Aux premières lueurs de l’aube, je m’éveillais. Une frénésie s’était emparé des premiers lucides. Cris et lamentations se mélangeaient aux complaintes. Très vite, je compris. Mon regard se fixa sur la chaîne déroulée qui maintenait habituellement haut perchée la gangue en bois contenant la Lampe magique. L’écrin reposait à présent à même le sol au milieu d’un attroupement agité. Son couvercle était grand ouvert et, à l’évidence, la lampe en son sein avait disparu.
Très vite des exhortations s’élevèrent et résonnèrent dans la vaste salle : « Trahison ! Trahison ! Voleurs ! Les elfes ont dérobé la Lampe ! Maudits soient-ils ! ». Un chaos indescriptible imprégna le lieu de courses et bousculades. Puis, les miens m’encerclèrent et me prirent à partie : « Maître de guerre, il faut attraper ces elfes ! La lampe doit être retrouvée ! Agissons au plus vite avant qu’ils ne rapportent celle-ci en leur Royaume ! ». J’incitais chacun au calme et à raison gardée mais les esprits s’échauffaient. Ormal fut mis en cause mais je ne pouvais me résoudre à ce fait. Néanmoins, dans l’espoir de le maîtriser et éviter un malheur, je suivis l’élan général et accompagna la foule vers le camp elfique aux abords du village. Dans l’empressement, Nelladel m’attrapa le bras : « Père, le délit est grave. Il nous faut retrouver la Lampe au plus vite où un désastre meurtrier va se produire ! ». J’acquiesçais en hochant la tête et nous accélérâmes le pas pour tenter de devancer la foule en colère.
Encerclé et sous les imprécations vociférantes d’hommes et de femmes colériques, le campement elfique se recroquevilla tel un escargot dans sa coquille. Au milieu de tous, Ormal montrait un visage inquiet mais surtout interrogatif face à une telle irritation de cette foule oppressante. Lorsqu’il saisit la raison de la contrariété de tous, l’elfe clama son innocence. Mais très vite, la disparition subite de trois d’entre eux sauta aux yeux de leur communauté. Les trois jeunes elfes arrivés voilà peu manquaient. Ormal s’exprima : « Il faut absolument retrouver la Lampe d’Or. Sa perte est hors de question. Avant toute chose, c’est aussi un trésor incommensurable pour les elfes. ». Très vite, plusieurs témoignages affluèrent et nous comprimes que le trio avait fui vers l’embarcadère du village. Pour apaiser la tension ambiante, j’évoquais une poursuite rapide des fuyards. Un petit nombre suffirait car il serait plus à même d’organiser rapidement et efficacement la chasse. J’imposais mon choix en désignant mes deux amis pour m’accompagner. Nelladel s’offusqua de ma décision car elle voulait m’escorter. Je la convainquis, non sans mal, de rester au village pour rasséréner les esprits échaudés. J’avais besoin ici de son soutien.
Ainsi, mes deux compagnons et moi-même, nous nous précipitâmes sur le plus long ponton de l’embarcadère où nous empruntâmes une embarcation de pêcheur qui y était amarrée. Rapidement, le courant nous entraîna en aval lorsque nous déliâmes les amarres. Etait-ce l’air frais de la rivière qui remémora les souvenirs de Vennedil ? Quoi qu’il en fût, ce dernier se souvint subitement de l’elfe Oldir car ses traits lui rappelèrent ceux d’un bateleur régulier entre Esgaroth et le Royaume Sylvestre. Ce souvenir raffermit nos sentiments quant à la justesse de notre poursuite : nous pistions assurément les fomenteurs du vol organisé de la Lampe.
Penché sur le bastingage de notre étroite barque, Beleg entreprit d’héler Eau-Sombre. Par bonheur, le rire de la Dame du Lac retentit rapidement à nos oreilles et nous la vîmes glisser le long de long près de notre embarcation. Nous lui quémandâmes son aide après une explication succinctes des faits récents. Oui, elle avait vu trois jeunes elfes naviguant sur les flots la nuit passée. Leur frêle navire attira son attention car elle perçut à son bord une aura magique étrange. S’approchant discrètement de ces trois bateleurs de fortune, elle entendit évoquer l’Arbre du Pont-du-Ciel ou Eilan en Sindarin. C’était là un vieux chêne majestueux perclus au cœur des bois de Mirkwood. Un conte ancien narrait l’existence d’un chemin y conduisant depuis Dol Guldur et se prolongeant au nord jusqu’au Royaume Sylvestre. Cet arbre était immense et dominait noblement la forêt des ses branches allongées. Véritable sanctuaire, il était adulé par beaucoup. Dans toute sa splendeur, ce chêne ancestral n’avait pas cédé aux assauts de l’Ombre. Beleg lut alors les raisons du forfait des trois elfes car ils pensaient certainement accrocher la Lampe d’Or à l’arbre afin de communier leurs effets bienfaiteurs et en irradier le cœur de la Forêt Noire pour en chasser les ombres. Mais une elfe aussi douée que Duvainiel pouvait-elle être capable d’une telle prouesse ? Nous doutâmes malheureusement d’une telle sagesse en elle.
Dans sa bonté, Eau-Sombre nous y guida tout en accélérant notre navigation sur les flots languissants de la Rivière Noire. Peu d’heures après, nous accostâmes sur une grève de galets gris sur la rive orientale, face à l’épaisse et sombre forêt. Sur cette plage caillouteuse, une barque semblable à la nôtre était déjà échouée. Notre piste se réchauffait et elle s’enfonçait à présent vers les profondeurs du l’immense bois. Nous la suivîmes avec empressement après avoir remercié la Dame pour son aide précieuse.
Après quelques pas, la forêt nous engloba entièrement mais sa présence nous fut moins hostile comme si celle-ci montrait plus d’apaisement. Je m’interrogeais sur les raisons d’un tel virement – la présence de la Lampe avait-elle une influence si immédiate ? – mais mon attention fut, rapidement et pleinement, accaparée par le pistage des traces des fugitifs. Dans le clair obscur des innombrables arbres aux branches entremêlés, je m’attachais à percevoir le moindre indice mais, indubitablement, ces derniers ne prêtaient guère attention à leurs arrières. Leur piste était aisée à suivre car ils filaient bon train vers le grand chêne majestueux. Je pressais donc mes pas dans l’espoir de les rattraper au plus vite. Cependant et très vite, je m’aperçus avec effroi que nous n’étions pas seuls à poursuivre les trois elfes. Des loups. Nombreux et sauvages. Ils couraient aussi à leur rencontre. J’accélérais d’autant mon élan et engageais mes deux compagnons à me suivre hâtivement juste avant de découvrir d’autres traces. Griffues également. Profondes et largement espacées. Une grande créature sans aucun doute. La meute avait-elle un chef ? Je ne pus alors réprimer un terrible frisson : le lycanthrope chassait aussi, la Lampe d’Or courrait un grand danger. Et comme des prémices horrifiques, les hurlements du Grand-Loup de Mirkwood percèrent le silence des bois. Ses crocs devaient approcher de ses proies. « Plus vite ! » criais-je à mes amis.
Enfin, éreintés par une folle course à travers bois, nous débouchâmes à la lisière d’une grande clairière. En son centre, cerclé de quelques roches à moitié enfouies témoins d’un ancien sanctuaire, un grand chêne esseulé trônait. A l’évidence, il était l’Arbre du Pont-du-Ciel. Mais je n’eus pas le temps de m'appesantir sur sa splendeur car un triste spectacle m’alarma car de grands loups enragés rôdaient de toute part. Parmi eux, l’immonde Loup-garou grattait avec frénésie sous les racines extirpées de l’arbre majestueux. Cette engeance s’était donc réincarnée. Etait-elle immortelle ? Mais pour notre malheur, je vis plus loin deux des fuyards, le frère et la sœur, acculés par les loups contre un rocher prédominant. Ils défendaient leur vie face à la meute. Dans l’urgence, je ne vis point la troisième comparse. Mais nul temps de chercher. Sans hésiter, je fis vibrer ma lame elfique hors de son fourreau et me précipita vers le lycanthrope envahi d’une haine inexpugnable. Dans ma course, un trait tiré par Beleg siffla au dessus de ma tête et vint se ficher dans le dos du monstre. La créature se tourna prestement avant que je ne puisse la pourfendre. D’un puissant coup de pattes, ses griffes me labourèrent le torse. Je reculais chancelant et une terrible morsure à l’épaule gauche m’arracha un râle douloureux.
Pour ma chance, deux flèches se figèrent dans le poitrail du loup me laissant reprendre l’initiative. Dans mon dos, j’entendis les encouragements de Vannedil. Puis une lumière bleutée et éclatante vint foudroyer la créature velue et ses yeux rouges se révulsèrent. Beleg avait éclairé sa lampe magique. Il ne m’en fut pas tant pour profiter de cette aubaine et assener deux coups d’épée puissants au monstre. Celui-ci recula d’un bond et ce fut là que je vis l’elfe Tinuhel. Elle m’avait été masquée par la forte corpulence du lycanthrope et ce tenait près du tronc, sous les premières branches du chêne. Je la vis hésitante et sortir tremblotante de sa besace la Lampe d’Or. Comme par magie, celle-ci s’illumina soudainement, repoussant les ombres de la forêt. Les loups se mirent à hurler à la mort, violentés qu’ils étaient tous par la lumière dorée. Quel prodige se manifestait sous mon regard étonné ? Je ne sus mais j’amplifiais mes attaques sur mon ennemi. Ma lame le meurtrit à deux reprises et ses crocs mordirent une fois de plus mes chairs. Je faillis perdre mon arme sous la violence de la douleur. J’avais perdu tout sens des priorités car j’étais accaparé par l’éclat de la Lampe d’Or. Beleg fut plus prompt et je l’aperçus se précipiter aux côtés de Tinuhel pour lui reprendre son bien.
L’hurlement du monstrueux loup m’alerta et, d’un pas de côté salvateur, j’évitais une nouvelle bourrade griffue. Ma rage monta et mon épée gifla la joue de la créature, lui arrachant une oreille. J’exultais un cri de victoire lorsque mon coup suivant perfora son poitrail de part en part. La bête s’écroula au sol.
Vannedil fouraillait ardemment contre plusieurs loups. Acculée contre la roche, la fratrie elfique pliait sous les assauts des crocs pointus. Beleg se disputait la lampe avec l’effrontée. Ma tête tourna, j’étais épuisé.
Le cri suraigu siffla. Insoutenable son. Insupportable. Inhumain. Il perça mes tympans avec violence et, lâchant mon arme, je ne pus réprimer le réflexe d’apposer les paumes de mes mains sur mes oreilles. Sortant de l’orée, accoutré d’une armure d’une noirceur infinie, le Nazgûl avança hâtivement vers la porteuse de la Lampe d’Or. Terrorisée, celle-ci lâcha l’objet qui chut à ses pieds et s’éteignit. Tout redevint sombre et, comme une rengaine insoutenable, le cri strident du Nazgûl se répercuta à nouveau dans les frondaisons alentours.
Tétanisé par l’horreur approchante, je fis quelques pas de recul. Je vis alors une nouvelle atrocité. Le corps inerte d’un loup mort non loin de moi se mit à convulser. Ce dernier s’agrandit pour débuter une effrayante métamorphose. Apeuré, je m’écriais : « Fuyons ! ». Beleg se saisit alors de la lampe abandonnée au sol. Encombré de son fardeau, il intima Tinuhel à fuir.

Curieusement, partout, les loups étaient désorientés. La fratrie put profiter de se relâchement pour s’extirper de leur position défensive et décamper. Effrayé, comme paralysée par tant d’épouvante, je vis le loup mort convulser et finir sa métamorphose sous mes yeux.
Vannedil me rejoint et me tira de ma rêverie en me secouant énergiquement. Tous les deux nous prîmes nos jambes à notre cou lorsque le Nazgûl dirigea une main fripée vers notre groupe. Une vague de froid intense vint frapper la malheureuse Tinuhel qui s’effondra de tout son poids. Je compris avec frayeur sa perte lorsque nous l’abandonnâmes à cette créature maléfique dans notre fuite. Tel fut le prix de notre survie pour nos âmes. Tel fut le prix pour reprendre à trois insensés la lampe dérobée.
Fin des sessions 52 & 53
Phase de communauté