Pas mal de retard à rattraper:
La statue de l'ambassade (1/2)
Behidran Al-Limaza, le secrétaire de l’ambassadeur du Califat arrive dans tous ses états à la Spada Battuta. Rapidement, il confie la cause de son émoi à Bertrando et ses comparses, le vieil épéiste ayant gagné son amitié précédemment : la statue ornant la fontaine des jardins intérieurs de l’ambassade est brisée : vandalisme aux relents nationalistes, faute d’un domestique ou simple fragilisation de l’œuvre durant la traversée vers Vicerezzo ? L’heure n’est pas aux conjectures et Behidran souhaite l’aide du quatuor pour l’aider à sélectionner un artiste local capable de produire une œuvre qui rayonnera du haut de la fontaine. Le nom de Luca Serpotta leur vient immédiatement en tête et ils rassurent l’émissaire, un artiste au talent aussi sûr que le goût, lui sera présenté pas plus tard que ce soir.
Une fois seuls, ils se dirigent aussitôt vers l’atelier du sculpteur, vêtus de leur certitude, crottés de poussière et de boue pour lui soumettre l’aubaine qui s’offre à lui de rayonner au-delà des murs de la ville. Les élèves suspendent leurs coups de burin, pendus aux lèvres de Serpotta dans une tension palpable. C’est bien sûr sans compter sur l’affabilité de l’artiste qui refuse de délier les cordons de sa bourse pour entendre parler de sa fortune prochaine. Quelque peu dépités, la petite bande remarque, dans un coin de l’atelier, Samiro, le meilleur apprenti du maître, la tête rentrée dans les épaules pour éviter de se faire remarquer et subir une critique assassine. Ils lui font discrètement signe de les retrouver dehors et c’est donc un Samiro pas très à l’aise qui les rejoint dans la rue après s’être assuré de ne pas être vu.
L’affaire est rapidement exposée, le jeune a du talent, la commande de l’ambassade est assurée, c’est l’heure pour lui de saisir l’opportunité et de s’émanciper d’un tyran qui l’exploite. Sensible à ces arguments, l’indécision repose sur la location d’un atelier et le prix de la matière première, le marbre ayant flambé avec les travaux de l’ambassade. Un accord est trouvé : en échange d’un partage des gains sur la statue, la joyeuse bande s’engage à trouver un lieu de travail ainsi qu’une aide pour se procurer un bloc de marbre. Samiro va, de son côté, faire le tour de ses contacts pour obtenir une piste pour du marbre et, bien sûr, le talent.
Des bras sont réquisitionnés à l’école pour nettoyer le vieil entrepôt dans lequel ils avaient rencontré Aubepino Carusi, dans le quartier du port et, en début de soirée, c’est un Samiro timoré qui rencontre Behidran qui finit par se laisser convaincre par les regards rassurants de Bertrando. Samiro pourra donc faire une proposition de statue d’ici une dizaine de jours. Il a d’ailleurs deux bonnes nouvelles, il a réussi à obtenir un congé de 3 jours, de quoi voir si l’aventure est faisable et un ancien condisciple lui a parlé de plusieurs colonnes de porphyre rouge dans un monastère abandonné à une certaine distance, ayant été dépêché dans le village de Spogira pour y évaluer l’ampleur des travaux. Après s’être arrangé avec leur morale, le groupe décide de se mettre en route le lendemain matin avec une carriole pour aller récupérer une de ces fameuses colonnes.
Le voyage se passe sans encombre et, retrouvant le monastère d’où ils avaient libéré Voluno et Pammachio l’an passé, les bretteurs ainsi que Samiro peuvent vérifier l’existence des colonnes dans le péristyle. Tandis que le sculpteur étudie les diverses colonnes pour sélectionner la moins abimées par le temps, les autres en profitent pour vérifier que le monastère ne présente pas de traces de passage récent et font une étrange découverte dans ce qui semble être la cellule d’un moine comme en atteste un vieux squelette au crâne fracturé dans une robe de bure : les murs semblent couverts de peintures, partiellement effacées, à minima datant d’une vingtaine d’année. Parmi les moins abimées, ils reconnaissent le doge, comme s’il avait été peint la veille, en larme, une cité inconnue livrée à de hautes flammes, une femme brandissant un livre et une croix et le soleil dévoré par des rats. Perplexes, Giacomo en fait un rapide croquis avant de participer à un effort commun pour déplacer l’imposante pierre vers la charrette, remarquant au passage qu’un symbole étrange est gravé près de la base. A la demande générale, Samiro assure qu’il le fera disparaître d’un coup de burin afin d’assurer l’anonymat de la pierre qui sera suffisante pour faire une statue sommaire mais rien de trop exotique.
De retour en ville, ils accompagnent le jeune prendre des premières mesures devant la fontaine et alors que celui-ci s’apprête à retrouver son nouvel atelier quand arrivent deux hommes qui se fusillent du regard tout en ignorant le groupe. Dehors, Samiro avoue les connaître, deux artistes aux vues antagonistes, qui rivalisaient avec Serpotta pour ce qui était de la clientèle fortunée de la ville. Il présente rapidement Giovanni Di Senna, un dévot rancunier pour qui l’art doit inspirer la foi et Ippocrato Leggio, un moine défroqué aux statues indécentes dont la trajectoire semble tournoyer autour d’un bûcher futur. Autant dire que le jeune artiste est au plus bas mais quelques bons mots suffisent à le remettre en selle, il fera de son mieux. Roberto profite de la bonne relation qu’il a avec Behidran pour trainer dans le jardin, observer les deux hommes se poignarder du regard en prenant des mesures puis s’entretenir rapidement avec le scribe. Une fois le jardin retombé dans le calme, il se révèle au copiste qui lui avoue que l’ambassadeur a décidé d’ouvrir un petit concours concernant la statue et qu’il lui a été forcé de faire appel à d’autres artistes. Il a bien voulu prévenir son ami mais ne l’a pas trouvé à l’école la veille. Behidran promet de faire ce qu’il peut pour que Samiro ne soit pas dans l’ombre des deux autres, un certain Luca Serpotta ayant refusé très nettement de travailler pour le Califat.
La joyeuse bande met donc sur pied ses futures occupations : motiver quotidiennement Samiro pour qu’il ne ménage pas sa peine tout en espionnant ses deux rivaux afin de trouver une faille à exploiter. Si Giovanni tient religieusement un atelier très calme, entouré d’assistants, qui se rendent quotidiennement à toutes les messes de la cathédrale, Ippolito vit presque dans sa crasse, seul, dans le quartier des arènes, ne s’arrêtant qu’à la nuit tombée pour sortir s’enivrer. Un plan de dessine doucement et, à la faveur de la nuit, après avoir laissé suffisamment de temps à tous pour avancer sur leur statue, le quatuor profite de la messe de minuit pour se glisser dans l’atelier de Di Senna, dont le cadenas cède à une vitesse qui frôle l’invitation. A l’intérieur, plusieurs dizaines de statues semblent prises au piège de bloc de pierre anguleux mais l’une d’elle attire l’attention, une femme piétinant un inconnu se laisse deviner. Roberto y voit une allégorie de la Foi écrasant les croyances, ce qui risquerait de déplaire au Califat mais, dans le doute, l’œuvre est renversé, brisée et le bras de la croyance obscènement placé sur la Foi. Ravis de leur méfait, ils s’éloignent dans la nuit, prêts à rendre semblable visite à Ippocrato le lendemain, histoire de laisser la sauce monter entre les deux hommes et peut-être même d’envisager une expédition punition de Giovanni sans avoir à s’en mêler.
A la pêche aux rumeurs, le lendemain, le quartier de la Cathédrale ne parle que de l’ignoble saccage commis par des impies mais aucune réaction ne semble avoir lieu, Giovanni préférant la voie du dédain. C’est donc le taudis d’Ippocrato qui reçoit une visite nocturne alors que ce dernier s’humidifie le palais. Les élèves y découvrent une statue de femme qui semble présenter les traits du Doge, chevauchant le monde. La satire n’est peut-être pas subtile mais une décapitation plus tard et quelques coups de burins bien sentis, la statue ne posera plus de soucis et, s’éloignant depuis les toits, le groupe aperçoit une épaisse fumée noire en direction du port. Se pourrait-il que quelqu’un ait décidé d’évincer la participation de Samiro également ? D’ailleurs, il avait obtenu 3 jours auprès de Serpotta et nous voilà à la nuit du quatrième.
En approchant, c’est effectivement l’entrepôt qui brûle et plutôt bien. Alors que les autres tentent d’organiser la foule pour éteindre les flammes, Bertrando plonge dans la fournaise pour en ressortir un Samiro étourdi qui a besoin de soins. Heureusement, l’incendie est maitrisé avant que le marbre ne soit endommagé même si le bâtiment y passe et c’est désormais dans le dortoir de la Spada Battuta que l’artiste devra œuvrer. En posant quelques questions sur le quai, ils obtiennent la description d’un homme louche qui pourrait être le survivant de la fratrie De Focco, sans certitude.
Vient enfin le grand soir et la seule statue en lice est celle de Samiro qui entre sous bonne garde dans l’ambassade alors qu’une poignée de jeunes manifestent leur mécontentement dans la rue à voir l’art de Vicerezzo se vendre à des étrangers. A l’intérieur, outre les membres de l’ambassade, les visages tuméfiés de Giovanni Di Senna et Ippolito Leggio témoigne que ce dernier a sans doute moins de retenue que le premier et qu’ils en sont venus aux mains avec ce qui semble être un match nul. Serpotta est également présent, avec un Sénateur, et félicite Samiro qui a su s’émanciper et s’apprête à voler de ses propres ailes, trouvant même un certain talent derrière l’œuvre de son ancien apprenti. Luca souhaite enterrer la hache de guerre et propose une bague à Samiro, cadeau d’un ancien maître, mais ce dernier la refuse poliment. Serpotta la glisse donc à un doigt de la statue au cas où Samiro change d’avis avant la fin de la soirée.