Je crois qu'on est en train de dangereusement faire dévier ce fil de son axe...
@ Erwan G
Mon approche (j'ai parfaitement conscience qu'elle est totalement personnelle) est que la S&S n'est pas dans les stéréotypes ultra violence, sexualité débridée et compagnie. En tant que rôliste, je pense qu'il y a une passion pour "ce qui peut faire peur". On joue à l'AdC pour cela, jouer à se faire peur.
Ce que la S&S apporte à cette approche du "jouer à se faire peur", c'est la possibilité de rendre les coups. Là où tu fuies, tu louvoies, tu trouves des solutions indirectes à l'AdC (enfin, des fois. J'ai l'impression que la version pulp de l'AdC correspond à une façon de mettre en adéquation l'aspiration des joueurs qui manipulent le Thommy Gun et la dynamite et le jeu), dans la S&S, tu affronte le danger. Ca fait peur, mais j'y vais !
Il faut avoir conscience d'un concept important, Robert E. Howard n'a pas inventé la S&S, il a écrit une forme de fantasy qui n'existait pas alors et qui ensuite, a été qualifiée de S&S pour la démarquer d'une fantasy jugée plus classique (Tolkien pour ne pas le nommer). Au final, il est plutôt le fondateur de la fantasy américaine que le simple géniteur d'un sous-genre à la connotation péjorative.
Si il y a aujourd'hui des stéréotypes, c'est parce que les tropes utilisés par Howard ont été reproduits et détournés jusqu'à l'écoeurement, mais oui ce qu'il a écrit c'est ultra violent, sexuel parfois (avec les limites de ce qu'on pouvait écrire en 1930) et surtout pas manichéen. Mais Howard oblige, c'est parfois poétique et, en tout cas, toujours mis en scène avec une modernité incroyable (scènes introductives, langage grossier, spatialisation des combats ou des scènes de bataille, etc...).
Je pense que tu mélanges deux approches.
Tu mets surtout en opposition Lovecraft et Howard sous le prétexte que les personnages de Lovecraft "ne rendent pas les coups" puisqu'ils s'évanouissent ou deviennent fou, alors qu'en S&S on rendrait les coups, mais à mon sens, tu es entrain de mélanger deux auteurs qui n'ont rien à voir en termes littéraires, même si tous les deux étaient publiés dans les pulps (et qu'ils sont devenus des amis à travers leur incroyable relation épistolaire).
On ne peut donc pas comparer une nouvelle de Lovecraft qui se passe dans une époque proche et dans laquelle des hommes normaux sont confrontés à des horreurs cosmiques qui hantent l'univers, dépassent l'entendement et renvoient l'homme à son insignifiance et une nouvelle de Howard qui se déroulent dans un passé lointain (et fictif), dans laquelle l'horreur n'est qu'un motif supplémentaire pour contraindre Conan à agir, même s'il peut connaitre la peur.
- Chez Lovecraft, les hommes sont condamnés car submergés par des choses qu'ils ne comprennent pas et qui dépassent leur entendement. Bien qu'instruits et intelligents, ses personnages n'ont pas les moyens de lutter contre la puissance de telles entités cosmiques. Ils ne peuvent donc que fuir, devenir fou ou mourir... C'est bien cette impuissance qui fout les jetons.
- Chez Howard, son esprit libertaire n'a pas grand chose à voir avec le "romain" Lovecraft. Conan est un barbare (donc non civilisé - non corrompu par les tares que la civilisation ne manque jamais de faire naitre), Conan est pragmatique et intelligent (il est intelligent mais pas instruit, bien que lorsqu'il est mis en scène dans la force de l'âge, on apprend qu'il sait lire et écrire - on sait déjà qu'il est polyglotte). Conan utilise sa force pour ne pas être soumis et ne l'utilise jamais pour contraindre ou conquérir. Donc, qu'il soit confronté à des humains ou des animaux, ou des créatures (à priori surnaturelles), qu'il ait peur ou non, il va agir et réagir pour assurer sa survie et - discours de Howard - ce sont justement sa condition de barbare et de guerrier affuté qui vont lui permettre de survivre là où le civilisé trépasserait sans coup férir.
Je suis en train de "relire" (via Audible) Conan en ce moment. Et, pour l'instant (les deux premiers livres ressortis), retirer le fantastique détruirait les nouvelles. La seule qui pourrait éventuellement s'en passer est celle que je viens de finir, dans laquelle Conan se retrouve sur une île de la mer de Vilayet avec une kothienne, Olivia, et des pirates. Même si la fin ne pourrait être la même sans l'horreur que Conan ne fait qu'apercevoir.
Mais il y a pléthore de sorciers aux noirs desseins (Toth Amon, Tsotha-Lanthi...), des créatures surnaturelles, des créatures d'autres mondes (la Tour de l'éléphant)...
Encore une fois, je pense qu'on peut sans problème enlever les éléments fantastiques et les nouvelles fonctionneront quand même, car le propos d'Howard n'est pas le surnaturel ou l'horreur, etc...
Un exemple avec une nouvelle comme "Le Maraudeur noir", nouvelle rejetée par Weird Tales que Howard réécrivit en la débarrassant des aspects surnaturels pour en faire un récit de pirates ne se passant plus à l'Âge hyborien et dont le héros est un pirate irlandais nommé Terence Vulmea.
Recourir au fantastique n'est donc pas une facilité, mais bien un trope permettant à Howard de déguiser une oeuvre réaliste dans le cadre d'un récit imaginaire. Sa volonté est bien de mettre en scène des personnages mus par des ambitions et des désirs purement humains. Et ça, cela ne concerne pas que les récits de Conan...