Je vais revenir rapidement sur deux ou trois points ici et là, je vais citer des bouts de réponses des uns et des autres pour essayer d’apporter un point de vue plus archéo (certains points le méritent vraiment) ainsi que peut-être quelques réponses. Je vais commencer par le plus important (et je m’excuse pas avance mais je vais être hors sujet sur probablement l’intégralité de mon post car il visera beaucoup de choses mais certainement pas le Moyen Âge) :
Parler d'escrime médiévale, c'est aussi se heurter au fait que le MA, c'est vaste géographiquement et temporellement et que ce qui est vrai à un endroit/temps donné ne l'est pas 500 ans et/ou 2000km plus loin... […]
Ce point est particulièrement applicable aux « romains » souvent convoqués dans cette discussion. Les romains depuis la fondation de leur Cité jusqu’à l’effondrement de leur empire, ce n’est pas loin de 12 siècles quand même. Autant dire que le système technique militaire et toutes ses composantes ont particulièrement évolué au cours des temps. Depuis les premières phalanges romaines à la grecque en mode hoplite du 7e/6e avant n. è aux légions dioclétiennes constituées de 3000 hommes maximum, du chemin en a été parcouru et de nombreux allers-retours dans tout ce qui touche au domaine militaire auront été faits. Il faut aussi ajouter à cela le problème des sources écrites dont nous disposons qui sont très partiales et orientées.
Rapidement au sujet des blessures.
Casser un os, à l'époque, c'était pas bien grave, on avait l'hiver pour se remettre.
Ou pas… artère sectionnée par un os fracturé, organes internes défoncés, infection interne, accès à des soins suffisants pour ne pas être handicapé (pas évident en campagne militaire lointaine), etc… Là aussi, de quelle période on parle exactement.
Au premier coup, tu es sonné ou mort. Ou sourd.
Et pourtant pas de coupure dans ce cas-là. Un bon coup au crâne sans coupure est mortel.
Comme je disais plus haut, un os, ça se répare. Une entaille, on en meurt.
Non, on en meurt aussi. Il y a une sorte de mythe à croire que parce que la blessure est invisible elle ne tue pas. Et si elle ne tue pas, elle incapacite dans un premier temps et la victime peut croiser les doigts pour ne pas être achevé.
L’exemple de la bataille de Tollense (âge du Bronze, en Allemagne vers -1200) montre clairement la létalité de casse-têtes en bois (même pas en métal, du bois…). Petit exemple :
Généralités sur les armes.
Les premières armes étaient en bronze qui est un alliage de cuivre.
La pierre est certainement un matériaux moins noble que le métal dans l’esprit de beaucoup mais les premières armes restent en pierre, en roches siliceuses (silex par exemple) pour la plupart mais que. C’est sans compter les armes en matière périssable (qui ne se conservent donc pas comme le bois par exemple) et dont on peut déduire la présence par le type de blessure. La radio d’Otzi montre une armature de flèche logée au niveau d’une de ses omoplates. Ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres de la fin du Néolithique ou nombre de sépultures ont livré des restes osseux portent encore fichées des têtes de flèches en silex (Castellet à Fontvieille, le dolmen de Font Rial à Saint-Rome-de-Tarn, les Châtelliers du Vieil-Auzay, l’hypogée de Roaix, etc.). Et avant le bronze, on a, logiquement, des armes en cuivre (la grotte du Pas-de-Joulié à Trèves a livré une colonne vertébrale avec un couteau en cuivre planté dans l’une de vertèbres, entre autres exemples).
Au sujet des équipements militaires des Romains.
Le bouclier est là pour protéger.
Pas que et loin de là, c’est une arme hybride et pas que défensive (dans sa catégorisation typologique).
Par exemple, la description du duel entre Titus Manlius Torquatus et un gaulois faite par Tite-Live l’illustre parfaitement : « Ceint d’un écu de fantassin et d’une épée d’Espagne, il prit position en face du Gaulois (...) Ils prirent position comme je viens de le dire : le Gaulois à sa manière, le bouclier en avant, chantant; Manlius, ayant plus de confiance dans le courage que dans l’habileté frappa ce bouclier de son bouclier et ébranla l’équilibre du Gaulois. Tandis que le Gaulois cherche à retrouver sa station, Manlius frappe à nouveau le bouclier de son bouclier et fit perdre de nouveau à l’homme sa position ; de cette façon il réussit à passer sous l’épée du Gaulois et plongea l’arme espagnole dans sa poitrine, puis aussitôt de la même secousse, il pénètre l’épaule droite et ne se retira pas avant d’avoir renversé le Gaulois afin que celui-ci ne pût prendre élan pour frapper. Lorsqu’il l’eut renversé, il coupa la tête, enleva le collier et le met tout sanglant à son cou. » D’ailleurs Titus tiendra son surnom Torquata de cet exploit, le collier en question est un torque celte. Quant à « l’épée espagnole » c’est une traduction littérale un peu foireuse du glaive utilisé par les romains à partir du 3e siècle avant notre ère (la date exacte reste un peu floue : avant ou pendant la 2e guerre punique), le gladius hispaniensis.
Pour en revenir au bouclier, la présence de l’umbo est liée à deux choses, dévier les projectiles (fonction défensive) et asséner de violents coups lestés (en plus des propriétés techniques bien entendu). Comme la présence sur certains modèles d’orles métalliques probablement utilisés aussi pour casser la bouche de son voisin histoire d’entamer de bonnes relations (en plus d’assurer la solidité du dispositif, empêcher le pourrissement du bois avec le bouclier posé au sol et mieux résister à la taille), geste documenté par ailleurs. Une technique de combat de gladiateur d’ailleurs fait tenir le bouclier à l’horizontal pour maintenir à distance son adversaire et on sait que pendant certains temps, des gladiateurs servaient d’instructeurs martiaux aux légionnaires…
On sait aussi qu’à plusieurs reprises des soldats romains se sont fait prendre sans bouclier. César relate dans son récit de la guerre civile (De Bello civili) que des soldats pris au dépourvu pouvaient s’enrouler le bras de leur vêtement pour se constituer une protection rapide de fortune n’ayant pas le temps d’équiper leur bouclier (ils enroulaient leur cape).
Après, les épées ont toujours été des armes secondaires et/ou civiles
Du tout (ne jamais dire « toujours »). A chaque arme sa situation. L’épée est tellement secondaire que c’est cette arme qui va incarner la représentation idéalisée du guerrier dans de multiples cultures, à en devenir une incarnation physique du pouvoir. Pour nos Celtes par exemple, c’est l’épée et son fourreau qui dominent, et de très loin (dans un rapport du simple au triple), les dépôts guerriers votifs dans les sanctuaires. Notamment pour la période La Tène C1/ C2 (-250/-160) avant un effondrement de ce type de pratique au cours de LT D1 (-130/-80-70) et pour les régions nucléaires du second âge du Fer.
Oui. Pour moi, le gladius est déjà une arme de dernier recours, au contact. L'arme principale du légionnaire reste le pilum.
Pas vraiment, le pilum pour les légions tardo-républicaines et du Haut Empire c’est une arme de jet avant tout (il est bien sûr utilisable au corps-à-corps mais ce n’est pas sa destination première ni forcément le plus pratique selon les situations). Parfaitement intégré dans la tactique utilisé par les légions ou le lancer s’effectuait avant le contact (quitte à ce que la vitesse de marche soit réduite pour laisser le temps de dégainer notamment). Il sert peu sur la durée d’un combat comparé au reste de la panoplie du légionnaire. Au moins les Gaulois avaient un propulseur en cuir pour démultiplier la force de projection du trait.
En fait, d'après ce que j'ai lu les légionnaires utilisés très peu leurs pilums au corps à corps, il était trop fragile pour cela.
Tout à fait. En fait depuis la réforme marienne, l’installation d’une cheville en bois et utilisation d’un fer doux pour que le pilum se torde et soit un poids supplémentaire fiché dans le bouclier de l’ennemi et gênant ses gestes par l’encombrement généré.
Plusieurs textes parlent de l’utilisation des armes par les romains. Dans les Annales de Tacite : « Ils devaient seulement garder leurs rangs serrés, lancer leurs pilums, puis, avec l’épée et la bosse du bouclier, tuer et massacrer sans relâche. »
D’après César et Tite-live, les romains ne chargent pas à pied, ils arrivent en maîtrisant le rythme pour ne pas perdre leur souffle et leur force (quitte à ralentir) après avoir soumis l’adversaire à une pluie de pilum (le légionnaire du Haut Empire en possède deux) (tactique pratiquée par les celtes aussi avec des javelots), ils n’accélèrent que sur les derniers mètres pour un gros push. Durant certaines périodes, le gros désavantage de leur équipement est qu’ils portent l’arme à droite pour ne pas gêner le bouclier et doivent donc dégainer avec leur main droite sur le même coté, ce n’est possible qu’avec la longueur de lame courte des gladius. Des fois, les romains n’ont pas le temps de jeter leur pilum.
Par ailleurs, les pilums ont de multiples formes, lestés ou non, avec juste la pointe en métal, tout le corps jusqu’à la hampe, un poids ajouté pour les modèles utilisés pendant les sièges, etc. La typologie de ces armes est considérable. Pour finir, le pilum finit par disparaître durant le bas empire remplacé par le spiculum/verutum et les plumbatae (de très grosses fléchettes de lancer lestées).
Une des difficultés de l'armée romaine face aux celtes ou germains, c'est justement qu'ils sont arrivés avec leurs petites armes en bronze, face à des gaillards qui portaient des mailles (lorica hamata) et avaient des épées longues en acier. D'ailleurs, après la conquête des gaules, l'armée romaine a adopté aussi cet armement.
Cette remarque me surprend beaucoup, pendant la guerre des Gaules, ça fait déjà un moment que les romains utilisent des armes en fer quand même… Certaines parties pouvaient être en bronze comme la poignée ou le fourreau mais pas la lame. L’adoption d’équipement se fait par petites touches, souvent sur le long terme et lié à des changements dans les tactiques militaires (ce qui est une constante de l’histoire militaire romaine)… La lorica hamata est adoptée bien plus tôt que la Guerre de Gaules qui n’est pas le premier contact de la romanité avec le monde celte. N’oublions pas que plusieurs expéditions de celtes gaulois ont ravagé Rome (Vae Victis) en plus d'une longue tradition de mercenariat ayant emmené les Celtes jusqu'en Asie mineure, en Galatie. Celle des Sénons de Brennus reste la plus célèbre mais il y en a eu d’autres. Sur le côté gaillard, je vais y revenir un peu plus bas. La proximité des lames celtes et romaines pendant la guerre des gaules est telle qu’il est très délicat de déterminer lors d’une fouille les propriétaires des armes mises au jour. Un fait remarquable d’ailleurs à ce sujet est la faible quantité d’équipements militaires mis au jour pour ces contextes tardo-républicains et impériaux en regard de ce qui a été produit par l’état romain pour fournir à ses troupes leur équipement militaire (on parle quand même de plusieurs centaines de milliers d’hommes sur la durée et donc autant d’équipements). A titre d’exemple tout à fait personnel et qui ne vaut pas pour généralité, lors d’une fouille que j’ai dirigée en 2019 du côté de Toulon, parmi les sépultures de la nécropole, nous avons trouvé dans l’une des tombes (IV/Ve) deux anneaux d’une probable lorica hamata. Deux anneaux nous sont parvenus en 16 siècles pour un objet qui en comprenait entre 20 et 30000.
Il y a aussi d'autres soldats dont on parle peu, avec une arme peu connue, la funda, mais qui ont fait des ravageurs sur tous les champs de bataille : les frondeurs !
Les auxiliaires des Baléares sont de vrais spécialistes de la fronde et celle-ci fait même partie du paquetage de base du légionnaire à certaines périodes. Une munition de fronde a une forme d’olive, elle est lestée et elle peut faire de terribles dégâts et si on en a plus dans sa besace, suffit de se pencher pour ramasser des cailloux.