'il nous aborda avec sourire et politesse. Il venait s'entretenir d'une affaire d'importance. Nous lui proposâmes de s'attabler avec nous et lui offrîmes une bière. Attrapant la chope, il but quelques gorgées avant de lâcher un rot bruyant. De sa manche, il essuya la mousse perdue sur ses lèvres. Enfin il nous exposa sa requête, une entreprise très particulière, car nous lui avions été recommandé. Notre voyage à Dol Guldur n'était pas resté sans échos tout comme notre relation de confiance avec le mage brun. La réussite de son entreprise serait un plus indéniable pour les peuples libres. Voilà quatre années qu'il portait ce projet, celui d'ouvrir à nouveau la vielle route des nains. Une telle réussite serait précieuse car traverser la forêt d'est en ouest ou d'ouest en est serait plus aisée. Il n'évoquait pas ici une simple sente forestière mais une large route que même des chariots pourraient emprunter. Hélas ces jours-ci, la vielle route était menacée et s'estompait rongée par la forêt. Néanmoins, les vieilles pierres naines gardaient leur pouvoir et préservaient pour partie des pans entiers de la route. Il pouvait nous en assurer mais une étape décisive restait à obtenir. Il s'agissait de retrouver le bâton de marche du gardien de la route et une telle tâche requérait des compagnons confirmés et sûrs. Ce bâton en main, il se ferait fort d'obtenir l'aplomb pour convaincre bon nombre des siens d'accomplir son entreprise. Mais le temps le pressait car les araignées s'agitaient au cœur de la forêt sans compter les hommes du Nord qui guerroyaient aux frontières du royaume sylvain. A ses yeux ouvrir à nouveau la vielle route naine apporterait une prospérité certaine aux échanges commerciaux entre les peuples libres. Un plus en ces temps sombres. Nous l'interrogeâmes alors sur la cachette de ce précieux bâton d’antan. Celle-ci se trouverait dans le fortin du milieu parmi les cinq qui s'espaçaient tout au long de la route. Il nous faudrait marcher jusqu'à celui-ci en compagnie de Bofri car seul un nain pouvait déceler cette ultime cachette une fois rendu.

Un silence s'imposa à notre tablée. Nous hésitions et Bofri renchérit. Sa confiance était acquise car nous avions déjà traversé la forêt à maintes reprises. J'avais également acquis un certain renom comme guide. Mon audace était reconnue dans la communauté des hommes des bois. Ces éléments rassérénaient Bofri mais Beleg pour sa part restait renfrogné. Le nain ne s'en offusqua pas et consentit la beauté du sentier des elfes. La route ne serait pas une nouvelle rivalité entre leurs deux peuples. Sente et route diffèrent et celle des nains s'ouvrirait aux chariots et carrioles mais aussi aux armées qui l'emprunteraient afin de repousser plus vite les assauts des orques et autres engeances. Une flèche de plus à l'arc des peuples libres contre l'Ombre. Je pris alors la parole "J'ai apporté mon aide aux elfes comme aux hommes des bois contre l'Ombre, Pourquoi ne l'offrirais-je pas aux nains ? Je vous guiderai Bofri, fils de Bofur". Myhra acquiesça aussi, prête à affirmer l'amitié entre son peuple et celui des nains. Vannedil ne voulut pas offusquer Beleg et s'en remit à sa décision. L'elfe hésitait et s'interrogeait quant à la volonté des nains d’aider elle aussi son peuple. Bofri ne pouvait répondre pour les siens mais il affirma qu'il abonderait dans ce sens à l'oreille de son roi. Beleg bien que circonspect s'engagea.
Nous voyageâmes jusqu'à Fort-Bois pendant quatre jours. Nous y fîmes halte. Sa grande salle était toujours un émerveillement pour ses visiteurs. Ses fresques magnifiquement sculptées l'embellissaient. La bâtisse était perchée en haut d'une haute colline et cernée de hauts remparts en bois. Ingomer brise hache nous y accueillit avec bienveillance. Le lendemain nous prîmes la direction du nord-est vers la vieille route des nains et fîmes nos premiers pas dans la forêt. Malheureusement, le temps se dégrada. La pluie tomba et nous remémora à tous de mauvais souvenirs. Ainsi battus par les averses, sous l'épais manteau feuillu des arbres de la forêt, nous devînmes taciturnes. Chaque kilomètre pesa.
Au détour de la sente que nous suivions, nous tombâmes sur d'étranges statues couvertes de végétaux de toutes sortes. Elles représentaient nains, hommes et elfes. Belles et très réalistes, elles étaient toutes dans des postures en mouvement. Ce lieu nous glaça. Beleg était soucieux mais ne parvenait pas à se souvenir des légendes liées à cet étrange endroit. Bofri s'approcha de l'une d'entre elles et la toucha timidement pour immédiatement retirer sa main. Témoin de ce geste, j'exhortais mes compagnons à poursuivre notre chemin sans perdre plus de temps ici. Je n'avais nulle confiance. Vannedil et Myhra tout à leur curiosité examinaient les statues. Elles étaient sans socle. Pour ma part, j’insistais pour nous en éloigner. Ici ce ne sont pas des statues mais des êtres pétrifiés qui nous toisaient. Nous nous dérobâmes enfin de leurs regards vides de vie et poursuivîmes la sente vers la vielle route. Au-dessus de nos têtes, de nombreux corbeaux voletaient et croassaient. Ils nous observaient, j'en étais persuadé.
Fidèle à elle-même, la forêt referma sur nous ses griffes sombres. Tout se raréfiait, eau comme gibier, seul le froid mordant s'intensifiait. Une nuit, en son cœur, lorsque Myhra montait la garde, une présence maléfique se fit ressentir. Le froid nous saisit et nous envahit. La forêt s'obscurcit d'une noirceur absolue. Une créature nous observait. Notre guetteuse réveilla le groupe, nous étions transis. L'humidité imprégnait chacun de nos os. Hagards, nous portions nos regards aux alentour avec le sentiment oppressant d'être épiés. Apeurés, nous levâmes précipitamment notre camp et fuîmes. Les uns derrière les autres nous nous essoufflâmes dans la nuit, trébuchant sur les piégeuses racines noueuses. L'Ombre nous pourchassait, elle grognait. Son râle terrorisait nos cœurs. Enfin au lever du jour, elle s'étiola et nous pûmes retrouver notre souffle. Avions-nous été chassés par le loup garou de la forêt ?
La journée qui suivit fut éprouvante. Le manque de sommeil comme la crainte d'être à nouveau confronté au loup m'épuisa. Mais nous devions atteindre la route vaille que vaille. Je guidais mes compagnons et forcis l'allure. Puis, elle s'ouvrit devant nous. Large et dégagée. Bofri se jeta au sol. A genoux, il déclama tout sourire "Regardez ! Ne vous avais-je point dit qu'elle était encore dégagée ?" Puis, frénétiquement, il creuse l'humus et dévoila une dalle pierreuse plate inscrite de runes. "Malgré tout ce temps, l'ouvrage des nains survit et nous pouvons le restaurer dans toute sa magnificence, Non loin se trouve le fortin du milieu. Allons-y compagnons !". Je retins néanmoins Bofri d'une main posée sur son épaule lorsqu'il se leva. "La nuit approche maître nain et la précédente fut terrible. Je préfère poser le camp ici que d'approcher le fort dans l'inconnu. Il nous faut nous reposer sans aller plus loin pour ce soir.". Nous trouvâmes un lieu propice à notre camp tout proche de la route. Et la nuit arriva. Et la pluie cessa. Plus vite nous retrouverions ce bâton, plus vite nous rentrerions. Telles furent mes pensées lorsque je m'endormis inquiet.
Par bonheur ou par chance, je ne sus mais la nuit fut calme. Nous reprîmes la route après un en-cas frugale. Mais très vite, celle-ci fut envahie par l'abondante végétation. Bofri était morose, désabusé par ce sinistre constat. La réalisation de son entreprise serait grandement compliquée même avec un bâton sacré. Maudite forêt. Puis au détour d'une déclivité, écartant la branche basse d'un feuillu, j'aperçus l'horrible et énorme cocon. D'une taille surhumaine, il pendait inerte aux branches d'un vieil aulne. Sous le poids de l'immondice, celles-ci fléchissaient dangereusement prêtes à céder. Le cocon frôlait le sol et obstruait notre passage. Une tache de sang maculait sa base et s'épanchait sur le sentier. Mes compagnons stoppèrent leurs pas. Certains insistèrent pour ouvrir cet amas de toiles mais je m'y opposais fermement. Ma crainte portait sur le risque d'alerter des araignées en touchant ce cocon. Dans mon dos, Vannedil s'interrogea dans un murmure tremblant sur la taille de la bête qui avait pu ficeler une telle chose. Je frémissais à cette pensée. Beleg s'inquiéta du contenu du cocon car lors de notre dernière expérience ceux que nous avions trouvé enfermaient des elfes. Je m'approchais donc et constatais nulle trace de pas. Non juste celles d'animaux, des cervidés, Deux à minima avaient été chassés et piégés ici. Cela conforta mon ami elfe et avec la plus grande attention nous contournâmes enfin le cocon pour nous en éloigner.
La forêt se resserrait et poursuivre sur la route s'avéra bien difficile. Je m'inquiétais du moindre indice pour ne pas me dérouter. Je doutais de mes décisions, optais sur une direction, me reprenais, tâtonnais à nouveau. Chacun de mes pas était hésitant. Pourtant je me persuadais que je gardais le fil de la vieille route des nains, persuadé d'approcher le fortin. Et la pluie revint. A verse. Et derrière ce rideau d'eau, enfin il m'apparut. Posé sur un léger promontoire surplombant la route, le fortin était circulaire. Constitué exclusivement de pierres taillées, il s'élevait sur trois, quatre mètres et son diamètre ne devait pas dépasser le double de sa hauteur. Son toit était plat. Mais mes traits se crispèrent car ce que je vis sur son chef me figea. Pétrifié, je ne pus avancer plus loin. Mes yeux écarquillés voyaient avec horreur la plus monstrueuse des araignées jonchée dessus.
