Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider
Publié : mer. févr. 05, 2020 6:52 am
(suite de la page précédente)
Haze quitte donc l'Hôpital et Dionysos. Il ne sait pas pourquoi mais quelque chose lui manquera et ça le déprime encore plus, plus que la nuit et le froid. Cela lui semble aberrant. Qu'est-ce qui pourrait bien lui manquer dans un endroit pareil ? Aberrant aussi, cette idée que le Virus ne serait qu'une espèce de jeu de rôle qui parviendrait à contaminer la réalité. Mais après tout, lui aussi est roliste. Il en a joué des personnages, que ce soit IRL, sur table, ou derrière son écran sur des forums. Finalement, il comprend un peu cette notion de contamination du réel par le jeu. Il se rappelle le jeu De Profundis, un jeu de rôle épistolaire dans un univers lovecraftien. Au passage, il note que Millevaux emprunte aussi au mythe de Chtulhu. Mais surtout, l'auteur de De Profundis insistait sur le fait que chaque expérience du quotidien pouvait venir enrichir le récit. Ainsi, d'une certaine façon, on ne sortait jamais du jeu et c'était finalement une sorte de contamination du réel par le jeu. Mais avec Millevaux, ça allait plus loin. Ça allait d'autant plus loin que Haze savait pertinemment qu'il n'avait pas lu De Profundis. Ce n'était pas lui, ce n'était pas son souvenir. Mais qui ? Demian Hesse ? Que signifiait tout ça ? Il ne savait plus vraiment. Sa mémoire commençait vraiment à lui jouer des tours. Il pensait savoir qui était ce Demian Hesse mais finalement en doutait. Il ne savait plus s'il était sensé le connaître ou non. Mais, il savait aussi que ces pertes de mémoires étaient caractéristiques de Millevaux. Était-il donc contaminé ? Se débarrasser du Cruel Centipède suffirait-il à lui rendre ses souvenirs ?
Haze longea le fleuve gelé jusqu'à ce que, sous la glace, il aperçut les entrées des nids de serpents géants. Là, il devait trouver le Niaucheur. Mais comment accéder aux nids ? Fouillant dans son sac, il se dit qu'il pouvait peut-être utiliser un gros mousqueton d'escalade pour tenter de briser la glace. Mais il n'avait en réalité que peu d'espoir d'y parvenir. Malgré tout, prudemment, il posa un pied sur la glace et entreprit de traverser le fleuve. Regardant à travers la glace, il ne voit rien de vivant. Pas un poisson ni même un batracien ne peut vivre dans ces conditions. Encore moins un serpent, fut-il géant. Il fait beaucoup trop froid. Au moins, pense-t-il, il ne risque pas d'être la proie d'un reptile. Mais comment trouver le Niaucheur ?
Haze pose pied sur l'autre rive et entreprend de faire du feu. Cela le réchauffera et, peut-être, attirera le Niaucheur. Mais, contre toute attente, le feu prend bien mieux que prévu. Beaucoup trop même. Et le manteau de Haze prend feu. Il se jette dans la neige pour l'éteindre. Il y parvient rapidement mais souffre malgré tout de vilaines brûlures aux bras et au torse. Il ouvre son manteau et sa chemise et se recouvre de neige pour apaiser les brûlures. Malgré tout, il ne peut retenir ses larmes, autant de dépit que de douleur. Et il se surprend à pleurnicher comme un gamin. Pleurnicher... Niaucher comme dit Anke, son amie rôliste fribourgeoise. Le Niaucheur, le Pleurnicheur !! Est-ce possible ?
À 4 pattes, Haze gagne le bord du fleuve et contemple le reflet de son visage dans la glace. Presque torse nu, il est fasciné par les brûlures qui, remontant de son torse à son cou, le défigurent. Ou peu s'en faut qu'il ne soit défiguré en tout cas. Il fixe l'homme dans la glace. Il ne se reconnaît pas. Mais, il sait que c'est lui. Il se rappelle les mots de la Bouche. Il doit parler au Niaucheur, partager avec lui. Le Langage Noir ou le Langage Jaune. La Viande Noire ou l'Opium Jaune. Noir, c'est forcément négatif, ce sont les ténèbres, l'obscurité. Mais le Jaune, il le sait bien, c'est l'indicible, c'est la folie hasturienne ! Il se regarde droit dans les yeux et prend conscience qu'il ne sait pas quoi se dire.
« Qui es-tu, Niaucheur ? As-tu quelque chose à me dire ?
- Non, mais... en vérité je te le dis, tout a déjà commencé à changer dans les murs de la Cité Bleue. Ce qui était pur devient vermine, ce qui était laid se pare d'une beauté artificielle et contre-nature, l'homme qui était vertueux devient un pécheur et la femme qui était fidèle voit son corps enfler de concupiscence. Et le cœur même de la Cité Bleue n'est jamais tout à fait ce qu'il était hier. Les palais deviennent des cloaques, les jardins deviennent des jungles. La bête docile et servile devient un monstre sauvage, elle mord la main qui l'a nourri, force les barreaux de sa cage et part semer la terreur dans la Cité Bleue. Et des choses dorment dans des cocons, ce qu'elles étaient auparavant n'est plus que limon à l'intérieur d'une carapace, et ce qui en sortira portera le visage du Démon.
Que le Juste châtie ses semblables qui ont déjà chuté, qu'il leur donne l'absolution, qu'il traite les maladies et les difformités, ou qu'il se prémunisse lui-même contre toute forme d'impureté et de changement, le Juste devra lire en son cœur pour savoir ce que Dieu veut qu'il fasse en son Nom. »
Haze fixe le Niaucheur, les yeux grand ouverts. Il croit comprendre. Il a peur de comprendre. La maladie a commencé à se répandre à Blue City. Et, de là, elle pourra se répandre dans le monde réel. L'avenir s'annonce bien sombre. Haze a parlé le Langage Noir. Il doit maintenant partager la Viande Noire. Dans la glace, il voit que son torse brûlé est devenu noir justement. Il retourne à son sac et trouve dedans un petit couteau. De retour au bord du fleuve, il s'attaque à découper un morceau de viande carbonisée à même son torse. La douleur est insupportable. Il y a du sang partout dans la neige, sur la glace. Le visage du Niaucheur ne lui apparaît plus que derrière un voile de larme et de sang. Pourtant, malgré tout, il présente un bout de chair sombre au Niaucheur et entreprend de dévorer cette Viande Noire et crue.
Puis, il s'écroule, inconscient, dans la neige et le sang.
L'appartement de Johanna Ackermann. Elle est seule. Elle fait la cuisine. Elle a de la visite ce soir. Damon Haze, l'ex agent du FBI qui s'est occupé d'elle suite à son kidnapping par le tueur Coleman. Elle a passé du temps en soins intensifs puis, à sa sortie, Haze est revenue vers elle. Pour l’aider. Mais pas que. Aujourd'hui, ils ont une relation pour le moins ambiguë. À la limite du platonique et... d'autre chose. Elle sent bien que Haze n'en a pas fini avec cette histoire et qu'il reste auprès d'elle aussi, entre autre ou principalement pour en savoir plus sur les délires de Coleman. Et aussi sur tout ce qu'elle a ou croit avoir vécu dans cette Cité Bleue et cette forêt maudite. Mais rien de tout cela n'était réel, hein ? D'ailleurs, même le type avec qui elle s'est retrouvée là-bas a disparu. Elle ne sait même pas s'il a vraiment existé ailleurs que de son crâne. D'après certains médecins, elle aurait inventé tout ça pour tenir psychologiquement face aux sévices infligés par Coleman. Une sorte de fuite, de fugue psychologique. Oui, elle est tentée d'y croire. Elle y croirait plus facilement si Haze y croyait et se décidai à franchir le cap. Ce soir, peut-être...
« Toc Toc !
Qui est là ?
C'est moi, Sodek.
Qu'est-ce que tu me veux encore ?
Tu le sais, on a du travail. C'est bientôt le jour.
Non ! Ce n'est pas le jour. Il y a encore du temps. Beaucoup de temps avant la prochaine fois. Tu n'as aucune raison de venir m'importuner. Pourquoi ?
Pourquoi ? Mais... mais parce que tu t'es assez servi de moi, Johanna. Maintenant, c'est mon tour. Pourquoi attendre le 13ème jour du 13ème mois pour s'amuser un peu ? Qu'est-ce que ça changera ? Rien du tout !
Bien sûr que si ! Se laisser aller comme ça est le meilleur moyen de commettre une erreur qui les mettra sur ta trace, notre trace.
Mais non ! Il suffit de changer de mode opératoire. Là, ce ne sera pas pour ce que tu sais. Ce sera juste pour... s'amuser. Allez, il n'y a personne dont tu voudrais te débarrasser ?
Si ! Il y a cette femme. Edes Corso. Je sais que Damon la connaît. Je sais qu'il la voit.
Et tu voudrais qu'il lui arrive quelque chose à cette Edes Corso ? Pourquoi attendre le 13ème jour du 13ème mois ?
Tu es certain que ça ne bouleversera pas nos... tes plans ?
Certain !
Pourquoi ? Pourquoi fais tu ça, Sodek ?
Tu le sais très bien. Tu as eu ta chance, Johanna. Et tu as échoué. Maintenant, c'est moi qui prend les rênes. On va faire ça à ma manière. Ça va prendre un peu plus de temps mais ça marchera cette fois.
Sodek, pourquoi dis-tu qu'on a du travail alors que tu sais que le 13ème jour du 13ème est dans longtemps et que tu veux seulement t'amuser ?
Je dis ça parce qu'on a vraiment du travail. Certes, nous avons du temps devant nous mais il y aussi de long préparatifs et de longs rituels à accomplir pour que tout soit parfait. Tu sais bien de quoi je parle...
« Le roman qui rend fou ! » Voila quel sera désormais l'argument de vente de ce vieux roman de fantasy écrit en 1958 par un certain Jone King : La Quête de l'Ange-Paon de Yézédis. En vérité, l'intrigue importe peu. Ce qui importe, c'est ce qui s'est passé ce samedi 25 mai dans une bibliothèque de quartier d'Olympia, état de Washington. En effet, un homme d'une cinquantaine d'année en train de lire ce roman a subitement été pris de folie. Criant être l'un des personnages principaux, un certain Tad Corso – aventurier explorant une forêt hantée par des monstres nommés Horlas, l'homme s'en est pris avec les plus grande violence aux autres usagers ainsi qu'aux membres du personnel. Il a fallu l'intervention conjointe des forces de police et des services de sécurité de la bibliothèque pour maîtriser le forcené. Celui-ci a finalement succombé à une crise cardiaque. Ces derniers mots concernèrent le Roi-Volcan et parlèrent du 13ème jour du 13ème mois, un autre personnage et un moment fort du livre.
Haze émerge lentement et douloureusement de son inconscience. Il a l'impression qu'on s'agite autour de lui. Il sent des mains qui le palpent sans ménagement. On est en train de lui faire les poches ! Il se retourne sur le dos aussi vite qu'il peut et tente de voir à qui ou à quoi il a à faire.
« Edes ? »
Non, ce n'est pas elle. Impossible. Qu'est-ce qu'Edes ferait ici. Et puis, son œil ? Comme une coquille de noix. Et... ce déguisement ! Ces ailes en bois... Haze tente de se redresser en prenant appui sur son coude.
« Edes ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Qu'est-ce que tu... ?
Qui es-tu ? D'où tu me connais ?
C'est moi, Damon.
Les seuls démons que je connais sont ceux que j'ai tués ! Es-tu un Horla ? Tu ne ressembles pas à un Cœlacanthe.
Non,non Edes. C'est moi, Damon Haze. Rappelles-toi, on est... ami.s Enfin plus ou moins. Plus que moins même. Enfin, tu vois ce que je veux dire ? »
Il semblait bien que non. Cet étrange sosie d'Edes, qui répondait pourtant à son nom, fit un petit bond en arrière, s'arma d'une dague et fixa Haze avec méfiance.
« Euh, Edes... J'ai vu le Niaucheur. Il m'a dit que la corruption allait se répandre. Qu'elle s'était déjà répandue. Ça a déjà commencé. Elle traverse les mondes. Les Justes doivent éradiquer les démons... au nom de Dieu. »
Haze, en jouant franc jeu autant que possible, espérant ainsi apaiser cette femme et gagner sa confiance. Il savait qu'il n'était clairement pas en position de force. En cas de combat, elle l'emporterait certainement. Et puis, peut-être que tout ça aurait du sens pour elle.
La femme, Edes ? le fixait toujours mais son visage prit une nouvelle expression, moins menaçante. Elle semblait étonnée, surprise, mais aussi plus attentive.
« Tu parles comme lui
Comme qui ?
Le Fondateur de notre famille, l'Ange Guerrier, le Rêveur. Tad Edes Corso. C'est de lui que je tiens mon nom et mes dons. C'est grâce à lui que j'entends les Lwas en songe. C'est notre devoir d'aller dans le cauchemar combattre les Cœlacanthes. Tu ne dois pas y aller. Tu ne peux pas. C'est à nous, les Corso héritiers du don du Fondateur, qu'incombe cette tâche. Et les Powl nous aident en attirant sur nous la bienveillance des Lwas. »
OK, cette femme est folle. Elle ressemble à Edes. Elle répond au même nom. Mais elle est folle. Comment se tirer de ce mauvais pas ? Haze ne pense plus qu'à une chose, se tirer le plus vite possible. Pourtant...
« Je dois me rendre à la Prison du Roi-Volcan.
Non ! N'y vas pas ! Cet endroit est maudit. On ne peut y accéder sans danger que le 13ème jour du 13ème mois.
Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? Que sais-tu du tueur du 13ème jour du 13ème mois ? »
Et Haze eut une vision. Un flash. Il se rappelle alors une conversation avec Johanna. Dans sa cuisine. Elle était en panique totale et lui a parlé du tueur. Elle disait le connaître. Elle disait que c'était lui, Sodek Nofink, qui tuait chaque 13ème jour du 13mois. Lui aussi, comme Coleman voudrait ouvrir une Porte aux Cœlacanthes. Mais il aurait un plan à long terme. À beaucoup plus long terme. Cela ferait longtemps que Sodek mûrit son plan. Il aurait même commencé à tuer avant Coleman. Et Sodek voulait tuer... Edes !
Haze ne savait plus. Edes avait-elle été assassinée ou non ? Si oui, cette fille était un fantôme et il était... certainement pas au Paradis. Où ça alors ? L'Enfer ? Le Purgatoire ? Était-il mort lui aussi ? Dans le crash de l'hélicoptère... Avait-il basculé dans ce monde de folie et de cauchemars dont parlait Coleman, ce Millevaux ? Et jamais un téléphone quand on en a besoin ! Il aurait bien eu besoin des conseil de Contrôle à ce moment précis.
« Edes... Es-tu... Vivante ?
Évidemment, imbécile ! Je ne serais pas là à te parler sinon. Mais je suis la dernière, la seule survivante. Mon clan, toutes mes familles ont péri dans la fracture. Seules... enfin, nous avons pu remonter de l'Abysse.
Nous ?
Oui, la Magicienne. Elle aussi a pu remonter. C'est elle qui m'a tiré de là. Elle m'a sauvé, cette fois encore. »
Et Edes tapotait du doigt la coquille de noix qui lui servait d’œil.
« La Magicienne ? Je dois la voir. Où est-elle ?
Je suis là, Damon-Demian. »
Haze reconnut tout de suite cette silhouette. Ce long manteau et cette toque en fourrure. Le Magicien ! La Magicienne... C'était pourtant bien UN Magicien qu'il avait interrogé dans les locaux de la police d'Olympia quand il enquêtait sur Coleman ?
« Je dois rêver, lâcha-t-il dans un souffle. Mais je ne veux pas.
Tu vois, rebondit Edes. Tu parles encore comme lui. Le Fondateur disait ça lui aussi. Il devait rêver mais ne voulait pas. »
La magicienne l'observa avec un certain amusement. Elle fouilla dans sa besace et tendit devant lui ses deux paumes ouvertes.
« La Bille ou la Noix ? Le 13ème jour ou le 13ème mois ? Choisis ! »
Et le visage de la Magicienne se fendit d'un large sourire. Haze flairait l'arnaque à plusieurs kilomètres. Il ne voulait pas choisir. Et pourtant... Il fixa Edes droit dans les yeux. Dans l’œil et la Noix... Vas pour la Noix ?
Et il saisit la...
Le réfectoire d'un hôpital. Non ! Le réfectoire DE l'Hôpital. Les patients sont en train de manger. Soudain, l'un d'eux se lève. Pris d'une crise de démence, il renverse sa chaise. La bave aux lèvres, il se jette sur son voisin et lui plante sa fourchette dans la gorge.
Le patient 58,un homme d'une cinquantaine d'années, est rapidement maîtrisé par les Blouses Blanches. Sodek, comme beaucoup d'autres patients, est resté impassible. Il a tout de même remarqué que le patient 58 a les épaules couvertes de pellicules. Mentalement, il prend des notes. Aujourd'hui, le 58. Avant-hier, le 71. Demain, le 46...
Pour Sodek, n° 82, tout est clair. Ceci est un message. Et qui dit message, dit messager. Et qui dit messager dit... Nyarlathotep !
Ville de XXXX. Ce parc d'attractions est particulièrement bien gardé, de jour comme de nuit, car son sous-sol abrite des locaux de la Compagnie. Aujourd'hui, ici-même, le chef-instructeur Snyder participe à une réunion du Département Spécial de la Compagnie avec des cadres de l'Ingénierie Mnémonique et de la Mythographie.
Ce matin, tout le monde tente de faire bonne figure mais, contrairement à ce qui se passe en surface, l'ambiance n'est pas à la fête. Le désespoir et la peur se lisent dans les regards des uns et des autres. La nouvelle est tombé et elle est mauvaise. Très mauvaise. Blue City est en proie à une corruption d'origine inconnue. Des noms reviennent néanmoins : le Cruel Centipède, Shub'Niggurath, le Roi en Jaune, Millevaux.
Snyder tente malgré tout d'être rassurant. Il a une piste, affirme-t-il, un atout. Ce nouvel agent, Haze. Il connaît Millevaux. Il y a encore une chance de sauver Blue City... et le monde.
OMNISCIENCE :
Depuis quelques jours, depuis qu'il a tué deux membres de sa communauté, SiAber se sent mal. Ce ne sont ni les remords, ni la culpabilité mais des images étranges qui lui sont venues en rêve peu de temps après qui le rongent. En réalité, ce ne sont pas des rêves mais des souvenirs. Mais, ce ne sont pas les siens. Ce sont ceux des personnes qu'il a tuées. Il voit ainsi la première dans une cabane à moitié en ruine, sorte de taverne, perdue dans des marais. Là, il boit en compagnie d'une bande de dégénérés qui ont tout l'air d'une bande de cannibales. Tous, ils rient en buvant et se donnant de grandes tapes dans le dos. Son autre rêve lui paraît plus intéressant. Même si plus mystérieux. Il revoit la Prison du Roi-Volcan. Ce membre de son clan s'y est rendu. Il a vu, dans ces ruines, le Roi-Volcan et le Roi-Volcan lui a donné un nombre. Ce nombre était le 13.
Aujourd'hui, SiAber a suivi la Magicienne dans la forêt. Ou plutôt, elle s'est laissée suivre. Arrivée au Noyer, elle lui fait face et, lui tendant les mains, paumes ouvertes, lui propose de choisir entre une Noix et une Bille.
SiAber choisit la...
Ses visions le transportent dans un autre monde ou un autre temps. Il ne sait plus. En tout cas, cela n'a rien à voir avec ses visions habituelles. Là, il ne se contente pas de voir fugacement, partiellement, ce qui va advenir. Ses visions lui donnent... une mission. Il doit accomplir quelque chose pour accéder à une vision « Primordiale », quelque chose d'important, de capital !
Quand il ouvre les yeux, SiAber reconnaît cette étrange pyramide au Nord-Ouest des Colonnes. Mais quelque chose a changé. Quelque chose de majeur. De radical ! Il neige !!! La pyramide. La forêt. Millevaux est sous la neige !
Une silhouette se dessine à l'une des entrées de la pyramide. Un Horla ! Il a un corps d'homme mais sa tête est un amas de tentacules grouillants. Le torse de la créature est scarifié au niveau du cœur. Ces cicatrices, SiAber le sait, symbolise le nombre 13. malgré la neige et le froid, le Horla ne porte qu'un long pagne de couleur pourpre. Il a les bras levés en croix et semble dans une sorte de transe qui le fait onduler lentement. Autour de lui, l'air se cristallise en pétales de fleurs tombant à ses pieds. Fragments de rose en hologramme...
SiAber est terrifié. Pourtant, le Horla semble inoffensif. Il ne bouge pas. À se demander s'il a conscience de la présence de SiAber. Pourtant...
« Je suis le Kraken ! L'oubli m'a jeté au fond d'un océan de solitude, à 13000 m de profondeur. Retrouver mon nom apaiserait mon âme... Parce que le joueur le sait, je le sais et tu le sais. La forêt est Millevaux est Shub'Niggurath. La neige est Ithaqua. La Magicienne est à tes côtés. »
Et à ces mots, le Kraken s'en retourne à l'intérieur de la pyramide, laissant SiAber là, interdit. Un raclement de gorge à sa droite attire son attention. La Magicienne est là... à ses côtés. Mais quelque chose a changé chez elle. Son long manteau glisse sur ses épaules qui se révèlent être en acier. Des symboles sont gravés dessus. SiAber s'approche pour mieux les voir mais la Magicienne recule et remonte son manteau. Elle le regarde droit dans les yeux. SiAber jurerait qu'elle tente de le charmer. Elle fouille dans ses poches et en sort une Bille et une Noix.
« Choisis »
Et SiAber choisit la...
Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? Là, de jeunes garçons sont la proie de horlacanthes qui leur arrachent les bourses avec une arme-cactus électrique, sans anesthésie. L'arme les cautérise. Puis ils restent parqués ici, vivant captifs dans leur propre merde. Qu'est-ce que ça veut dire ? Que doit-il faire ? Sauver un enfant ? Lequel ? Déjà, il cherche un endroit d'où pouvoir mieux observer la scène sans être vu des Cœlacanthes.
Une fois à l'abri derrière... Derrière quoi ? SiAber se rend alors compte que si les enfants et les Cœlacanthes lui apparaissent très nettement, tout me reste est flou. Concrètement, il lui est impossible de dire où il est, à quoi ressemble cet endroit. Cela lui donne presque le tournis. Il doit même se concentrer pour que les enfants ne deviennent pas flous eux aussi. Il sent qu'il doit agir vite. Aussi, il relâche les araignées qu'il a en lui et les envoie faire diversion. Il espère ainsi attirer ailleurs l'attention des monstres pendant qu'il s'emparera d'un enfant (mais lequel et pourquoi celui-là plus qu'un autre?) et s'enfuira par cette porte qu'il sait (mais comment?) être derrière lui sur sa gauche.
Il se recroqueville alors sur lui-même et ouvre grand les yeux et la bouche. Il sent alors des milliers d'araignées s'agiter et sortir de son corps. Alors qu'elles se mettent à recouvrir deux horlacanthes opérant sur de jeunes garçons, SiAber rampe dans la direction opposée. Il s'approche d'un enfant et le tire par le bras. Il lui plaque la main sur la bouche pour l'empêcher de crier et, alors que les monstres se débattent avec les araignées, il le tire vers la sortie. Mais avant de passer la porte, il tire deux Noix de sa besace et lui en tend une. Et lui dit :
« Je suis le Corvidé ! Ici et maintenant je te donne cette Noix pour transporter ton âme dans la vie suivante. Je suis le Corvidé !
Écoute les yeux, répond le garçon. Ils te disent de répéter ton mantra pour accéder à la Vision. Ils te disent que mon sang doit couler »
SiAber acquiesce. Il sort une dague de sa besace et entaille la main du garçon. Alors, le décor cesse d'être flou. Et la porte apparaît nettement. Il entraîne le garçon.
Dehors, dans la neige, la Magicienne est là. Elle attend.
« Camille ! Viens ! »
Elle ouvre grand son manteau et le jeune garçon s'y réfugie, à l'abri du froid. Alors qu'elle le referme sur eux deux, elle prend soin de laisser nues ses épaules d'acier. SiAber s'approche et parcourt du doigts les étranges gravures en langue putride. Il comprend...
Le Cruel Centipède, une nouvelle forme de Millevaux, cette maladie qui ronge l'espace et le temps. Cette corruption. Cette putréfaction. L'univers, les univers meurent ! Il(s) se décompose(ent) et Millevaux sont ses miasmes protéiformes et pourrissant qui en émanent et se répandent, condamnant ce qui reste du cadavre de l'Hommonde à une lente désagrégation. L'Hommonde ? Qu'est-ce que c'est ?
SiAber a un mouvement de recul. La Magicienne se retourne et lui présente son autre épaule. D'autres gravures, mais pas en langue putride cette fois. Les « Dunes Vivantes », la paix contre la nocive alliance.
SiAber fixe son regard sur la Magicienne mais elle ne lui accorde plus aucune attention. Elle ne songe plus qu'à réchauffer et cajoler le jeune Camille. Mais il sait ! Il sait que les Dunes Vivantes l'aideront à vaincre la neige, à vaincre la forêt, à faire reculer Millevaux !
SiAber ouvre les yeux. La Magicienne, celle aux épaules de chair, est face a lui. Elle lui sourit. Quelque chose dans son regard lui dit qu'elle sait. Elle sait tout ! Tout ?
Elle lui tend les mains, paumes ouvertes. L'une est vide. Dans l'autre, il reste une...
SiAber s'en saisit...
Il reconnaît cet endroit. Il est consacré au Roi-Volcan. Devant la porte, deux personnes semblent l'attendre. Un homme, plutôt mal en point, à l'air nerveux, se présente comme étant un certain Damon Haze. Le femme prétend s'appeler Sodek NoFink et elle fait peur à SiAber. Elle lève la main et déclare.
« Le Roi-Volcan m'a donné un nombre et ce nombre est... »
Et d'un geste, elle nous invite, ce Haze et moi ,à entrer dans la prison du Roi-Volcan. Elle n'a pas besoin d'en dire plus, Haze et SiAber ont très bien compris ce qu'il doivent faire : trouver le Roi-Volcan pour qu'il leur donne leur nombre.
SiAber se rappelle que tout cela n'est qu'une vision. Rien n'est réel. Pas encore. Il sait, en tant que chaman du clan des Arbres, qu'il a la main-mise sur une partie de ce qui va se passer. Ce Haze est certainement un homme bon, mais s'il veut savoir, percer les secrets, SiAber doit trouver le Roi-Volcan avant lui.
Haze entre et prend immédiatement le couloir sur sa gauche. SiAber, lui, demeure immobile et se concentre. Mais il a du mal à conserver son calme. Une voix résonne en lui. « Commence par la dernière chose ! Le monde est un cut-up ! »
Ses yeux lui piquent d'une façon vraiment désagréable. Ça bourdonne dans sa tête. Il farfouille dans sa besace et en sort une carte. Une sorte de lame de tarot. Mais dessus, il y a des mots. Sur tout le pourtour de la carte, des mots. Au milieu de la carte, des mots ! Un titre : Soudain... Juste en dessous : « Commence par la dernière chose. Perds ton calme. Aide l'ennemi ou le monstre. Un tremblement de terre. Une personne a en fait un dédoublement de personnalité. » Il y a bien d'autres mots sur cette carte mais SiAber ne parvient pas à les lire. Il comprend que cette douleur dans sa tête et dans ses yeux est la rage qui tente de sortir. Il comprend que l'ennemi qu'il doit aider est Sodek. Il comprend que cet homme dans ce corps de femme, Sodek, souffre d'un dédoublement de la personnalité. Et quand il se concentre sur la terre, pour écouter les conseils des racines des arbres, il entend les prémices d'un tremblement de terre. La dernière chose à faire... serait de rester dans cette prison dont ce qui reste des ruines va bientôt s'effondrer sur ceux qui seront à l'intérieur. Et il aidera son ennemi, Johanna, en la délivrant de Sodek. Tuer Sodek ! Ce serait vraiment la dernière chose à faire. Comment percer ses secrets s'il meurt ? Ça, ce serait vraiment la dernière chose à faire. « Perds ton calme ! »
SiAber pousse un grognement et sort de la prison. Il se plante, les deux pieds dans la neige, face à Sodek et crie :
« Je suis le Corvidé ! Ici et maintenant, pour maintenir l'équilibre entre la vie et la mort, je vais transporter ton âme dans sa vie suivante ! Je suis le Corvidé ! Je vais vider ton corps ! »
Sodek s'empare alors de son arme, une sorte de pistolet-cactus, et la braque en direction de SiAber. Mais quelque chose l'empêche de tirer. Les Yeux de la forêt sont braqués sur eux. Ils vont dire à SiAber ce qu'il doit faire. S'il accepte, alors Sodek mourra.
« Tout cela est un cycle dont l'ivresse te guérira... Mais Haze mourra...
J'accepte ! »
Alors, la terre se met à trembler. Derrière lui, les ruines de la prison du Roi-Volcan s'écroule. Le bruit est tel qu'on entend même pas les cris de Haze. SiAber enfonce profondément ses pieds dans la neige. Il sent les vibrations de la terre. Il veut se transformer en arbre pour tuer Sodek mais quelque chose ne fonctionne pas dans son mantra. Le Corvidé est là. Il fait obstacle. Il s’immisce. Alors que SiAber tente de plonger ses racines dans le sol à la recherche de celles de son totem, il sent les cornes de son masque pousser. Vers le haut, dans le ciel. Mais aussi vers le bas, dans son crane. Les bois s'enfoncent dans son cerveau et cheminent tout le long de son système nerveux. Jusqu'au bout de ses pieds, de ses racines, pour enfin s'enfoncer dans la sol. Les bois vont jusqu'au bout de ses doigts qu'ils transpercent pour devenir d'improbables griffes. SiAber lève les bras en direction de Sodek et ses branchages s'allongent à toute vitesse, transperçant Sodek de part en part. Alors, le sang de Sodek se mêlant à la sève de SiAber, ce dernier sait. Il sait qui est la Terre et il sait qui est la Neige qui la recouvre. Ithaqua, le Marcheur du Vent, s'est allié à Shub'Niggurath. Il a recouvert Millevaux de son manteau de neige protectrice, figeant ainsi la forêt dans un hiver éternel. La Neige, la poudre, la poussière d'ange, l'ivresse, la défonce, l'hubris, la folie dionysiaque... La Neige d'Ithaqua est cette cocaïne qui maintient Millevaux dans une perpétuelle folie. Johanna était folle. Folle car habitée par Sodek NoFink. Les meurtres perpétrés par Sodek n'avaient pas pour seule vocation d'ouvrir une porte aux Cœlacanthes. Sodek savait ce que Johanna ne savait pas. Ces meurtres n'avaient pour seule vocation de sceller l'alliance entre Ithaqua et Shub'Niggurath. Sodek savait pour l'Hommonde ! Il savait que l'Hommonde était mort et que sa mort, sa décomposition avait engendré un cycle d'entropie. Or, l'entropie c'est la vie ! La mort de l'Hommonde était donc synonyme de vie. Mais cette décomposition s'achèverait nécessairement par la disparition totale du cadavre de l'Hommonde, signifiant alors la fin de la vie, de toutes les formes de vie ayant émergé de ce corps mort. Toutes les formes de vie dont Millevaux, les miasmes s'échappant de ce corps en putréfaction. Ces miasmes portés par le vent qui se répandaient et contaminaient le Néant, accélérant (involontairement?) la décomposition du cadavre de l'Hommonde. Les hommes que tuait Sodek n'étaient pas que d'anciens patient de l'Hôpital, ils étaient aussi, à ses yeux, des symboles de l'Hommonde, un vieil homme mourant. Tel était donc le secret de Sodek. SiAber n'était pas certain d'avoir tout saisi ni tout compris. Mais cela, il le sentait, ne lui appartenait plus. Sous son masque, par sa bouche de bois, les araignées quittaient son corps par milliers. Elles courraient le long des branches jusqu'à Sodek et tissaient leur toile autour de lui. Certaines commençaient à le manger, à pondre. SiAber se sentit étrangement vide quand la dernière araignée eut déserté son corps de chair et de bois. Mais alors, une mouche vint se poser sur lui. Et d'autres arrivèrent. Elles, elles achèveraient de comprendre tout ce que cela voulait dire...
SiAber ouvre les yeux. Il est dans une clairière. Au centre, un gigantesque noyer. Au pied de l'arbre, un vieux grammophone. Il y a un disque posé dessus. SiAber remonte la mécanique en tournant la manivelle. Une musique dissonante et discordante se fait entendre. Puis une voix...
« Je suis le Corps Vidé. Je ne suis ni un bon ni un mauvais présage. La dernière âme que j'ai accompagné au repos est celle de Johanna Ackermann. C'est dur de vivre entre la vie et la mort... »
SiAber se met à pleurer. Il se dirige vers l'arbre et cueille une poignée de Noix.
Haze ouvre les yeux dans une salle de bain. Les murs sont fait de carrelages vieillots, la faïence est fendue. Les robinets sont ouvragés avec raffinement mais très abîmés et gouttent en permanence. Il fait froid et la fenêtre ouverte donne sur la forêt, on entend des chouettes. Le bidet et le lavabo sont sales. Il y a une baignoire remplie d'une eau grise où surnagent des feuilles mortes. Une étrange musique vient de... impossible à définir. Haze reconnaît l'album Body and Soul de Cabaret Voltaire. Il se plante devant la glace et ne se reconnaît pas. Face à lui se tient un enfant. Une fille ou un garçon, difficile d'en être sûr juste en regardant ce visage triste.
Haze s'approche de la baignoire. Quelque chose de fatal va arriver, il le sent. Mais il sent aussi que...
Il se plonge dans l'eau sale. Il aspire une grande goulée d'air et plonge la tête la dans l'eau en fermant les yeux. Quand il les ouvre à nouveau, il est de nouveau dans cette forêt enneigée. Il entend toujours la musique. Devant lui, un vieux bâtiment en ruine. Adossée à un mur, une cigarette à la bouche, Johanna. Non, Sodek NoFink !
« Edes ? Elle est morte ? Tu l'as tuée finalement ?
Oui, et j'ai fait ça salement si tu veux savoir. Comme un porc... »
Haze se jette sur Sodek ! Mais il pare le coup, lui saisit le bras, le retourne et manque de lui démettre l'épaule.
« Ne fais pas l'enfant ! Calme-toi. On attend quelqu'un.
Qui ça ?
Je ne sais pas trop. Un chaman du Clan des Arbres. Sais-tu où nous sommes ?
Non.
La prison du Roi-Volcan. Le Roi-Volcan doit me donner un nombre.
Un nombre ?
Oui, mais... C'est compliqué, Damon. Tout ça te dépasse. Nous dépasse. Tout a un sens mais ce n'est pas forcément à nous qu'il incombe de le saisir. C'est la tâche du Joueur. Nous ne sommes que des révélateurs. Des pions améliorés. Mes morts ont un nombre et le Roi-Volcan en a un aussi. Je tuerai à nouveau, comme j'ai tué Edes et comme j'ai tué ces nombres. Mais il me faut aussi le nombre du Roi-Volcan. Le Roi-Volcan est bon mais il lui faut un sacrifice. Ce sera toi ou lui. »
Haze se tourne dans la direction indiquée par Sodek et voit un homme étrange. Aucune idée d'où il surgit, ni même de comment. Ses vêtements de cuir et de fourrures sont sales, couverts de terre et de sang. Il porte un masque, sorte de sac de toile sur lequel sont fixées des cornes de cerf.
Sodek se tourne vers le nouvel arrivant, lève la main et déclare.
« Le Roi-Volcan m'a donné un nombre et ce nombre est... »
...d'un geste, elle nous invite, ce type et moi, à entrer dans la prison du Roi-Volcan. Elle n'a pas besoin d'en dire plus, tous deux ont très bien compris ce qu'il doivent faire : trouver le Roi-Volcan pour qu'il leur donne leur nombre.
Haze ne sait plus si tout cela est bien réel, mais s'il veut savoir, percer les secrets, il doit trouver le Roi-Volcan avant ce type. Haze entre et, plantant l'homme dans l'entrée, prend immédiatement le couloir sur sa gauche.
Haze n'a aucune idée de comment trouver ce foutu Roi-Volcan. Il n'a même aucune idée de ce à quoi il peut bien ressembler. En tout cas, tout ça est lié à Millevaux. Et il porte une part de Millevaux sur lui : le Cruel Centipède. Après avoir vérifié que l'autre gars ne l'avait pas suivi, il se saisit du Cruel Centipède et le fixe du regard, espérant un signe. Aucune réaction de la part de cette chose mais... Haze se rend compte qu'il entend toujours cette musique. Toujours le même album du même groupe. Ça n'a pas de sens. Si, ça a forcément du sens. Réfléchis Haze !
Cabaret Voltaire, Body and Soul. Cabaret, une scène, un spectacle, une illusion. Voltaire, un philosophe, les Lumières, LA Lumière, la métaphysique. Body, le corps, mortel, un corps mort. Le meurtre métaphysique ! Soul, l'âme. Une âme, celle de qui ? La sienne ? Celle de Johanna, de Sodek ? De ses victimes ? L'âme ? Qu'est-ce que l'âme ? Une illusion. Un produit permettant à un organisme de percevoir son unité en vue de mettre en place les stratégies de préservation de son intégrité. Une illusion, un spectacle, un cabaret... Paul Singer, Dionysos, l'a dit. Tout ça n'est qu'un petit théâtre. Et si ce qui était le plus important aux yeux des hommes n'était qu'une illusion, un spectacle ? À destination de quel spectateur ? Qui se réjouit du spectacle de nos âmes ? Un Dieu ? Le Joueur ? Des Dieux ? Millevaux est hanté par des Dieux.
Haze croit comprendre. Il y a un message derrière tout ça. Ce spectacle est à destination de quelqu'un. C'est bien un message. Mais qui dit message dit messager. Et qui dit Messager dit Nyarlathotep ! Nyarlatothep ! Le messager des Dieux, le message et le moyen de communication. Et quel meilleur moyen de communication pour un Dieu fou qu'une série de meurtres ? Les meurtres de Sodek ne sont pas que les bornes d'un rituel visant à ouvrir une porte aux Cœlacanthes. C'est aussi un message. Un message chiffré puisqu'à chaque victime correspond un nombre. Mais lequel ? Des... coordonnées. Tous ces chiffres doivent être des coordonnées, ou un code dont le Roi-Volcan aurait la clé ?
Haze secoue la tête. Comment sait-il que les victimes de Sodek ont chacune un nombre ? Johanna lui a raconté une partie de son histoire. Mais celle-là ? Il ne sait plus. Mais il sait que ce que sait le Joueur, les personnages le savent également. Ou du moins, ils peuvent accéder à quelques bribes de ce savoir. La musique ! C'est ça ! Haze comprend. C'est le Joueur qui écoute cette musique. Là, maintenant, tout de suite, il a accès au Joueur !
Soudain, la terre tremble ! Quelques briques tombent du haut des murs. Haze sait qu'il n'en a plus pour très longtemps. Mais il sait ce qu'il doit chercher. Les Yeux ont menti. Il ne mourra pas ! Ou alors, il mourra pour renaître.
La terre tremble de plus en plus et ce sont maintenant des pans de murs entier qui s'écroulent. Haze regarde autour de lui et ne trouve nul part où se mettre à l'abri. Dans sa main, il tient toujours le Cruel Centipède. Il a une idée. Ça va marcher. C'est obligé !
Il libère alors le Cruel Centipède. La créature tombe au sol. Elle se met à grandir et se tortille, s'enroule sur elle-même en un motif compliqué. Haze, grâce au Joueur, reconnaît ce motif. C'est la rune Hshl et le nombre du Roi-Volcan est le 1808. Haze cligne des yeux. Un horrible bourdonnement de mouches lui vrille le crane. Il se sent aspiré par le Néant dans lequel gît le cadavre de l'Hommonde. Ça n'a aucun sens. Pas encore... Il doit mourir pour renaître...
Haze a donné rendez-vous à Johanna sur le front de mer. Il comptait prendre un verre avant de l'emmener au restaurant mais... la conversation a pris une autre tournure. Sodek s'est invité. Non en tant qu'interlocuteur mais malgré tout en tant que sujet. Johanna a peur. Elle fait de son mieux pour garder une certaine contenance mais Haze sent bien qu'elle est à deux doigts de craquer. Il sent aussi que c'est le bon moment.
« Johanna, c'est toi qui a tué Edes ?
Oui. Enfin, c'est Sodek.
Et tout ça a à voir avec son « grand plan » ?
Bien sûr. Il n'y a pas de hasard. Ces autres victimes ont un nombre. Mais pas Edes. Elle, c'est différent mais ça fait aussi parti du plan. Ce meurtre là, c'est comme... une fractale. Un fragment de rose en hologramme. C'est l'univers...
Des nombres ?
Oui, chaque victime avait un nombre, un numéro... à l'Hôpital. Je crois que tout ça forme une série. Je ne sais pas trop. Il ne m'a pas tout dit. Mais il y a une histoire de nombre.
Et Edes, pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi le... porc ?
Parce que... c'est comme ça. Partout. Partout où Le Meurtre a lieu, il y a... le porc. Et le Tueur... Des fois, c'est un tueur en série. Des fois, c'est un enfant. Des fois, il est aveugle. Des fois, il a des cornes sur la tête. Mais tout le temps, il y a le porc...
Est-ce que... est-ce que je vais mourir ?
Oui, mais... pour renaître... »
Haze a reçu un appel anonyme. On lui a donné rendez-vous dans un terrain vague. Il doit venir cette nuit. Seul, évidemment. Et sans arme bien sûr. Son interlocuteur a déclaré travailler pour quelqu'un qui avait quelque chose à lui remettre pour la Compagnie. Il n'a pas voulu en dire plus mais cette référence à la Compagnie était suffisante pour qu'Haze prenne le risque d'accepter ces conditions.
À l'heure dite, une limousine aux vitres teintées fait son apparition, phares éteints. Le véhicule s'arrête à une dizaine de mètres de Haze. Il fait mine de s'approcher mais la porte du conducteur s'ouvre. Celui-ci fait mine de porter la main droite au niveau de son aisselle gauche et, de la main gauche, lui fait signe de rester là où il est. Haze obéit. Le chauffeur ouvre alors la portière arrière. Le chauffeur se penche et échange quelques mots inaudibles avec son patron. Il ferme la portière et se dirige vers Haze. Sans un mot, il lui remet une boîte. Haze ne peut s'empêcher de l'ouvrir. Dedans, une fiole en verre. Et dans la fiole, le Cruel Centipède. Le chauffeur se barre les lèvres de son index puis, les deux paumes levées, fait signe à Haze de reculer. Marchant à reculons, le chauffeur regagne la limousine et redémarre.
Haze range la boîte dans la poche intérieure de sa veste. Il en est convaincu, l'Horreur vient de prendre une nouvelle forme, arpentant le monde au milieu des mortels...
Le meurtre d'Edes Corso a fait la une de tous les journaux et l'ouverture de tous les JT nationaux et même internationaux. La riche héritière était très célèbre et les journalistes ont adoré décrire encore et encore les détails les plus salaces de la scène de crime. Les blessures au visage mais surtout... le porc. Célébrité et argent oblige, la police a mis les bouchées doubles sur l'affaire. Des croisements effectués à la suite de prélèvements d'ADN ont permis de remonter jusqu'à une certaine Johanna Ackermann. Il semblerait donc que cette femme ait été présente sur toutes les scènes de crime. Pas seulement celle d'Edes Corso mais aussi celles de ces hommes dont la mort était attribuée au Tueur du Calendrier.
Ackermann s'est rendue sans opposer de résistance. Lors des premiers interrogatoires, elle a peiné à raconter ce qu'elle savait. On aurait dit qu'elle racontait une histoire vécue par un autre. Puis, au détour d'un entretien avec un des experts psychiatres, la personnalité de Sodek NoFink a fait son apparition. Il a tenu alors des propos plus qu'incohérents, affirmant que oui toutes ces morts, même celle d'Edes Corso s'inscrivaient dans un vaste plan. Oui, ce plan était interrompu mais, après tout, le mal était fait et rien n'empêcherait plus sa réalisation. Ici ou ailleurs... il affirma également que ce n'était pas par hasard qu'Edes Corso s'était entiché de cet ancien agent du FBI. Elle savait qu'il était mêlé à tout ça. Et elle savait qu'elle allait mourir. Il alla même jusqu'à dire que c'était pour l'approcher lui, Sodek, qu'elle avait fait la connaissance de l'ex agent Haze. Tout ça faisait donc parti de ce fameux plan. Aucune logique là-dedans, aux dires du psychiatre. Les délires d'un fou. Ou plutôt, d'une folle. C'était certainement par unique jalousie qu'elle s'était attaquée à Edes Corso. Et pour les autres hommes, une enquête sur l'enfance de Johanna fit état d'une hospitalisation en maison de repos. Là, il semblerait qu'elle fut abusée par un autre patient pouvant présenter des ressemblances avec ses victimes en tant que Tueur du Calendrier.
Ackermann fut condamnée à être internée en institut psychiatrique de haute sécurité pour une durée de 13 ans.
Réponse de Thomas !
A. Encore un grand merci pour ce CR qui s’avère être à nouveau une novelette !
B. Damon Haze et Edes Corso en couple, la rencontre de deux persos principaux de la première et de la deuxième campagne, c’est enthousiasmant ! Tu es train de tisser ta saga personnelle à travers Millevaux.
C. J’adore le côté super méta de voir Millevaux comme un virus libéré sous licence creative commons, afin que n’importe qui puisse créer ses propres souches mutantes ! Pour l’exactitude, Millevaux n’est pas en creative commons mais dans le domaine public. Je pense qu’ « open source » serait le terme qui collerait mieux à ta fiction, pour sa connotation hacker.
D. Sympa de voir certaines thématiques de Millevaux (l’emprise, avec cette forêt tropicale enneigée, et l’oubli) se retrouver exploitées dans ce CR !
E. La contamination des mondes par Millevaux est un thème récurrent de Millevaux Mantra, j’ignore à quel point tu exploites ce jeu dans ta campagne (juste le contexte ? Aussi les tables ? Ou aussi le système?)
F. « une bouche dessinée sur le mur scande « Je suis Dionysos ! La Voix de la Bouche ! Dansez ! Chantez, les ivres et les fous ! » : la bouche dessinée chante vraiment où les paroles sont justes écrites sur le mur ?
G. « Haze plonge sa main dans sa poche et en tire un jeu de cartes. Il en sait pas ce que ce jeu fait là. Il n'aime pas jouer aux cartes. Enfin, pas spécialement. Juste comme ça, il en tire 2 au hasard : 10 de cœur et 5 de trèfle. » Je suppose qu’il s’agit des cartes à tirer dans le jeu « Le Tueur du Calendrier » motorisé par Protocol ? J’aime beaucoup cette mise en abîme !
H. Encore un trip méta avec le personnage qui base ses réflexions sur le jeu de rôle épistolaire De Profundis… qu’il n’a en réalité pas lu : la pervasivité entre le personnage et le joueur joue à plein.
I. Un petit extrait de l’Apocalypse selon Millevaux fort à propos suivi d’une dégustation de sa propre chair carbonisée, un moment tout cronenbergien !
I. Le Roman qui rend fou : hommage au roi en jaune et nouvelle poupée gigogne narrative avec cette référence à Tad Corso, le PJ de ta deuxième campagne Millevaux:)
J. Les références à Patient 13 sont de plus en plus appuyées. A ce sujet, je ne peux que conseiller L’Hôpital, un crossover Millevaux / Patient 13 par Eugénie.
K. SiAber possède les souvenirs des personnes qu’il a tuées : clin d’œil à Ecorce, je suppose ?
L. Intéressant que l’enfant sauvé de l’abattoir par SiAber dans un des cauchemars de Coelacanthes s’avère être Camille, l’enfant d’un autre des cauchemars de Coelacanthes:) Tout ceci préfigure un maelstroms de liens logiques entre tous les éléments de ta campagne.
M. Les gravures sur la chair de la Magicienne évoquent la sarcomantie, l’art de remodeler la chair qui est pratiqué à Millevaux, avec du « liquide sarcomantique » et des baguettes de bois
N. Est-ce que la « lame de tarot » que prend SiAber est une carte de Muses & Oracles ?
O. « Les hommes que tuait Sodek n'étaient pas que d'anciens patient de l'Hôpital, ils étaient aussi, à ses yeux, des symboles de l'Hommonde, un vieil homme mourant. » Est-ce qu’on peut dire que Sodek s’en prenait à des anciens PJ ou a des PNJ-clés, commentant des meurtres au caractère très méta ?
P. Retour à la Maison Carogne pour Haze. Finalement, ce scénario de Coelacanthes s’avère central dans ta cosmogonie de campagne. Je me demande ce que donneraient d’autres zones méta de Coelacanthes, comme le Château Illogique qu’on trouve en zone 9 dans le cauchemar d’Alice.
Q. Est-ce que les nombres du Roi-Volcan (et d’autres) que recherchent Sodek NoFink correspondent à des numéros de carte, comme par exemple les cartes de Muses & Oracles ?
R. « Cabaret Voltaire, Body and Soul. Cabaret, une scène, un spectacle, une illusion. Voltaire, un philosophe, les Lumières, LA Lumière, la métaphysique. Body, le corps, mortel, un corps mort. Le meurtre métaphysique ! Soul, l'âme. Une âme, celle de qui ? La sienne ? Celle de Johanna, de Sodek ? De ses victimes ? L'âme ? Qu'est-ce que l'âme ? Une illusion. Un produit permettant à un organisme de percevoir son unité en vue de mettre en place les stratégies de préservation de son intégrité. Une illusion, un spectacle, un cabaret... Paul Singer, Dionysos, l'a dit. Tout ça n'est qu'un petit théâtre. Et si ce qui était le plus important aux yeux des hommes n'était qu'une illusion, un spectacle ? À destination de quel spectateur ? Qui se réjouit du spectacle de nos âmes ? » : tout ceci m’évoque, en plus de la métaphore méta, les palais mentaux, reflet de l’inconscient des personnes, dans Little Hô-Chi-Minh-Ville, et le fait que ces palais soient sous surveillance.
S. J’adore le fait que le personnage entende la musique qu’écoute le joueur. On poursuit la mise en abîme. Pour te confier une anecdote personnelle, il m’arrive très souvent de rêver que je mets en place une partie de jeu de rôle (souvent d’ailleurs sans pouvoir la concrétiser), ou de « réaliser » que mon rêve est en fait une partie de jeu de rôle, et sur un rêve particulièrement intense, j’ai justement entendu une bande-son.
Haze quitte donc l'Hôpital et Dionysos. Il ne sait pas pourquoi mais quelque chose lui manquera et ça le déprime encore plus, plus que la nuit et le froid. Cela lui semble aberrant. Qu'est-ce qui pourrait bien lui manquer dans un endroit pareil ? Aberrant aussi, cette idée que le Virus ne serait qu'une espèce de jeu de rôle qui parviendrait à contaminer la réalité. Mais après tout, lui aussi est roliste. Il en a joué des personnages, que ce soit IRL, sur table, ou derrière son écran sur des forums. Finalement, il comprend un peu cette notion de contamination du réel par le jeu. Il se rappelle le jeu De Profundis, un jeu de rôle épistolaire dans un univers lovecraftien. Au passage, il note que Millevaux emprunte aussi au mythe de Chtulhu. Mais surtout, l'auteur de De Profundis insistait sur le fait que chaque expérience du quotidien pouvait venir enrichir le récit. Ainsi, d'une certaine façon, on ne sortait jamais du jeu et c'était finalement une sorte de contamination du réel par le jeu. Mais avec Millevaux, ça allait plus loin. Ça allait d'autant plus loin que Haze savait pertinemment qu'il n'avait pas lu De Profundis. Ce n'était pas lui, ce n'était pas son souvenir. Mais qui ? Demian Hesse ? Que signifiait tout ça ? Il ne savait plus vraiment. Sa mémoire commençait vraiment à lui jouer des tours. Il pensait savoir qui était ce Demian Hesse mais finalement en doutait. Il ne savait plus s'il était sensé le connaître ou non. Mais, il savait aussi que ces pertes de mémoires étaient caractéristiques de Millevaux. Était-il donc contaminé ? Se débarrasser du Cruel Centipède suffirait-il à lui rendre ses souvenirs ?
Haze longea le fleuve gelé jusqu'à ce que, sous la glace, il aperçut les entrées des nids de serpents géants. Là, il devait trouver le Niaucheur. Mais comment accéder aux nids ? Fouillant dans son sac, il se dit qu'il pouvait peut-être utiliser un gros mousqueton d'escalade pour tenter de briser la glace. Mais il n'avait en réalité que peu d'espoir d'y parvenir. Malgré tout, prudemment, il posa un pied sur la glace et entreprit de traverser le fleuve. Regardant à travers la glace, il ne voit rien de vivant. Pas un poisson ni même un batracien ne peut vivre dans ces conditions. Encore moins un serpent, fut-il géant. Il fait beaucoup trop froid. Au moins, pense-t-il, il ne risque pas d'être la proie d'un reptile. Mais comment trouver le Niaucheur ?
Haze pose pied sur l'autre rive et entreprend de faire du feu. Cela le réchauffera et, peut-être, attirera le Niaucheur. Mais, contre toute attente, le feu prend bien mieux que prévu. Beaucoup trop même. Et le manteau de Haze prend feu. Il se jette dans la neige pour l'éteindre. Il y parvient rapidement mais souffre malgré tout de vilaines brûlures aux bras et au torse. Il ouvre son manteau et sa chemise et se recouvre de neige pour apaiser les brûlures. Malgré tout, il ne peut retenir ses larmes, autant de dépit que de douleur. Et il se surprend à pleurnicher comme un gamin. Pleurnicher... Niaucher comme dit Anke, son amie rôliste fribourgeoise. Le Niaucheur, le Pleurnicheur !! Est-ce possible ?
À 4 pattes, Haze gagne le bord du fleuve et contemple le reflet de son visage dans la glace. Presque torse nu, il est fasciné par les brûlures qui, remontant de son torse à son cou, le défigurent. Ou peu s'en faut qu'il ne soit défiguré en tout cas. Il fixe l'homme dans la glace. Il ne se reconnaît pas. Mais, il sait que c'est lui. Il se rappelle les mots de la Bouche. Il doit parler au Niaucheur, partager avec lui. Le Langage Noir ou le Langage Jaune. La Viande Noire ou l'Opium Jaune. Noir, c'est forcément négatif, ce sont les ténèbres, l'obscurité. Mais le Jaune, il le sait bien, c'est l'indicible, c'est la folie hasturienne ! Il se regarde droit dans les yeux et prend conscience qu'il ne sait pas quoi se dire.
« Qui es-tu, Niaucheur ? As-tu quelque chose à me dire ?
- Non, mais... en vérité je te le dis, tout a déjà commencé à changer dans les murs de la Cité Bleue. Ce qui était pur devient vermine, ce qui était laid se pare d'une beauté artificielle et contre-nature, l'homme qui était vertueux devient un pécheur et la femme qui était fidèle voit son corps enfler de concupiscence. Et le cœur même de la Cité Bleue n'est jamais tout à fait ce qu'il était hier. Les palais deviennent des cloaques, les jardins deviennent des jungles. La bête docile et servile devient un monstre sauvage, elle mord la main qui l'a nourri, force les barreaux de sa cage et part semer la terreur dans la Cité Bleue. Et des choses dorment dans des cocons, ce qu'elles étaient auparavant n'est plus que limon à l'intérieur d'une carapace, et ce qui en sortira portera le visage du Démon.
Que le Juste châtie ses semblables qui ont déjà chuté, qu'il leur donne l'absolution, qu'il traite les maladies et les difformités, ou qu'il se prémunisse lui-même contre toute forme d'impureté et de changement, le Juste devra lire en son cœur pour savoir ce que Dieu veut qu'il fasse en son Nom. »
Haze fixe le Niaucheur, les yeux grand ouverts. Il croit comprendre. Il a peur de comprendre. La maladie a commencé à se répandre à Blue City. Et, de là, elle pourra se répandre dans le monde réel. L'avenir s'annonce bien sombre. Haze a parlé le Langage Noir. Il doit maintenant partager la Viande Noire. Dans la glace, il voit que son torse brûlé est devenu noir justement. Il retourne à son sac et trouve dedans un petit couteau. De retour au bord du fleuve, il s'attaque à découper un morceau de viande carbonisée à même son torse. La douleur est insupportable. Il y a du sang partout dans la neige, sur la glace. Le visage du Niaucheur ne lui apparaît plus que derrière un voile de larme et de sang. Pourtant, malgré tout, il présente un bout de chair sombre au Niaucheur et entreprend de dévorer cette Viande Noire et crue.
Puis, il s'écroule, inconscient, dans la neige et le sang.
L'appartement de Johanna Ackermann. Elle est seule. Elle fait la cuisine. Elle a de la visite ce soir. Damon Haze, l'ex agent du FBI qui s'est occupé d'elle suite à son kidnapping par le tueur Coleman. Elle a passé du temps en soins intensifs puis, à sa sortie, Haze est revenue vers elle. Pour l’aider. Mais pas que. Aujourd'hui, ils ont une relation pour le moins ambiguë. À la limite du platonique et... d'autre chose. Elle sent bien que Haze n'en a pas fini avec cette histoire et qu'il reste auprès d'elle aussi, entre autre ou principalement pour en savoir plus sur les délires de Coleman. Et aussi sur tout ce qu'elle a ou croit avoir vécu dans cette Cité Bleue et cette forêt maudite. Mais rien de tout cela n'était réel, hein ? D'ailleurs, même le type avec qui elle s'est retrouvée là-bas a disparu. Elle ne sait même pas s'il a vraiment existé ailleurs que de son crâne. D'après certains médecins, elle aurait inventé tout ça pour tenir psychologiquement face aux sévices infligés par Coleman. Une sorte de fuite, de fugue psychologique. Oui, elle est tentée d'y croire. Elle y croirait plus facilement si Haze y croyait et se décidai à franchir le cap. Ce soir, peut-être...
« Toc Toc !
Qui est là ?
C'est moi, Sodek.
Qu'est-ce que tu me veux encore ?
Tu le sais, on a du travail. C'est bientôt le jour.
Non ! Ce n'est pas le jour. Il y a encore du temps. Beaucoup de temps avant la prochaine fois. Tu n'as aucune raison de venir m'importuner. Pourquoi ?
Pourquoi ? Mais... mais parce que tu t'es assez servi de moi, Johanna. Maintenant, c'est mon tour. Pourquoi attendre le 13ème jour du 13ème mois pour s'amuser un peu ? Qu'est-ce que ça changera ? Rien du tout !
Bien sûr que si ! Se laisser aller comme ça est le meilleur moyen de commettre une erreur qui les mettra sur ta trace, notre trace.
Mais non ! Il suffit de changer de mode opératoire. Là, ce ne sera pas pour ce que tu sais. Ce sera juste pour... s'amuser. Allez, il n'y a personne dont tu voudrais te débarrasser ?
Si ! Il y a cette femme. Edes Corso. Je sais que Damon la connaît. Je sais qu'il la voit.
Et tu voudrais qu'il lui arrive quelque chose à cette Edes Corso ? Pourquoi attendre le 13ème jour du 13ème mois ?
Tu es certain que ça ne bouleversera pas nos... tes plans ?
Certain !
Pourquoi ? Pourquoi fais tu ça, Sodek ?
Tu le sais très bien. Tu as eu ta chance, Johanna. Et tu as échoué. Maintenant, c'est moi qui prend les rênes. On va faire ça à ma manière. Ça va prendre un peu plus de temps mais ça marchera cette fois.
Sodek, pourquoi dis-tu qu'on a du travail alors que tu sais que le 13ème jour du 13ème est dans longtemps et que tu veux seulement t'amuser ?
Je dis ça parce qu'on a vraiment du travail. Certes, nous avons du temps devant nous mais il y aussi de long préparatifs et de longs rituels à accomplir pour que tout soit parfait. Tu sais bien de quoi je parle...
« Le roman qui rend fou ! » Voila quel sera désormais l'argument de vente de ce vieux roman de fantasy écrit en 1958 par un certain Jone King : La Quête de l'Ange-Paon de Yézédis. En vérité, l'intrigue importe peu. Ce qui importe, c'est ce qui s'est passé ce samedi 25 mai dans une bibliothèque de quartier d'Olympia, état de Washington. En effet, un homme d'une cinquantaine d'année en train de lire ce roman a subitement été pris de folie. Criant être l'un des personnages principaux, un certain Tad Corso – aventurier explorant une forêt hantée par des monstres nommés Horlas, l'homme s'en est pris avec les plus grande violence aux autres usagers ainsi qu'aux membres du personnel. Il a fallu l'intervention conjointe des forces de police et des services de sécurité de la bibliothèque pour maîtriser le forcené. Celui-ci a finalement succombé à une crise cardiaque. Ces derniers mots concernèrent le Roi-Volcan et parlèrent du 13ème jour du 13ème mois, un autre personnage et un moment fort du livre.
Haze émerge lentement et douloureusement de son inconscience. Il a l'impression qu'on s'agite autour de lui. Il sent des mains qui le palpent sans ménagement. On est en train de lui faire les poches ! Il se retourne sur le dos aussi vite qu'il peut et tente de voir à qui ou à quoi il a à faire.
« Edes ? »
Non, ce n'est pas elle. Impossible. Qu'est-ce qu'Edes ferait ici. Et puis, son œil ? Comme une coquille de noix. Et... ce déguisement ! Ces ailes en bois... Haze tente de se redresser en prenant appui sur son coude.
« Edes ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Qu'est-ce que tu... ?
Qui es-tu ? D'où tu me connais ?
C'est moi, Damon.
Les seuls démons que je connais sont ceux que j'ai tués ! Es-tu un Horla ? Tu ne ressembles pas à un Cœlacanthe.
Non,non Edes. C'est moi, Damon Haze. Rappelles-toi, on est... ami.s Enfin plus ou moins. Plus que moins même. Enfin, tu vois ce que je veux dire ? »
Il semblait bien que non. Cet étrange sosie d'Edes, qui répondait pourtant à son nom, fit un petit bond en arrière, s'arma d'une dague et fixa Haze avec méfiance.
« Euh, Edes... J'ai vu le Niaucheur. Il m'a dit que la corruption allait se répandre. Qu'elle s'était déjà répandue. Ça a déjà commencé. Elle traverse les mondes. Les Justes doivent éradiquer les démons... au nom de Dieu. »
Haze, en jouant franc jeu autant que possible, espérant ainsi apaiser cette femme et gagner sa confiance. Il savait qu'il n'était clairement pas en position de force. En cas de combat, elle l'emporterait certainement. Et puis, peut-être que tout ça aurait du sens pour elle.
La femme, Edes ? le fixait toujours mais son visage prit une nouvelle expression, moins menaçante. Elle semblait étonnée, surprise, mais aussi plus attentive.
« Tu parles comme lui
Comme qui ?
Le Fondateur de notre famille, l'Ange Guerrier, le Rêveur. Tad Edes Corso. C'est de lui que je tiens mon nom et mes dons. C'est grâce à lui que j'entends les Lwas en songe. C'est notre devoir d'aller dans le cauchemar combattre les Cœlacanthes. Tu ne dois pas y aller. Tu ne peux pas. C'est à nous, les Corso héritiers du don du Fondateur, qu'incombe cette tâche. Et les Powl nous aident en attirant sur nous la bienveillance des Lwas. »
OK, cette femme est folle. Elle ressemble à Edes. Elle répond au même nom. Mais elle est folle. Comment se tirer de ce mauvais pas ? Haze ne pense plus qu'à une chose, se tirer le plus vite possible. Pourtant...
« Je dois me rendre à la Prison du Roi-Volcan.
Non ! N'y vas pas ! Cet endroit est maudit. On ne peut y accéder sans danger que le 13ème jour du 13ème mois.
Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? Que sais-tu du tueur du 13ème jour du 13ème mois ? »
Et Haze eut une vision. Un flash. Il se rappelle alors une conversation avec Johanna. Dans sa cuisine. Elle était en panique totale et lui a parlé du tueur. Elle disait le connaître. Elle disait que c'était lui, Sodek Nofink, qui tuait chaque 13ème jour du 13mois. Lui aussi, comme Coleman voudrait ouvrir une Porte aux Cœlacanthes. Mais il aurait un plan à long terme. À beaucoup plus long terme. Cela ferait longtemps que Sodek mûrit son plan. Il aurait même commencé à tuer avant Coleman. Et Sodek voulait tuer... Edes !
Haze ne savait plus. Edes avait-elle été assassinée ou non ? Si oui, cette fille était un fantôme et il était... certainement pas au Paradis. Où ça alors ? L'Enfer ? Le Purgatoire ? Était-il mort lui aussi ? Dans le crash de l'hélicoptère... Avait-il basculé dans ce monde de folie et de cauchemars dont parlait Coleman, ce Millevaux ? Et jamais un téléphone quand on en a besoin ! Il aurait bien eu besoin des conseil de Contrôle à ce moment précis.
« Edes... Es-tu... Vivante ?
Évidemment, imbécile ! Je ne serais pas là à te parler sinon. Mais je suis la dernière, la seule survivante. Mon clan, toutes mes familles ont péri dans la fracture. Seules... enfin, nous avons pu remonter de l'Abysse.
Nous ?
Oui, la Magicienne. Elle aussi a pu remonter. C'est elle qui m'a tiré de là. Elle m'a sauvé, cette fois encore. »
Et Edes tapotait du doigt la coquille de noix qui lui servait d’œil.
« La Magicienne ? Je dois la voir. Où est-elle ?
Je suis là, Damon-Demian. »
Haze reconnut tout de suite cette silhouette. Ce long manteau et cette toque en fourrure. Le Magicien ! La Magicienne... C'était pourtant bien UN Magicien qu'il avait interrogé dans les locaux de la police d'Olympia quand il enquêtait sur Coleman ?
« Je dois rêver, lâcha-t-il dans un souffle. Mais je ne veux pas.
Tu vois, rebondit Edes. Tu parles encore comme lui. Le Fondateur disait ça lui aussi. Il devait rêver mais ne voulait pas. »
La magicienne l'observa avec un certain amusement. Elle fouilla dans sa besace et tendit devant lui ses deux paumes ouvertes.
« La Bille ou la Noix ? Le 13ème jour ou le 13ème mois ? Choisis ! »
Et le visage de la Magicienne se fendit d'un large sourire. Haze flairait l'arnaque à plusieurs kilomètres. Il ne voulait pas choisir. Et pourtant... Il fixa Edes droit dans les yeux. Dans l’œil et la Noix... Vas pour la Noix ?
Et il saisit la...
Le réfectoire d'un hôpital. Non ! Le réfectoire DE l'Hôpital. Les patients sont en train de manger. Soudain, l'un d'eux se lève. Pris d'une crise de démence, il renverse sa chaise. La bave aux lèvres, il se jette sur son voisin et lui plante sa fourchette dans la gorge.
Le patient 58,un homme d'une cinquantaine d'années, est rapidement maîtrisé par les Blouses Blanches. Sodek, comme beaucoup d'autres patients, est resté impassible. Il a tout de même remarqué que le patient 58 a les épaules couvertes de pellicules. Mentalement, il prend des notes. Aujourd'hui, le 58. Avant-hier, le 71. Demain, le 46...
Pour Sodek, n° 82, tout est clair. Ceci est un message. Et qui dit message, dit messager. Et qui dit messager dit... Nyarlathotep !
Ville de XXXX. Ce parc d'attractions est particulièrement bien gardé, de jour comme de nuit, car son sous-sol abrite des locaux de la Compagnie. Aujourd'hui, ici-même, le chef-instructeur Snyder participe à une réunion du Département Spécial de la Compagnie avec des cadres de l'Ingénierie Mnémonique et de la Mythographie.
Ce matin, tout le monde tente de faire bonne figure mais, contrairement à ce qui se passe en surface, l'ambiance n'est pas à la fête. Le désespoir et la peur se lisent dans les regards des uns et des autres. La nouvelle est tombé et elle est mauvaise. Très mauvaise. Blue City est en proie à une corruption d'origine inconnue. Des noms reviennent néanmoins : le Cruel Centipède, Shub'Niggurath, le Roi en Jaune, Millevaux.
Snyder tente malgré tout d'être rassurant. Il a une piste, affirme-t-il, un atout. Ce nouvel agent, Haze. Il connaît Millevaux. Il y a encore une chance de sauver Blue City... et le monde.
OMNISCIENCE :
Depuis quelques jours, depuis qu'il a tué deux membres de sa communauté, SiAber se sent mal. Ce ne sont ni les remords, ni la culpabilité mais des images étranges qui lui sont venues en rêve peu de temps après qui le rongent. En réalité, ce ne sont pas des rêves mais des souvenirs. Mais, ce ne sont pas les siens. Ce sont ceux des personnes qu'il a tuées. Il voit ainsi la première dans une cabane à moitié en ruine, sorte de taverne, perdue dans des marais. Là, il boit en compagnie d'une bande de dégénérés qui ont tout l'air d'une bande de cannibales. Tous, ils rient en buvant et se donnant de grandes tapes dans le dos. Son autre rêve lui paraît plus intéressant. Même si plus mystérieux. Il revoit la Prison du Roi-Volcan. Ce membre de son clan s'y est rendu. Il a vu, dans ces ruines, le Roi-Volcan et le Roi-Volcan lui a donné un nombre. Ce nombre était le 13.
Aujourd'hui, SiAber a suivi la Magicienne dans la forêt. Ou plutôt, elle s'est laissée suivre. Arrivée au Noyer, elle lui fait face et, lui tendant les mains, paumes ouvertes, lui propose de choisir entre une Noix et une Bille.
SiAber choisit la...
Ses visions le transportent dans un autre monde ou un autre temps. Il ne sait plus. En tout cas, cela n'a rien à voir avec ses visions habituelles. Là, il ne se contente pas de voir fugacement, partiellement, ce qui va advenir. Ses visions lui donnent... une mission. Il doit accomplir quelque chose pour accéder à une vision « Primordiale », quelque chose d'important, de capital !
Quand il ouvre les yeux, SiAber reconnaît cette étrange pyramide au Nord-Ouest des Colonnes. Mais quelque chose a changé. Quelque chose de majeur. De radical ! Il neige !!! La pyramide. La forêt. Millevaux est sous la neige !
Une silhouette se dessine à l'une des entrées de la pyramide. Un Horla ! Il a un corps d'homme mais sa tête est un amas de tentacules grouillants. Le torse de la créature est scarifié au niveau du cœur. Ces cicatrices, SiAber le sait, symbolise le nombre 13. malgré la neige et le froid, le Horla ne porte qu'un long pagne de couleur pourpre. Il a les bras levés en croix et semble dans une sorte de transe qui le fait onduler lentement. Autour de lui, l'air se cristallise en pétales de fleurs tombant à ses pieds. Fragments de rose en hologramme...
SiAber est terrifié. Pourtant, le Horla semble inoffensif. Il ne bouge pas. À se demander s'il a conscience de la présence de SiAber. Pourtant...
« Je suis le Kraken ! L'oubli m'a jeté au fond d'un océan de solitude, à 13000 m de profondeur. Retrouver mon nom apaiserait mon âme... Parce que le joueur le sait, je le sais et tu le sais. La forêt est Millevaux est Shub'Niggurath. La neige est Ithaqua. La Magicienne est à tes côtés. »
Et à ces mots, le Kraken s'en retourne à l'intérieur de la pyramide, laissant SiAber là, interdit. Un raclement de gorge à sa droite attire son attention. La Magicienne est là... à ses côtés. Mais quelque chose a changé chez elle. Son long manteau glisse sur ses épaules qui se révèlent être en acier. Des symboles sont gravés dessus. SiAber s'approche pour mieux les voir mais la Magicienne recule et remonte son manteau. Elle le regarde droit dans les yeux. SiAber jurerait qu'elle tente de le charmer. Elle fouille dans ses poches et en sort une Bille et une Noix.
« Choisis »
Et SiAber choisit la...
Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? Là, de jeunes garçons sont la proie de horlacanthes qui leur arrachent les bourses avec une arme-cactus électrique, sans anesthésie. L'arme les cautérise. Puis ils restent parqués ici, vivant captifs dans leur propre merde. Qu'est-ce que ça veut dire ? Que doit-il faire ? Sauver un enfant ? Lequel ? Déjà, il cherche un endroit d'où pouvoir mieux observer la scène sans être vu des Cœlacanthes.
Une fois à l'abri derrière... Derrière quoi ? SiAber se rend alors compte que si les enfants et les Cœlacanthes lui apparaissent très nettement, tout me reste est flou. Concrètement, il lui est impossible de dire où il est, à quoi ressemble cet endroit. Cela lui donne presque le tournis. Il doit même se concentrer pour que les enfants ne deviennent pas flous eux aussi. Il sent qu'il doit agir vite. Aussi, il relâche les araignées qu'il a en lui et les envoie faire diversion. Il espère ainsi attirer ailleurs l'attention des monstres pendant qu'il s'emparera d'un enfant (mais lequel et pourquoi celui-là plus qu'un autre?) et s'enfuira par cette porte qu'il sait (mais comment?) être derrière lui sur sa gauche.
Il se recroqueville alors sur lui-même et ouvre grand les yeux et la bouche. Il sent alors des milliers d'araignées s'agiter et sortir de son corps. Alors qu'elles se mettent à recouvrir deux horlacanthes opérant sur de jeunes garçons, SiAber rampe dans la direction opposée. Il s'approche d'un enfant et le tire par le bras. Il lui plaque la main sur la bouche pour l'empêcher de crier et, alors que les monstres se débattent avec les araignées, il le tire vers la sortie. Mais avant de passer la porte, il tire deux Noix de sa besace et lui en tend une. Et lui dit :
« Je suis le Corvidé ! Ici et maintenant je te donne cette Noix pour transporter ton âme dans la vie suivante. Je suis le Corvidé !
Écoute les yeux, répond le garçon. Ils te disent de répéter ton mantra pour accéder à la Vision. Ils te disent que mon sang doit couler »
SiAber acquiesce. Il sort une dague de sa besace et entaille la main du garçon. Alors, le décor cesse d'être flou. Et la porte apparaît nettement. Il entraîne le garçon.
Dehors, dans la neige, la Magicienne est là. Elle attend.
« Camille ! Viens ! »
Elle ouvre grand son manteau et le jeune garçon s'y réfugie, à l'abri du froid. Alors qu'elle le referme sur eux deux, elle prend soin de laisser nues ses épaules d'acier. SiAber s'approche et parcourt du doigts les étranges gravures en langue putride. Il comprend...
Le Cruel Centipède, une nouvelle forme de Millevaux, cette maladie qui ronge l'espace et le temps. Cette corruption. Cette putréfaction. L'univers, les univers meurent ! Il(s) se décompose(ent) et Millevaux sont ses miasmes protéiformes et pourrissant qui en émanent et se répandent, condamnant ce qui reste du cadavre de l'Hommonde à une lente désagrégation. L'Hommonde ? Qu'est-ce que c'est ?
SiAber a un mouvement de recul. La Magicienne se retourne et lui présente son autre épaule. D'autres gravures, mais pas en langue putride cette fois. Les « Dunes Vivantes », la paix contre la nocive alliance.
SiAber fixe son regard sur la Magicienne mais elle ne lui accorde plus aucune attention. Elle ne songe plus qu'à réchauffer et cajoler le jeune Camille. Mais il sait ! Il sait que les Dunes Vivantes l'aideront à vaincre la neige, à vaincre la forêt, à faire reculer Millevaux !
SiAber ouvre les yeux. La Magicienne, celle aux épaules de chair, est face a lui. Elle lui sourit. Quelque chose dans son regard lui dit qu'elle sait. Elle sait tout ! Tout ?
Elle lui tend les mains, paumes ouvertes. L'une est vide. Dans l'autre, il reste une...
SiAber s'en saisit...
Il reconnaît cet endroit. Il est consacré au Roi-Volcan. Devant la porte, deux personnes semblent l'attendre. Un homme, plutôt mal en point, à l'air nerveux, se présente comme étant un certain Damon Haze. Le femme prétend s'appeler Sodek NoFink et elle fait peur à SiAber. Elle lève la main et déclare.
« Le Roi-Volcan m'a donné un nombre et ce nombre est... »
Et d'un geste, elle nous invite, ce Haze et moi ,à entrer dans la prison du Roi-Volcan. Elle n'a pas besoin d'en dire plus, Haze et SiAber ont très bien compris ce qu'il doivent faire : trouver le Roi-Volcan pour qu'il leur donne leur nombre.
SiAber se rappelle que tout cela n'est qu'une vision. Rien n'est réel. Pas encore. Il sait, en tant que chaman du clan des Arbres, qu'il a la main-mise sur une partie de ce qui va se passer. Ce Haze est certainement un homme bon, mais s'il veut savoir, percer les secrets, SiAber doit trouver le Roi-Volcan avant lui.
Haze entre et prend immédiatement le couloir sur sa gauche. SiAber, lui, demeure immobile et se concentre. Mais il a du mal à conserver son calme. Une voix résonne en lui. « Commence par la dernière chose ! Le monde est un cut-up ! »
Ses yeux lui piquent d'une façon vraiment désagréable. Ça bourdonne dans sa tête. Il farfouille dans sa besace et en sort une carte. Une sorte de lame de tarot. Mais dessus, il y a des mots. Sur tout le pourtour de la carte, des mots. Au milieu de la carte, des mots ! Un titre : Soudain... Juste en dessous : « Commence par la dernière chose. Perds ton calme. Aide l'ennemi ou le monstre. Un tremblement de terre. Une personne a en fait un dédoublement de personnalité. » Il y a bien d'autres mots sur cette carte mais SiAber ne parvient pas à les lire. Il comprend que cette douleur dans sa tête et dans ses yeux est la rage qui tente de sortir. Il comprend que l'ennemi qu'il doit aider est Sodek. Il comprend que cet homme dans ce corps de femme, Sodek, souffre d'un dédoublement de la personnalité. Et quand il se concentre sur la terre, pour écouter les conseils des racines des arbres, il entend les prémices d'un tremblement de terre. La dernière chose à faire... serait de rester dans cette prison dont ce qui reste des ruines va bientôt s'effondrer sur ceux qui seront à l'intérieur. Et il aidera son ennemi, Johanna, en la délivrant de Sodek. Tuer Sodek ! Ce serait vraiment la dernière chose à faire. Comment percer ses secrets s'il meurt ? Ça, ce serait vraiment la dernière chose à faire. « Perds ton calme ! »
SiAber pousse un grognement et sort de la prison. Il se plante, les deux pieds dans la neige, face à Sodek et crie :
« Je suis le Corvidé ! Ici et maintenant, pour maintenir l'équilibre entre la vie et la mort, je vais transporter ton âme dans sa vie suivante ! Je suis le Corvidé ! Je vais vider ton corps ! »
Sodek s'empare alors de son arme, une sorte de pistolet-cactus, et la braque en direction de SiAber. Mais quelque chose l'empêche de tirer. Les Yeux de la forêt sont braqués sur eux. Ils vont dire à SiAber ce qu'il doit faire. S'il accepte, alors Sodek mourra.
« Tout cela est un cycle dont l'ivresse te guérira... Mais Haze mourra...
J'accepte ! »
Alors, la terre se met à trembler. Derrière lui, les ruines de la prison du Roi-Volcan s'écroule. Le bruit est tel qu'on entend même pas les cris de Haze. SiAber enfonce profondément ses pieds dans la neige. Il sent les vibrations de la terre. Il veut se transformer en arbre pour tuer Sodek mais quelque chose ne fonctionne pas dans son mantra. Le Corvidé est là. Il fait obstacle. Il s’immisce. Alors que SiAber tente de plonger ses racines dans le sol à la recherche de celles de son totem, il sent les cornes de son masque pousser. Vers le haut, dans le ciel. Mais aussi vers le bas, dans son crane. Les bois s'enfoncent dans son cerveau et cheminent tout le long de son système nerveux. Jusqu'au bout de ses pieds, de ses racines, pour enfin s'enfoncer dans la sol. Les bois vont jusqu'au bout de ses doigts qu'ils transpercent pour devenir d'improbables griffes. SiAber lève les bras en direction de Sodek et ses branchages s'allongent à toute vitesse, transperçant Sodek de part en part. Alors, le sang de Sodek se mêlant à la sève de SiAber, ce dernier sait. Il sait qui est la Terre et il sait qui est la Neige qui la recouvre. Ithaqua, le Marcheur du Vent, s'est allié à Shub'Niggurath. Il a recouvert Millevaux de son manteau de neige protectrice, figeant ainsi la forêt dans un hiver éternel. La Neige, la poudre, la poussière d'ange, l'ivresse, la défonce, l'hubris, la folie dionysiaque... La Neige d'Ithaqua est cette cocaïne qui maintient Millevaux dans une perpétuelle folie. Johanna était folle. Folle car habitée par Sodek NoFink. Les meurtres perpétrés par Sodek n'avaient pas pour seule vocation d'ouvrir une porte aux Cœlacanthes. Sodek savait ce que Johanna ne savait pas. Ces meurtres n'avaient pour seule vocation de sceller l'alliance entre Ithaqua et Shub'Niggurath. Sodek savait pour l'Hommonde ! Il savait que l'Hommonde était mort et que sa mort, sa décomposition avait engendré un cycle d'entropie. Or, l'entropie c'est la vie ! La mort de l'Hommonde était donc synonyme de vie. Mais cette décomposition s'achèverait nécessairement par la disparition totale du cadavre de l'Hommonde, signifiant alors la fin de la vie, de toutes les formes de vie ayant émergé de ce corps mort. Toutes les formes de vie dont Millevaux, les miasmes s'échappant de ce corps en putréfaction. Ces miasmes portés par le vent qui se répandaient et contaminaient le Néant, accélérant (involontairement?) la décomposition du cadavre de l'Hommonde. Les hommes que tuait Sodek n'étaient pas que d'anciens patient de l'Hôpital, ils étaient aussi, à ses yeux, des symboles de l'Hommonde, un vieil homme mourant. Tel était donc le secret de Sodek. SiAber n'était pas certain d'avoir tout saisi ni tout compris. Mais cela, il le sentait, ne lui appartenait plus. Sous son masque, par sa bouche de bois, les araignées quittaient son corps par milliers. Elles courraient le long des branches jusqu'à Sodek et tissaient leur toile autour de lui. Certaines commençaient à le manger, à pondre. SiAber se sentit étrangement vide quand la dernière araignée eut déserté son corps de chair et de bois. Mais alors, une mouche vint se poser sur lui. Et d'autres arrivèrent. Elles, elles achèveraient de comprendre tout ce que cela voulait dire...
SiAber ouvre les yeux. Il est dans une clairière. Au centre, un gigantesque noyer. Au pied de l'arbre, un vieux grammophone. Il y a un disque posé dessus. SiAber remonte la mécanique en tournant la manivelle. Une musique dissonante et discordante se fait entendre. Puis une voix...
« Je suis le Corps Vidé. Je ne suis ni un bon ni un mauvais présage. La dernière âme que j'ai accompagné au repos est celle de Johanna Ackermann. C'est dur de vivre entre la vie et la mort... »
SiAber se met à pleurer. Il se dirige vers l'arbre et cueille une poignée de Noix.
Haze ouvre les yeux dans une salle de bain. Les murs sont fait de carrelages vieillots, la faïence est fendue. Les robinets sont ouvragés avec raffinement mais très abîmés et gouttent en permanence. Il fait froid et la fenêtre ouverte donne sur la forêt, on entend des chouettes. Le bidet et le lavabo sont sales. Il y a une baignoire remplie d'une eau grise où surnagent des feuilles mortes. Une étrange musique vient de... impossible à définir. Haze reconnaît l'album Body and Soul de Cabaret Voltaire. Il se plante devant la glace et ne se reconnaît pas. Face à lui se tient un enfant. Une fille ou un garçon, difficile d'en être sûr juste en regardant ce visage triste.
Haze s'approche de la baignoire. Quelque chose de fatal va arriver, il le sent. Mais il sent aussi que...
Il se plonge dans l'eau sale. Il aspire une grande goulée d'air et plonge la tête la dans l'eau en fermant les yeux. Quand il les ouvre à nouveau, il est de nouveau dans cette forêt enneigée. Il entend toujours la musique. Devant lui, un vieux bâtiment en ruine. Adossée à un mur, une cigarette à la bouche, Johanna. Non, Sodek NoFink !
« Edes ? Elle est morte ? Tu l'as tuée finalement ?
Oui, et j'ai fait ça salement si tu veux savoir. Comme un porc... »
Haze se jette sur Sodek ! Mais il pare le coup, lui saisit le bras, le retourne et manque de lui démettre l'épaule.
« Ne fais pas l'enfant ! Calme-toi. On attend quelqu'un.
Qui ça ?
Je ne sais pas trop. Un chaman du Clan des Arbres. Sais-tu où nous sommes ?
Non.
La prison du Roi-Volcan. Le Roi-Volcan doit me donner un nombre.
Un nombre ?
Oui, mais... C'est compliqué, Damon. Tout ça te dépasse. Nous dépasse. Tout a un sens mais ce n'est pas forcément à nous qu'il incombe de le saisir. C'est la tâche du Joueur. Nous ne sommes que des révélateurs. Des pions améliorés. Mes morts ont un nombre et le Roi-Volcan en a un aussi. Je tuerai à nouveau, comme j'ai tué Edes et comme j'ai tué ces nombres. Mais il me faut aussi le nombre du Roi-Volcan. Le Roi-Volcan est bon mais il lui faut un sacrifice. Ce sera toi ou lui. »
Haze se tourne dans la direction indiquée par Sodek et voit un homme étrange. Aucune idée d'où il surgit, ni même de comment. Ses vêtements de cuir et de fourrures sont sales, couverts de terre et de sang. Il porte un masque, sorte de sac de toile sur lequel sont fixées des cornes de cerf.
Sodek se tourne vers le nouvel arrivant, lève la main et déclare.
« Le Roi-Volcan m'a donné un nombre et ce nombre est... »
...d'un geste, elle nous invite, ce type et moi, à entrer dans la prison du Roi-Volcan. Elle n'a pas besoin d'en dire plus, tous deux ont très bien compris ce qu'il doivent faire : trouver le Roi-Volcan pour qu'il leur donne leur nombre.
Haze ne sait plus si tout cela est bien réel, mais s'il veut savoir, percer les secrets, il doit trouver le Roi-Volcan avant ce type. Haze entre et, plantant l'homme dans l'entrée, prend immédiatement le couloir sur sa gauche.
Haze n'a aucune idée de comment trouver ce foutu Roi-Volcan. Il n'a même aucune idée de ce à quoi il peut bien ressembler. En tout cas, tout ça est lié à Millevaux. Et il porte une part de Millevaux sur lui : le Cruel Centipède. Après avoir vérifié que l'autre gars ne l'avait pas suivi, il se saisit du Cruel Centipède et le fixe du regard, espérant un signe. Aucune réaction de la part de cette chose mais... Haze se rend compte qu'il entend toujours cette musique. Toujours le même album du même groupe. Ça n'a pas de sens. Si, ça a forcément du sens. Réfléchis Haze !
Cabaret Voltaire, Body and Soul. Cabaret, une scène, un spectacle, une illusion. Voltaire, un philosophe, les Lumières, LA Lumière, la métaphysique. Body, le corps, mortel, un corps mort. Le meurtre métaphysique ! Soul, l'âme. Une âme, celle de qui ? La sienne ? Celle de Johanna, de Sodek ? De ses victimes ? L'âme ? Qu'est-ce que l'âme ? Une illusion. Un produit permettant à un organisme de percevoir son unité en vue de mettre en place les stratégies de préservation de son intégrité. Une illusion, un spectacle, un cabaret... Paul Singer, Dionysos, l'a dit. Tout ça n'est qu'un petit théâtre. Et si ce qui était le plus important aux yeux des hommes n'était qu'une illusion, un spectacle ? À destination de quel spectateur ? Qui se réjouit du spectacle de nos âmes ? Un Dieu ? Le Joueur ? Des Dieux ? Millevaux est hanté par des Dieux.
Haze croit comprendre. Il y a un message derrière tout ça. Ce spectacle est à destination de quelqu'un. C'est bien un message. Mais qui dit message dit messager. Et qui dit Messager dit Nyarlathotep ! Nyarlatothep ! Le messager des Dieux, le message et le moyen de communication. Et quel meilleur moyen de communication pour un Dieu fou qu'une série de meurtres ? Les meurtres de Sodek ne sont pas que les bornes d'un rituel visant à ouvrir une porte aux Cœlacanthes. C'est aussi un message. Un message chiffré puisqu'à chaque victime correspond un nombre. Mais lequel ? Des... coordonnées. Tous ces chiffres doivent être des coordonnées, ou un code dont le Roi-Volcan aurait la clé ?
Haze secoue la tête. Comment sait-il que les victimes de Sodek ont chacune un nombre ? Johanna lui a raconté une partie de son histoire. Mais celle-là ? Il ne sait plus. Mais il sait que ce que sait le Joueur, les personnages le savent également. Ou du moins, ils peuvent accéder à quelques bribes de ce savoir. La musique ! C'est ça ! Haze comprend. C'est le Joueur qui écoute cette musique. Là, maintenant, tout de suite, il a accès au Joueur !
Soudain, la terre tremble ! Quelques briques tombent du haut des murs. Haze sait qu'il n'en a plus pour très longtemps. Mais il sait ce qu'il doit chercher. Les Yeux ont menti. Il ne mourra pas ! Ou alors, il mourra pour renaître.
La terre tremble de plus en plus et ce sont maintenant des pans de murs entier qui s'écroulent. Haze regarde autour de lui et ne trouve nul part où se mettre à l'abri. Dans sa main, il tient toujours le Cruel Centipède. Il a une idée. Ça va marcher. C'est obligé !
Il libère alors le Cruel Centipède. La créature tombe au sol. Elle se met à grandir et se tortille, s'enroule sur elle-même en un motif compliqué. Haze, grâce au Joueur, reconnaît ce motif. C'est la rune Hshl et le nombre du Roi-Volcan est le 1808. Haze cligne des yeux. Un horrible bourdonnement de mouches lui vrille le crane. Il se sent aspiré par le Néant dans lequel gît le cadavre de l'Hommonde. Ça n'a aucun sens. Pas encore... Il doit mourir pour renaître...
Haze a donné rendez-vous à Johanna sur le front de mer. Il comptait prendre un verre avant de l'emmener au restaurant mais... la conversation a pris une autre tournure. Sodek s'est invité. Non en tant qu'interlocuteur mais malgré tout en tant que sujet. Johanna a peur. Elle fait de son mieux pour garder une certaine contenance mais Haze sent bien qu'elle est à deux doigts de craquer. Il sent aussi que c'est le bon moment.
« Johanna, c'est toi qui a tué Edes ?
Oui. Enfin, c'est Sodek.
Et tout ça a à voir avec son « grand plan » ?
Bien sûr. Il n'y a pas de hasard. Ces autres victimes ont un nombre. Mais pas Edes. Elle, c'est différent mais ça fait aussi parti du plan. Ce meurtre là, c'est comme... une fractale. Un fragment de rose en hologramme. C'est l'univers...
Des nombres ?
Oui, chaque victime avait un nombre, un numéro... à l'Hôpital. Je crois que tout ça forme une série. Je ne sais pas trop. Il ne m'a pas tout dit. Mais il y a une histoire de nombre.
Et Edes, pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi le... porc ?
Parce que... c'est comme ça. Partout. Partout où Le Meurtre a lieu, il y a... le porc. Et le Tueur... Des fois, c'est un tueur en série. Des fois, c'est un enfant. Des fois, il est aveugle. Des fois, il a des cornes sur la tête. Mais tout le temps, il y a le porc...
Est-ce que... est-ce que je vais mourir ?
Oui, mais... pour renaître... »
Haze a reçu un appel anonyme. On lui a donné rendez-vous dans un terrain vague. Il doit venir cette nuit. Seul, évidemment. Et sans arme bien sûr. Son interlocuteur a déclaré travailler pour quelqu'un qui avait quelque chose à lui remettre pour la Compagnie. Il n'a pas voulu en dire plus mais cette référence à la Compagnie était suffisante pour qu'Haze prenne le risque d'accepter ces conditions.
À l'heure dite, une limousine aux vitres teintées fait son apparition, phares éteints. Le véhicule s'arrête à une dizaine de mètres de Haze. Il fait mine de s'approcher mais la porte du conducteur s'ouvre. Celui-ci fait mine de porter la main droite au niveau de son aisselle gauche et, de la main gauche, lui fait signe de rester là où il est. Haze obéit. Le chauffeur ouvre alors la portière arrière. Le chauffeur se penche et échange quelques mots inaudibles avec son patron. Il ferme la portière et se dirige vers Haze. Sans un mot, il lui remet une boîte. Haze ne peut s'empêcher de l'ouvrir. Dedans, une fiole en verre. Et dans la fiole, le Cruel Centipède. Le chauffeur se barre les lèvres de son index puis, les deux paumes levées, fait signe à Haze de reculer. Marchant à reculons, le chauffeur regagne la limousine et redémarre.
Haze range la boîte dans la poche intérieure de sa veste. Il en est convaincu, l'Horreur vient de prendre une nouvelle forme, arpentant le monde au milieu des mortels...
Le meurtre d'Edes Corso a fait la une de tous les journaux et l'ouverture de tous les JT nationaux et même internationaux. La riche héritière était très célèbre et les journalistes ont adoré décrire encore et encore les détails les plus salaces de la scène de crime. Les blessures au visage mais surtout... le porc. Célébrité et argent oblige, la police a mis les bouchées doubles sur l'affaire. Des croisements effectués à la suite de prélèvements d'ADN ont permis de remonter jusqu'à une certaine Johanna Ackermann. Il semblerait donc que cette femme ait été présente sur toutes les scènes de crime. Pas seulement celle d'Edes Corso mais aussi celles de ces hommes dont la mort était attribuée au Tueur du Calendrier.
Ackermann s'est rendue sans opposer de résistance. Lors des premiers interrogatoires, elle a peiné à raconter ce qu'elle savait. On aurait dit qu'elle racontait une histoire vécue par un autre. Puis, au détour d'un entretien avec un des experts psychiatres, la personnalité de Sodek NoFink a fait son apparition. Il a tenu alors des propos plus qu'incohérents, affirmant que oui toutes ces morts, même celle d'Edes Corso s'inscrivaient dans un vaste plan. Oui, ce plan était interrompu mais, après tout, le mal était fait et rien n'empêcherait plus sa réalisation. Ici ou ailleurs... il affirma également que ce n'était pas par hasard qu'Edes Corso s'était entiché de cet ancien agent du FBI. Elle savait qu'il était mêlé à tout ça. Et elle savait qu'elle allait mourir. Il alla même jusqu'à dire que c'était pour l'approcher lui, Sodek, qu'elle avait fait la connaissance de l'ex agent Haze. Tout ça faisait donc parti de ce fameux plan. Aucune logique là-dedans, aux dires du psychiatre. Les délires d'un fou. Ou plutôt, d'une folle. C'était certainement par unique jalousie qu'elle s'était attaquée à Edes Corso. Et pour les autres hommes, une enquête sur l'enfance de Johanna fit état d'une hospitalisation en maison de repos. Là, il semblerait qu'elle fut abusée par un autre patient pouvant présenter des ressemblances avec ses victimes en tant que Tueur du Calendrier.
Ackermann fut condamnée à être internée en institut psychiatrique de haute sécurité pour une durée de 13 ans.
Réponse de Thomas !
A. Encore un grand merci pour ce CR qui s’avère être à nouveau une novelette !
B. Damon Haze et Edes Corso en couple, la rencontre de deux persos principaux de la première et de la deuxième campagne, c’est enthousiasmant ! Tu es train de tisser ta saga personnelle à travers Millevaux.
C. J’adore le côté super méta de voir Millevaux comme un virus libéré sous licence creative commons, afin que n’importe qui puisse créer ses propres souches mutantes ! Pour l’exactitude, Millevaux n’est pas en creative commons mais dans le domaine public. Je pense qu’ « open source » serait le terme qui collerait mieux à ta fiction, pour sa connotation hacker.
D. Sympa de voir certaines thématiques de Millevaux (l’emprise, avec cette forêt tropicale enneigée, et l’oubli) se retrouver exploitées dans ce CR !
E. La contamination des mondes par Millevaux est un thème récurrent de Millevaux Mantra, j’ignore à quel point tu exploites ce jeu dans ta campagne (juste le contexte ? Aussi les tables ? Ou aussi le système?)
F. « une bouche dessinée sur le mur scande « Je suis Dionysos ! La Voix de la Bouche ! Dansez ! Chantez, les ivres et les fous ! » : la bouche dessinée chante vraiment où les paroles sont justes écrites sur le mur ?
G. « Haze plonge sa main dans sa poche et en tire un jeu de cartes. Il en sait pas ce que ce jeu fait là. Il n'aime pas jouer aux cartes. Enfin, pas spécialement. Juste comme ça, il en tire 2 au hasard : 10 de cœur et 5 de trèfle. » Je suppose qu’il s’agit des cartes à tirer dans le jeu « Le Tueur du Calendrier » motorisé par Protocol ? J’aime beaucoup cette mise en abîme !
H. Encore un trip méta avec le personnage qui base ses réflexions sur le jeu de rôle épistolaire De Profundis… qu’il n’a en réalité pas lu : la pervasivité entre le personnage et le joueur joue à plein.
I. Un petit extrait de l’Apocalypse selon Millevaux fort à propos suivi d’une dégustation de sa propre chair carbonisée, un moment tout cronenbergien !
I. Le Roman qui rend fou : hommage au roi en jaune et nouvelle poupée gigogne narrative avec cette référence à Tad Corso, le PJ de ta deuxième campagne Millevaux:)
J. Les références à Patient 13 sont de plus en plus appuyées. A ce sujet, je ne peux que conseiller L’Hôpital, un crossover Millevaux / Patient 13 par Eugénie.
K. SiAber possède les souvenirs des personnes qu’il a tuées : clin d’œil à Ecorce, je suppose ?
L. Intéressant que l’enfant sauvé de l’abattoir par SiAber dans un des cauchemars de Coelacanthes s’avère être Camille, l’enfant d’un autre des cauchemars de Coelacanthes:) Tout ceci préfigure un maelstroms de liens logiques entre tous les éléments de ta campagne.
M. Les gravures sur la chair de la Magicienne évoquent la sarcomantie, l’art de remodeler la chair qui est pratiqué à Millevaux, avec du « liquide sarcomantique » et des baguettes de bois
N. Est-ce que la « lame de tarot » que prend SiAber est une carte de Muses & Oracles ?
O. « Les hommes que tuait Sodek n'étaient pas que d'anciens patient de l'Hôpital, ils étaient aussi, à ses yeux, des symboles de l'Hommonde, un vieil homme mourant. » Est-ce qu’on peut dire que Sodek s’en prenait à des anciens PJ ou a des PNJ-clés, commentant des meurtres au caractère très méta ?
P. Retour à la Maison Carogne pour Haze. Finalement, ce scénario de Coelacanthes s’avère central dans ta cosmogonie de campagne. Je me demande ce que donneraient d’autres zones méta de Coelacanthes, comme le Château Illogique qu’on trouve en zone 9 dans le cauchemar d’Alice.
Q. Est-ce que les nombres du Roi-Volcan (et d’autres) que recherchent Sodek NoFink correspondent à des numéros de carte, comme par exemple les cartes de Muses & Oracles ?
R. « Cabaret Voltaire, Body and Soul. Cabaret, une scène, un spectacle, une illusion. Voltaire, un philosophe, les Lumières, LA Lumière, la métaphysique. Body, le corps, mortel, un corps mort. Le meurtre métaphysique ! Soul, l'âme. Une âme, celle de qui ? La sienne ? Celle de Johanna, de Sodek ? De ses victimes ? L'âme ? Qu'est-ce que l'âme ? Une illusion. Un produit permettant à un organisme de percevoir son unité en vue de mettre en place les stratégies de préservation de son intégrité. Une illusion, un spectacle, un cabaret... Paul Singer, Dionysos, l'a dit. Tout ça n'est qu'un petit théâtre. Et si ce qui était le plus important aux yeux des hommes n'était qu'une illusion, un spectacle ? À destination de quel spectateur ? Qui se réjouit du spectacle de nos âmes ? » : tout ceci m’évoque, en plus de la métaphore méta, les palais mentaux, reflet de l’inconscient des personnes, dans Little Hô-Chi-Minh-Ville, et le fait que ces palais soient sous surveillance.
S. J’adore le fait que le personnage entende la musique qu’écoute le joueur. On poursuit la mise en abîme. Pour te confier une anecdote personnelle, il m’arrive très souvent de rêver que je mets en place une partie de jeu de rôle (souvent d’ailleurs sans pouvoir la concrétiser), ou de « réaliser » que mon rêve est en fait une partie de jeu de rôle, et sur un rêve particulièrement intense, j’ai justement entendu une bande-son.