Pouvais-je le nier ? Non. Pouvais-je le contester ? Non plus. L’Ombre envahissait les bois et les terres. Elle rétrécissait l’emprise des peuples libres sur ceux-ci à une portion congrue. Et pourtant, les malédictions du Loup et du Vampire n’avaient elles pas été bannies ? Oui, deux coups brutaux assenaient à l’Ennemi. Et pourtant, les orques se multipliaient et s’enhardissaient hors de leurs lugubres repaires, même au grand jour. Toujours plus proche de nos villages et fermes, jusqu’à les assaillir. Le Tarn-Noir n’était plus qu’un souvenir, un village fantôme dont les ruines pourrissaient désormais sous l’emprise du Mal. Les hideuses araignées franchissaient la rivière sombre annihilant sa navigation. De fait, Rhosgobel s’asphyxiait car, y voyager à pied, prônait un grand courage ou une folie suicidaire. Au septentrion, les Montagnes Grises gonflaient ses eaux de fonte d’une neige inhabituellement abondante sur leurs versants et transformaient la rivière dorée en un bouillant flux destructeur qui brisa le pont de pierre séculaire et sépara en deux le royaume sylvestre. Celui-ci en fut entraver et se recroquevilla sur lui-même comme un escargot peureux. A Dale, le marasme d’une politique convalescente pétrifia les échanges avec les nains et la Ville du Lac et entraîna les prémices d’une famine meurtrière. A l’aune de terribles années, les peuples libres courbaient l’échine que la hache affutée de l’Ennemi trancherait bientôt, assouvissant sa haine insondable. Oppressés, les Hommes des bois vacillaient, leurs forces s’amenuisaient grandement et devenaient insuffisantes pour défendre tous leurs villages. Face à cet inquiétant constat, au solstice de l’été, leurs sages réunirent urgemment toutes les communautés dans un grand rassemblement et, ce jour-là, toutes se rejoignirent à Bourg-les-bois. Grâce à la garde de sa lampe dorée, le bourg demeurait encore un fébrile havre lumineux dans les ténèbres envahissantes. Irradiée du feu magique protecteur, la grande salle était comble. Hommes et femmes s’y entassaient. Le mobilier avait été poussé pour offrir l’accueil maximal et seule une dernière table trônait au centre. Chef de guerre, j’y étais attablé auprès des sages et des héros comme Vannedil. Je parcourus du regard la foule amassée et dévisagea chacune des mines. La peine, la peur et l’angoisse emprisonnaient les traits de tous sous des plis soucieux. Parmi eux, debout et en retrait, j’aperçus les cheveux blancs nattés de Beleg. Son impassibilité contrastait au milieu de la masse agitée. Ses yeux cristallins croisèrent les miens et j’hochai du menton un sobre salut. Je le savais inquiet pour la Lampe d’Or en ces temps troublés et persuadé d’une plus grande sûreté si celle-ci était gardée au palais de Thranduil. La faiblesse de ma communauté inquiétait le souverain du Royaume sylvestre et craignait sa perte. La lampe ne pouvait tout : contenir les orques aux ombres des sous-bois, contraindre les araignées à leurs tanières, repousser les brumes putrides aux confins. Pour Beleg et son roi, l’artefact doré était certes puissant mais destructible, tout comme celui argenté, et sa préservation exigeait qu’il fût confié aux bonnes mains. Cet enjeu était tel que Thranduil siégeait aussi à la table. Tout comme son affidé, son visage et sa posture ne laissaient paraître la moindre émotivité ou anxiété. Non, il patientait simplement et attendait que le silence, propre au début des débats, s’imposasse. J’étais inquiet car perdre la Lampe au profit des elfes raisonnerait comme le sifflement du couperet étêtant les Hommes des Bois. Vannedil partageait cette inquiétude et même plus : pour lui, les Hommes de Bois ne pouvaient survivre à l’inévitable assaut de l’Ombre et devaient abandonner leurs villages et tous se regrouper, plus au nord, près du royaume elfique. Tous ses avis et conseils engourdissaient mon esprit et je restais étrangement confus lorsque les débats s’ouvrirent. Les sages n’étaient plus ceux connus car la vieillesse et la maladie avaient pris leur tribut. Amaléoda était là. Elle avait perdu le Tarn-Noir mais acquis une grande sagesse à le défendre vaillamment. Ceawyn siégeait à sa droite. Ses cheveux blonds grisaient à présent et son faciès, autrefois si joyeux, se ridait de profonds sillons. La Porte-du-Soleil agonisait depuis l’épidémie de peste noire. A ses côtés, Gailar voutait ses épaules sous le poids des années. Ses talents de guérisseur apaisèrent bien des souffrances lors de cette vile pandémie, cependant confronter quotidiennement la mort et la souffrance de ses patients accabla son esprit. Adossé à sa chaise, le dernier d’entre nous était aussi le plus jeune et le protégé de mon compagnon elfe : Arnulf. Il était devenu bel homme et son courage valait pour plusieurs face aux orques. En le zyeutant, je ne pus que penser au devenir de son ami d’enfance, le malheureux fils aîné de ma défunte Beranhild, qui fut foudroyé par la pestilence.
Gailar se leva et intima des ses bras chacun au silence, puis d’une voix éraillée s’exclama : « Sœurs et frères, amis. Nous sommes réunis ce soir, sous ce toit illuminé d’une magie bienfaitrice, pour évoquer en cette année difficile, après tant d’affres et de tourments, notre devenir, celui de nos communautés. Le Mal ronge nos terres et nous tue. Qui n’a pas un parent, un enfant, un ami, une connaissance qui ne fut meurtri par sa pestilence ou sa violence guerrière ? Notre nombre décroît un peu plus chaque jour et cette assemblée dépeuplée le prouve malheureusement. Ensemble, nous devons réfléchir et décider de partir ou rester. » Après s’être tu, il s’assit lentement, invitant quiconque à parler d’une gestuelle évocatrice. Un murmure parcourra l’assistance avant qu’un homme, à peine trentenaire, s’en extirpa. Je le connaissais pour sa valeur au combat : « Mes mots sont simples. Pendant longtemps, les Hommes des Bois ont souffert dans l’obscurité. Mais, il y a plusieurs décennies, le Conseil Blanc l’a chassée avec notre aide et celle d’autres peuples. Ce que les sorciers peuvent faire, nous, braves guerriers des bois, le pouvons aussi car, même amoindrie, notre force est dans notre bras et notre vaillance. Il est temps de toiser la noirceur et la vaincre sans peur. Dressons haut la Lampe de Balti comme une fière bannière et descendons raser Dol Guldur ! La victoire sera notre et son goût celui de la paix retrouvée. » Quelques vivats d’approbation confluèrent cette intervention mais, très vite, ils s’étouffèrent lorsqu’une combattante aguerrie s’avança à son tour. Elle ne m’était pas inconnue et elle aussi avait versé son sang pour repousser, autant qu’elle puisse, les élans belliqueux de l’Ennemi. « Voilà trois jours que je perds mon sommeil dans les tourments qui m’oppressent. Je revois mon homme et mon fils, tués tous deux par les orques. Vous les avez tous connu et nul ne peut douter, ici, de leur courage et dévouement. Mais ils ne sont que deux victimes de plus de l’Ombre. La mort, la folie et bien d’autres tourments rôdent au-delà de la forêt et assaillent les Hommes des Bois. Peu de nos enfants sont encore en vie. Et même si cela me coûte de l’avouer et de vous le suggérer, il est temps que nous quittions nos maisons et villages, que nous abandonnions les grandes salles de nos ancêtres, pour trouver ailleurs une vie meilleure. Je ne sais où précisément, plus au nord des Terres Sauvages sûrement ? Mais sachez que se sont nos cœurs et nos esprits qui portent nos traditions, et non le bois de nos murs ou les feux de nos foyers. Notre culture sera préservée, où qu’il aille, si le peuple des bois survit et il sera construire des villages aux salles communes encore plus majestueuses. » L’assemblée fut secouée, certains s’offusquèrent alors que d’autres s’associèrent à cette proposition. Un tumulte grandit et envahit d’échos chaotiques la grande voute de la salle. Le tintamarre s’apaisa lorsqu’un vieillard claudiqua vers la tablée. Comme tous ceux de Bourg-les-Bois, je reconnus là l’ancien forgeron. Le grand âge avait pris sa vigueur pour, peu à peu, le courber sur sa canne noueuse mais le vieillard inspirait un indéniable respect : «
— Mes oreilles peinent à entendre cet abandon. Auparavant, les années furent sombres aussi : le Nécromancien fomenta au sud de la Forêt Noire et le dragon dévasta de son feu le nord du Rhovanion. Et pourtant, nous y avons survécu. Sans fuir. Ici, nous sommes restés avec pugnacité et notre cohésion résista à ces terribles maux. Grâce au courage de nos ancêtres, grâce à leur bravoure et grâce à la Lampe, ils tinrent contre l’adversité, sans recul ni peur. Cette vaillance n’est pas éteinte, je la vois dans vos yeux, elle bat dans vos cœurs et guide vos gestes. Hommes et femmes ici présents, la Lampe ne brille-t-elle pas au-dessus de vos têtes ? Avec son aide nous tiendrons comme autrefois, comme toujours.
— Merci l’ancien, répondit Ceawyn en se levant à son tour. En effet, depuis toujours, notre peuple est valeureux, sage et volontaire. Son courage est indéniable et il sera à nouveau exigé pour affronter Dol Guldur, se défendre ou partir. Un choix se doit mais avant, parmi nous, d’autres ont-ils des propos à tenir ? Sages ? Maître de Guerre ? »
Ses yeux bleus me fixèrent. Je sus à cet instant que mon mutisme n’avait que trop duré. La foule fixa son regard interrogatif sur ma personne et, soudainement, j’en ressentis une responsabilité immense. Néanmoins, ma décision était prise et mûrie. Longtemps refoulée aux tréfonds de mon esprit, l’exigence de ma lignée avait précipitamment resurgi. Le don d’Oromë avait été la gifle salvatrice claquée au visage de l’oublieux moribond que j’étais devenu et, depuis lors, il brûlait mon être au fer rouge d’une insoutenable impatience. En conscience, je me levai de ma chaise. Immédiatement, le bourdonnement décousu de l’assistance se débilita en de rares bribes sporadiques. Une toux rocailleuse s’entendit puis un silence pesant s’imposa. Je fis rouler ma langue et déglutis pour éclaircir ma gorge asséchée : «
— Mes amis. J’ai conscience de la gravité de cet instant. Ô jamais, nous n’avons été si amoindris. La peste noire a ravagé durement nos rangs et les hordes orques ruinent désormais nos terres, avec une telle ardeur qu’elles viennent même jusqu’à défier la solidité de nos remparts. Certains ont rompu, comme ceux du Tarn-Noir, d’autres vacillent et ne subsistent que moribonds. Mais notre terre est ici sous la protection de la Lampe d’or. Ici, il nous faut nous regrouper. Cette union est notre force et, pour la diriger, je vous propose de choisir un nouveau chef de guerre ». Un chahut s’empara de l’assemblée que quelques cris stupéfiés percèrent. L’humeur oscilla entre incompréhension et effarement Mon bras droit se souleva et oscilla en un geste apaisant : « Je ne souhaite pas vous abandonner mais je le dois. Mon temps est révolu parmi vous car je pars accomplir une quête, celle de ma destinée. Chaque nuit, mes songes me l’évoquent. Depuis trop longtemps, j’ai repoussé l’évidence mais son aboutissement se dévoile enfin. Son enjeu est essentiel car sa réussite frappera durement le cœur noir de l’Ennemi. Mais je reviendrai. Oui, digne et fier, je reviendrai porteur d’un artefact dont la puissance est sans commune mesure, un don des Valar qui nous offrira à jamais la sérénité d’une sûreté retrouvée. » Je repris ma respiration, l’auditoire se taisait : « Je vieillis et m’éteins dans ce corps meurtri et mélancolique. Et même si une vitalité d’exception m’a été donnée, il vous faut un meneur plus jeune, empli d’une fougue sans pareil, à même de vous guider bravement dès les prochaines batailles. Ce n’est pas à moi de désigner mon successeur ou ma successeuse, mais je peux vous livrer mon sentiment et vous suggérer un nom, celui d’Amaléoda ! » Lentement, je saisis le cor, symbole de ma fonction, accroché à mon cou pour le déposer délicatement et avec une révérence marquée sur la table. Finement ouvragées, ses arabesques incurvées relataient, en de fines rainures, de glorieux combats ancestraux. Là, sous mes yeux vagues, je pesais le poids de l’honneur qu’il m’avait été fait mais aussi celui de ma décision. Fierté et honte, égoïsme et altruisme, tout se mélangeait en un maelstrom bouillonnant dans ma tête. Hochant le menton, je chassais ses démons d’indécision : «
— Pour toujours, je suis et reste honoré d’avoir souffler dans ce cor. Fièrement, j’ai gonflé mes poumons pour qu’il raisonne et encourage au milieu des ténèbres. Mais, ce jour, mon destin est autre, tout comme son porteur doit l’être et je me rassis. Une vive émotion envahit mon être, tout comme la presse agitée face à moi.
— C’est un bien triste nouvelle Araval et elle s’ajoute à nos tourments, rebondit Amaléoda en se dressant et avant que la foule ne réagisse de sa stupéfaction. Perdre notre chef de guerre, ce héro qui a lutté et remporté tant de victoires contre l’Ombre, est ennuyeux car votre présence à nos côtés aurait été rassurant. Mais, si votre destin doit nous amputer de votre force, alors qu’il en soit ainsi. Quant à savoir si je serais votre successeuse, seul le peuple en décidera bien sûr. Mais maintenant, c’est une toute autre décision que nous devons prendre. »
Muet jusqu’alors, Thranduil se hissa avec grâce. Il portait une armure elfique légère et élaborée avec une esthétique indéniable. Sa stature intima une écoute attentive immédiate car tous craignaient son inévitable exigence lorsque sa voix tranchante raisonna dans la salle : «
— Cette lampe qui illumine cette assemblée de ses rayons bienfaiteurs a été fabriquée par mes parents aux temps anciens à Amon Lanc. Elle était suspendue avec sa sœur argentée au-dessus des grandes portes de la grande cité du royaume des bois. Cette lampe appartient aux Elfes, à mon peuple. Voilà des années, nous avons accepté de la laisser entre vos mains, celles de ceux des bois, lorsque nous comprîmes vos besoins pour votre survie. Encore récemment, elle sauva bien de vos vies de la peste noire et j’en suis heureux. Sans elle, cette assemblée serait encore plus démunie mais, aujourd’hui, si je vois devant moi un peuple brave, qui lutte avec nous contre l’Ombre, qui a connu de glorieuses victoires comme de tristes défaites, il n’est malheureusement plus assez nombreux pour protéger un tel trésor. L’Ennemi a trompé la vigilance de mes pères à Amon Lanc, pris leur royaume et s’empara des deux lampes. L’une d’elle a été détruite et ses débris ont été retrouvés dans l’antre du Loup-Garou. Les héros présents avec nous peuvent en témoigner. Le même sort ne peut frapper la dernière lampe allumée. Vous devez nous la rendre pour que les Elfes la protègent en mon palais sylvestre. Ainsi, elle rayonnera de toute sa puissance jusqu’à vos propres terres. »
L’atmosphère se glaça. Un contestataire s’émut, un autre cria sa colère. Une gronde gonfla et emplit les voiles d’un vent d’amertume avec même quelques rafales haineuses envers les elfes. Les mots vol et ruse fusèrent et se propagèrent comme une fièvre contagieuse. Gailar adoucit l’ardeur galopante : «
— Paix ! Paix mes amis ! Chacun ici s’exprime librement, nos alliés aussi.
— J’ai parlé, poursuivit le roi. Oui, peuple des bois, si vous songer avec espoir à votre avenir, si vous voulez refluer l’Ombre grandissante qui garrote la forêt, alors vous le savez et ne pouvez le nier : cette lampe revient aux Elfes. Elle est leur héritage.
La foule convulsa et s’écarta. Le son mat du bâton tordu du mage brun frappant le sol pierreux rythma son avancée vers la lumière car, jusque-là, il était resté caché au milieu de tous : «
— Majesté, vous êtes sage et ancien. Vous savez que la Lampe a été fabriquée par les elfes d’Eregion, à l’ouest des Monts Brumeux, pas dans votre famille. Elle vous a été confiée avec sa sœur. Si une âme vivante possède cette lampe en héritage, alors c’est Elrond de Foncombe. Car les rares survivants des ruines d’Eregion résident désormais dans la vallée cachée. Si nous cherchons un lieu où la Lampe sera protégée avec assurance, alors c’est celui-ci. Votre palais peut contrarier l’Ombre mais peut-il tenir ? Qui ici peut lui assurer son destin ? Qui ici peut éviter qu’il ne soit une nouvelle tragédie à l’image de celle d’Amon Lanc ? La lampe tomberait alors dans les griffes de l’Ennemi et sa destruction certaine. La lampe doit rejoindre Foncombe.
— Retirer celle-ci aux Hommes des Bois revient à leur arracher le cœur, soufflais-je bien malgré moi sans regarder quiconque.
— Maître Araval, nous nous connaissons. Thranduil me regardait fixement. Sa voix glaciale n’exprimait aucun doute. Nul ne questionne votre valeur et votre sagesse. Oui, sans la Lampe, ceux qui resteraient ici tomberont sous les coups de l’Ombre. Mais, même avec son feu lumineux, ils tomberont. La volonté de ceux des bois est indéniable comme leur force, mais leur nombre nuit. Ils contreront le mal quelques années, tout au plus. Mais chaque vie sera fauchée inévitablement, les unes après les autres, et la Lampe s’éteindra définitivement comme votre peuple.
— Que proposez-vous ? Que tous les Hommes des Bois aillent à Foncombe ?
— Non, bien sûr. La lampe doit venir en mon royaume. Mais le peuple des bois peut trouver sa place plus au nord. Les terres de Vinglund sont libres maintenant et champs et fermes peuvent y pousser, tout comme la lisière forestière apportera les bois de chauffe et de construction. Unis et plus proches, nos deux peuples pourraient même libérer l’ouest de la forêt des araignées. Cependant, vous tous devez choisir votre devenir ! ».
Encore une fois, les esprits s’animèrent avec véhémence et une colère sourde grogna, comme celle du chien acculé prêt à mordre. La pensée commune s’apeurait de la perte de la Lampe et, maintenant, se froissait d’une servitude certaine en migrant au nord, près des elfes. Ses échauffements embrasèrent la garde du roi et les invectives fusèrent, accompagnées par quelques bousculades bravaches. Chaque camp reprochait la folie de l’autre.
— Cessez ! hurla le roi et l’assemblée se tétanisa. Cessez là ! Nous comprenons la difficulté de trancher pour un choix. Mais j’entrevois une solution. Ici, hommes et elfes ont combattu pour défendre ensemble leur liberté. De cette lutte, des héros se sont élevés. Ils sont vos héros comme les nôtres. Je sais qu’ainsi n’est pas votre tradition mais, si nous nous opposons, la défaite est avérée pour tous. Et elle sera immanente. Je suis prêt à accepter leur décision, quelle qu’elle soit. Le conseil attablé ici le serait-il aussi ? J’en suis persuadé et, ces héros, je les appelle à présent : Maître Araval, encore, ce jour, votre chef de guerre ; Maître Vannedil, connu de tous les peuples libres pour sa tolérance et son altruisme et qui possède, aussi, des terres en vos contrées ; Beleg, sujet de mon Royaume, qui s’est battu, pour vous et son peuple, toutes ces années passées. Tous trois ont acquis une grande sagesse au fil de leurs combats et victoires contre l’Ombre et ses séides. Qui ici peut leur ôter le mérite de celles contre le Lycanthrope et le Vampire de Mirkwood ? Ils ont œuvré pour le bien de tous, indifféremment, que l’on soit homme ou elfe. Je le redis, j’accepterai leur décision et je vous demande de faire de même.
— J’acquiesce, tonna Amaléoda. Qui est pour ? »
Elle leva haut une main. Tous hésitèrent et tous frémirent mais elle resta ainsi le temps d’un long atermoiement de l’auditoire. Puis une autre main s’éleva, et une autre, et encore une. Elles se firent multiples et celles des sages les accompagnèrent. Chacun votait en son âme dans un curieux silence après tant d’agitation et d’anxiété. Ce silence pesait si lourd sur mes épaules qu’elles s’avachirent. Je compris, face à cette forêt de mains, bien que l’unanimité ne soit pas faite, que venait l’inévitable responsabilité d’une dernière décision comme chef de guerre des hommes des bois.
Quelques mots d'adieu