Session 2
Le magicien brun
Année 2948 T.A.
Bourg-les-Bois, Hiver 2948 du Tiers-Âge.

L’âtre grésille doucement réchauffant la pièce centrale de la demeure de Beranhild. Dehors, la neige dépose son manteau blanc et silencieux sur Bourg-les-bois et la vallée endormie de l’Anduin. L’heure est avancée et pourtant le sommeil me fuit. Ce début de nuit, tout près du feu et assis en tailleur, la douce mélancolie de l’hiver m’enveloppe langoureusement. Mon regard vide s’attarde sur les flammes bleutées qui danse fébrilement dans le foyer. D’une main nonchalante, je saisie une bûche à ma portée que je dépose sur les tisons avides de ce nouveau combustible. Revigoré, les flammes crépitent chassant le froid. Délicatement, je déplie mes dernières feuilles de Langoulet, celles données par l’espiègle petite Hobbit Myhra. Un cadeau inestimable. Secrètement, je murmure à son égard un énième remerciement puis fredonne dans un chuchotement un chant poétique du Numénor en l’honneur de mes ancêtres. Ma pipe bourrée, je l’allume, inhale puis lâche une bouffée apaisante. Le halo enfumé s’élève dans un anneau parfait au-dessus de l’âtre. Baissant les yeux, mon regard se perd sur la couche de Beranhild. Lovées en creux, mère et fille dorment paisiblement sous un amas de couvertures. Non loin, le jeune fils de Beranhild, Béran respire doucement dans sa couche, pris dans ses rêves. Béran…Curieusement, je n’avais jamais fait le rapprochement. L’homme empoisonné que nous avions sauvé en le ramenant mourant à Rhasgobel l’été passé porté le même nom. Béran-le-veilleur. Alors que son état était critique, nous l’avions confié au magicien brun dès que nous avions rejoint sa communauté des Hommes des bois. Une nouvelle fois, mon regard se perd dans les flammes du foyer. Je me maudis d’être parfois si laxiste et de ne point avoir encore écrit dans mon carnet la suite de nos péripéties estivales. Je me lève pour m’en saisir avec ma plume et mon encrier, puis me rassis tout en enveloppant mes épaules d’une chaude laine. La pointe de ma plume plonge dans l’encrier et vient glisser sur le vélin.
Rhosgobel. Étrange village cerclé d’un haut et épais mur d’épineux infranchissables. A même de résister à la charge puissante des trolls dit-on. Enfouie dans cette barrière végétale, une simple porte dont le linteau est dominé par une étrange tête de bois sculpté fait office d’entrée. C’est à celle-ci que nous nous présentâmes en cette fin de matinée soutenant de nos bras. Nous pûmes la traverser et fûmes accueilli chaleureusement. Béran-le-veilleur fut immédiatement pris en charge par sa communauté et transporté auprès de Radagast pour que des soins urgents lui soient prodigués par le mage. Si une personne pouvait sauver cet homme du mal qui coulait dans ses veines, nul doute que l’Istar était celle-ci.

On nous convia vers la vaste demeure commune de Rhosgobel pour nous y reposer mais aussi pour y patienter car le magicien souhaitait nous rencontrer. Celle-ci trônait au milieu du village, non loin d’ailleurs du bois du magicien. Quel curieux bois d’ailleurs que celui-ci. Si petit et pourtant si immense lorsqu’on y pénètre pour rejoindre la demeure du mage brun. Ce n’était pas la première fois pour moi lorsque l’on nous invita à y entrer quelques temps plus tard et pourtant je fus tout autant surpris que mes nouveaux compagnons qui le découvraient. Seul Beleg conservait un visage impassible. Le bois de Radagast contrastait vivement avec l’opacité de la Forêt Noire que nous avions quitté voilà peu. Ici, tout était lumineux en cette journée d’été. Les couleurs chatoyantes du vert intense des feuillages s’épanouissaient devant nos yeux émerveillés. Et que dire de la vie qui animait le lieu ? Ici, elle regorgeait. Les oiseaux piaillaient joyeusement à tue-tête ; lapins et lièvres gambadaient sans crainte ; biches et cerfs se pavanaient sous le bois et les écureuils venaient nous épier avec curiosité. C’était donc hagard devant tant de plénitude que nous traversâmes ce bois jusqu’à la demeure du magicien. Des plus simples, faite de planche de bois juxtaposées les unes aux autres, elle nichait aux pieds d’un immense arbre feuillu. La porte était ouverte et nous la franchisâmes en prenant soin, auparavant, d’y toquer.

Un désordre ordonné anime le lieu. Tout est fouillis, tout est confus, tout est emmêlé à l’intérieur. L’immense table, tout comme les chaises et les nombreuses étagères, est encombrée de bric et de broc. Potions, onguents disputent la place aux mixtures, parchemins et autres objets aussi divers que variés. De toute part, des mulots courent et grignotent. Au plafond, des oiseaux nichent sous les poutres et même, dans un coin, des abeilles ont essaimé. Ne sachant que faire, nous restâmes là patiemment au milieu de ce joyeux bazar d’où émanaient des senteurs plus étranges les unes que les autres. Puis, il surgit du fond de la pièce par une petite porte de bois. D’âge mûr, les cheveux ébouriffés, vêtu d’une ample robe brune, il s’avança les mains chargées d’assiettes qu’il posa sur la table en bousculant les affaires qui traînaient là, renversant certaines à même le sol. Il nous invita à partager son repas tout en posant son céans sur une pile de livres qui lui firent un tabouret des plus rudimentaire. C’est la bouche pleine qu’il s’enquit de notre histoire après nous avoir remercier d’avoir secouru son fidèle Béran.

Bien évidemment, nous nous enquîmes à son sujet. L’homme était sauvé mais nécessiterait un long repos avant de retrouver toutes ses forces. Il en profita pour sermonner gentiment l’elfe Beleg de s’être aventuré en forêt sans les herbes utiles à un tel voyage sur lui. Nous lui confiâmes notre mission initiale puis lui narrâmes tout sans rien occulter, ni la lutte contre les hommes de la colline aux tyrans, ni le sentier perdu des elfes, ni même bien sûr le message manuscrit détenu par Béran. Ce dernier stipulaient « Les orques sont de retour au château du Pont de Tourbe », un lieu situé au sud de la grande forêt. La recrudescence d’activité orque inquiéta le magicien tout comme l’accusations de vol portée par Dagmar à l’encontre de son protégé. Il nous précisa que Morgdred, fort d’avoir déloger les orques de la colline aux tyrans lors de la chasse du Nécromancien, réclamait désormais un tribut à tous ceux vivant proches de ses terres pour profiter de sa protection. Malheureusement, seul le pauvre Béran pourrait nous en dire plus mais l’homme n’était pas en état de témoigner. Puis le mage s’éclipsa et, après un long moment que nous jugeâmes suffisant, nous quittâmes sa demeure puis Rhosgobel le lendemain après une soirée aux bons soins de ses occupants. Nous les en remerciâmes chaleureusement à notre départ.
Trois jours. Trois jours que nous avons dépassés les pierres jumelles et entrepris de suivre l’ancienne sente elfique pour rejoindre la Brèche. Il nous fallut rationner notre eau. Cette forêt de malheur était harassante pour nos organismes mais aussi pour nos esprits. Elle se densifiait recouvrant nos têtes d’une épaisse et sombre canopée griffue. S’y replonger après notre étape à Rhosgobel ne fut pas de gaieté de cœur. L’ombre planait ici et obscurcissait ma clairvoyance. Elle s’immisçait dans mon esprit embrumant mes sens et mettant à mal mon rôle de guide. Par bonheur je pus compter sur l’aide de mes deux éclaireurs, Jarl et Myhra. Ces derniers retrouvèrent le lieu de l’embuscade de Dagmar. Les corps de nos ennemis que nous avions abandonné sans sépulture décente faute de temps avaient tous été dévorés en parti. Tout comme mes compagnons, ce témoignage me chagrina le cœur. Je proposais d’ensevelir le reste de ces corps mais on me rétorqua que la terre ici était dure comme le fer. J’insistais en soulignant que l’on pourrait les recouvrir de pierres mais, une nouvelle fois, on me notifia justement que nous y perdrions un temps précieux et qu’ici on ne trouverait que racines et bois mort. J’abdiquais vaincu et nous poursuivîmes vers l’est.

Le lendemain, pour m’assurer que telle était ma direction, j’enquis Jarl de monter aux arbres pour percer la canopée et me l'indiquer avec l’aide du soleil. Une initiative bien malheureuse de ma part car le jeune homme failli se briser les os en chutant des cimes. Décidément, mes choix s’avéraient mauvais. Cette maudite forêt se jouait de nous, de moi surtout.
Nous progressâmes donc vers ce que j’estimais être l’est jusqu’à l’avertissement de Beleg qui ressentit au-devant de nous un mal profond, un lieu imprégné de noirceur. Nous prîmes sur nous de rallonger notre route en le contournant par le nord. Il nous fallut choisir entre les araignées ou les orques. Nous optâmes pour ces dernières et bien nous en fut car nous ne trouvâmes lors de notre détour la seule trace de leurs horribles toiles. Puis, nous pressentîmes enfin la zone de ténèbres derrière nous et bifurquâmes au sud pour reprendre vers l’est.
Après trois autres jours de voyages dans cette noirceur et aussi surprenant que cela puisse paraître, nous sortîmes brusquement de la Forêt Noire. Sur son orée est, celle-ci ne s’éclaircissant point. Non, elle s’estompait brutalement laissant place à un paysage vallonné de prairies et de champs. C’est en ce lieu verdoyant que nous rencontrâmes la communauté de
Ceawyn-le-généreux.
à suivre...