KRAKEN
Le joueur en personne se retrouve catapulté dans Millevaux ! Prisonnier de son propre jeu, il va devoir s’en remettre aux pires extrémités pour tenter une évasion. Nouvelle campagne solo multisystèmes par Damien Lagauzère, cette fois-ci axée sur Millevaux et Mantra 2ème édition !
(temps de lecture : 40 min)
Joué le 20/07/2019
Le jeu :
Mantra Oniropunk, vertiges métaphysiques et multiversels par Batronoban, Nina François-Lucchioni & co.
Salut, voici la 1ère partie de mon solo de Mantra qui se passe dans la forêt de Millevaux. ça finit un peu en sucette car en vérité j'ai dû me tirer un peu en speed et les Yeux s'en sont mêlés d'une façon un peu strange avec un enchaînement de questions tirées de
hacks de Pour la Reine dont
Oriente, le hack Millevaux et de
Vertiges Logiques. Sinon, je joue donc cette campagne avec Mantra mais aussi Omniscience et les Forges d'Encre. la suite se situera dans le Berlin de Cold City.
Cette nouvelle campagne Millevaux / Mantra 2 peut être vue comme la suite de la précédente campagne Millevaux / La Trilogie de la Crasse
Avertissement :contenu sensible (voir détail après illustration)
RANT 73 - Digital Art., cc-0, sur flickr
Contenu sensible : camps de la mort
L’histoire:
Salut,
Il y a quelques semaines maintenant, j'ai lu
Cheval du Diable, le dernier chapitre de
La Trilogie de la Crasse (Tétralogie désormais), le jeu de rôle de Christophe Siébert et Batronoban. Et plus je lisais, plus une voix dans ma tête (la mienne) disait « Oh, putain !... Oh, putain !... »
Je n'ai nulle intention de spoiler le contenu de ce texte mais je dois dire que les révélations contenues dans
Cheval du Diable ont fait plus que s'interroger le rôliste solitaire que je suis. Je me suis posé pas mal de questions après avoir lu
Cheval du Diable. Mais j'ai aussi eu vachement la trouille ! Ça, je dois bien le reconnaître.
Histoire de me changer les idées (ou de me voiler la face) je me suis lancé dans quelques parties en solo mais sans finalement jamais réussir à trop m'éloigner des univers de la Crasse et de Millevaux. Il me fallait quelque chose de plus fort. Alors, j'ai ressorti
Mantra. Pour des raisons finalement assez évidentes, je m'étais jeté dessus pour le lire au plus vite mais, plus ou moins consciemment, repoussais le moment de passer à l'acte et créer un personnage. Mais au bout d'un moment, je n'avais plus vraiment le choix.
Rôliste solitaire, il m'est plus facile qu'à d'autres de trouver la Magicienne. En plus, je la connaissais déjà depuis l'affaire des Cœlacanthes. Aussi, j'ai pu obtenir sans problème mes premières doses de Billes et de Noix, dont je sais aujourd'hui qu'elles sont en parties composées de Pétrol'Magie. Grâce à la Bille, j'ai eu une double illumination. Une bonne et une mauvaise nouvelle en quelque sorte.
La bonne nouvelle, c'était que j'allais de nouveau incarner le Kraken. Et pour ça, je n'ai même pas eu besoin de me jeter dans le Puits des Âmes. La mauvaise, c'était que j'avais désormais le Bureau des Narcotiques aux fesses. Et oui, j'ai beau être rôliste solitaire, il y a quand même des choses que même la double casquette de MJ/PJ ne peut permettre d'éviter. En ce moment, je n'ai pas de boulot donc ce n'est pas grave si je suis aux abonnés absents. Aussi, j'ai décidé de m'enfuir !
J'ai filé aussi vite que j'ai pu. J'ai juste pris avec moi mes dés, ma réserves de Billes, un rêve d'Anton Vandenberg et une photo d'Olav. J'ai fermé les yeux et, comme dans
Fight Club, j'ai commencé à explorer ma caverne intérieure jusqu'à ce qu'un pingouin me dise « Glisse ! ».
Et j'ai émergé dans cette espèce de cave, au pied d'un escalier. En haut, une porte. La peinture s'écaillait. Ça avait l'air dégueulasse. Tout avait l'air dégueulasse. C'était humide et sale. J'ai d'abord cru m'être retrouvé à Silent Hill. Mais non ! Heureusement ! J'ai fixé cette porte un moment. Plusieurs choses, j'avoue, me fichaient la trouille. Déjà, l'obscurité de cette cave. Non pas que j'ai peur du noir mais je n'avais alors aucune idée de ce qui pouvait se tapir dans les ténèbres. Et c'est pas comme si, la seule chose dont j'étais sûr, c'est que partout autour de moi ça grouillait de Horlas. Et puis j'avais les pieds dans la flotte, ce qui est très désagréable. Et puis, il y avait ces runes sur la porte. Elles aussi ne m'inspiraient pas confiance, loin de là. Puis, enfin, la lumière derrière la porte. C'était une lumière éclatante. Un truc aveuglant. Un flash de fin du monde. Ou plutôt un flash de création du monde. Je n'avais aucune idée de ce qu'il pouvait y avoir derrière cette porte. Ma seule certitude concernait l'existence de Horlas. Voilà où j'en étais. Derrière moi, le Bureau des Narcotiques dont les agents étaient sûrement déjà à mes basques. Et devant, en haut des marches, un Nouveau Monde où tout était à découvrir, à construire. Et pour ça, je n'avais en poche que mes dés, le Rêve 18 d'Anton Vandenberg et les photos d'Olav. Mais heureusement, grâce à Christophe BJ Breysse, je reste Connecté.
XxXxX
Je monte les marches. Plus j'approche de la porte couverte de runes, plus la lumière est aveuglante. Derrière, il n'y a rien que le blanc. Tout est à créer. Et pour cela, je n'ai qu'un rêve d'Anton Vandenberg, le n°18.
Je ferme les yeux. J'ouvre la porte. Je fais quelques pas. J'ouvre les yeux. Je suis dans le salon miteux d'une petite maison en bois. En fait, c'est plus que miteux, c'est carrément à l'abandon. À travers la fenêtre perce un rayon de la Lune A, celle qui précède la Lune B, qui éclaire un pistolet, un Beretta, qui traîne sur la table basse. Je vais en avoir besoin. Dehors, j'entends hurler les Voix Mortes. Je savais qu'il y avait des Horlas ici.
Je monte à l'étage. Les escaliers grincent mais tiennent bon. J'entre dans une pièce vide. Une porte fenêtre s'ouvre sur un balcon. Là, je vois la forêt s'étendre à perte de vue. De tous les mondes maudits où je pouvais atterrir il fallait que ce soit celui-là ! Millevaux !
Au loin, je vois des immeubles abandonnés et envahis par la végétation. On dit qu'une tribu de tarés y vit. On les appelle les Natifs de l'Abattage. Tout un programme. Je vois aussi les ruines d'un théâtre antique. Je sais. C'est là que se trouve le prochain rêve d'Anton Vandenberg.
Pour l'instant, avec ce qui me reste du rêve n°18, je fais en sorte que trois ouvriers retapent un peu cette maison qui est désormais la mienne. Par le balcon, je vois qu'Olav a peint des runes un peu partout. Elles me protègent des Voix Mortes. Avec un nouveau rêve d'Anton, je pourrais améliorer tout ça.
Le rôliste solitaire est tout autant PJ que MJ. En cela, il est un peu Omniscient. Cela fait de moi, au moins de dans ce Nouveau Monde, ce nouveau Millevaux, un Connecté. Ainsi, je sais comment l'avènement de la Chèvre Noire, la Mauvaise Mère, a précipité la fin de l'humanité. Mais pour ce qui est de dire ce qui s'est vraiment passé à l'époque, je crois bien qu'il n'en existe plus aucune trace. Je crois que les survivants ont fait de leur mieux pour écrire leur histoire puis la transmettre oralement mais... l'Emprise, l’Égrégore et l'oubli. Bref, il ne reste plus rien aujourd'hui. Que des ruines. Des immeubles en ruine. Des ruines humaines à la mémoire rongée par la forêt. Et les Horlas et autres Cœlacanthes qui hantent les bois.
Il y a encore des zones saines bien sûr. Où ? Je ne sais pas encore mais il y en a. Tous les survivants n'ont pas fini comme les Natifs de l'Abattage. Certains ont rafistolé comme ils ont pu les ruines dans lesquelles ils se sont installés et y vivent aussi paisiblement que possible.
Les Horlas et les malades comme les Natifs ne sont pas les seules menaces auxquelles il faut faire face. L'ennemi est parfois plus insidieux quand il prend la forme de la corruption. Corruption de l'âme mais aussi des corps. La corruption frappe tout le monde, humain, animal, végétal, minéral. Tout ce qui est, sous l'influence de la Mauvaise Mère, peut devenir un ennemi mortel. C'est peut-être une des façons qu'a la nature de reprendre ses droits. Mais heureusement, il y a encore moyen de trouver de la nourriture saine et de l'eau potable. L'eau de pluie, quand elle n'est pas noire, peut être récoltée. Pour peu qu'on la fasse bouillir, l'eau des lacs est potable aussi.
Pour l'instant, la seule communauté que je connais est celle des Natifs de l'Abattage. Elle est à quelques kilomètres d'ici, dans les immeubles abandonnés. Là-bas, c'est la loi du plus fort et du plus fous. En ce moment, je crois que leur chef s'appelle Kainen. J'aimerais être sûr qu'ils sont comme ça à cause de Millevaux. Mais je crois que non. À ma connaissance, ils n'ont aucun lien avec les Horlas. Je crois même qu'ils les craignent. C'est leur choix de vivre ainsi, c'est tout. Il va vraiment falloir que je me protège car s'ils se rendent compte que je suis là, je ne donne pas cher de ma peau.
Et là, vient le moment où Christophe Breysse m'interroge à propos des Connectés. Comment ils sont perçus, s'ils sont l'objet de luttes d'influence etc. ? Sauf que, à ma connaissance, je suis le seul Connecté ici. Peut-être que j'en rencontrerais d'autres. Mais pour l'instant, je suis le seul.
Et la résistance ? Contre qui ? Millevaux ? La Chèvre Noire ? Les Horlas ? Je ne pense pas qu'on puisse dire que les Natifs de l'Abattage constituent un mouvement de résistance contre quoi que ce soit. Et comme pour les Connectés, s'il y a une résistance, je n'en ai vu aucune trace. En fait, j'ai l'impression que si quelqu'un fait office de résistance, c'est moi. Et là, on est vraiment mal barré.
Mes trois ouvriers, mes trois techies que j'ai appelés Haze, Corso et Lewis-Maria ont, entre autres petits travaux, restauré l'électricité. J'ai ainsi fait la découverte, à la cave, d'une Forge d'Encre. Ça tombe très bien. Grâce à elle, je vais pouvoir en apprendre un peu plus sur ce théâtre antique où se trouve le prochain rêve d'Anton Vandenberg.
Une fois seul, je m'installe et réfléchis à ce théâtre. Que sait-on à son sujet ? Que sais-je à son sujet ? Tout d'abord il s'agit d'une ruine datant de l'Antiquité gréco-romaine. Avant l'avènement de la Mauvaise Mère, c'était déjà une ruine. Mais des archéologues l'avaient extirpée de la terre. Ils avaient remis en état tout ce qui pouvait l'être et avaient reconstitué une partie de son histoire afin que le public se rappelle comment on vivait à l'époque et à quoi ce genre de lieu servait. À l'époque, cette découverte a stoppé net la construction de nouvelles barres d'immeubles. En effet, c'est en creusant les fondations d'un futur HLM que ces vestiges furent découverts. Aussi, pour des raisons historiques, culturelles, etc, le projet d'agrandissement de la ZUP locale fut abandonné. Au contraire même, les édiles de l'époque se félicitaient de la proximité de ces précieuses ruines avec les barres déjà existantes. Ainsi, la culture et l'histoire se trouvaient à quelques pas des populations les plus défavorisées. Avec le temps, la forêt a détruit les bâtiments les plus proches du théâtre. C'est pour ça que le quartier général des Natifs de l'Abattage semble plus éloigné.
De mon balcon, le théâtre ne paraît pas si décrépi que ça, comparé aux immeubles. En fait, il semble faire corps avec la forêt. C'est un peu comme s'il n'avait pas été envahi et rongé par Millevaux mais plutôt comme s'il en était une partie. D'ailleurs, on raconte des choses sur cet endroit. On dit que ceux qui en reviennent sont porteurs d'une maladie mortelle et contagieuse. Avec le temps, ce lieu s'est entouré d'une aura de mystère et de secret. Mais, en réalité, de secret il n'y en a point. C'est juste que cet endroit est le cœur du territoire d'un de ces Horlas qu'on appelle Manducateur. C'est lui le vecteur de la maladie. Les Manducateurs ne sont pas seulement des porteurs de maladies, ils se nourrissent aussi de cadavres. Et, quand ils n'en trouvent pas, ils tuent ! Une fois là-bas, je devrais être très prudent. Surtout que je n'ai qu'un Beretta pour me défendre.
Maintenant que j'en sais un peu plus sur ce qui m'attend, je me concentre. Grâce à Christophe BJ Breysse, même ici je reste Connecté. Aussi, je peux avoir une vision de ce qui m'attend. Je ne sais pas si me concentrer permet de la générer. Aussi bien, ces visions sont spontanées mais j'essaye quand même.
Est-ce un pur hasard ? Je vois ! Le théâtre bien sûr. Je suis dans la fosse. Étrangement, à l'intérieur, la végétation est moins envahissante. Je vois le rêve d'Anton Vandenberg. Il est gravé sur une plaque de pierre perché au sommet d'une colonne. Comment mettre la main dessus ? J'ai tout le trajet pour y réfléchir.
XxXxX
Et me voilà parti pour ce théâtre en ruine. Je pars seul. J'aurais pu emmener Haze, Corso et Lewis-Maria avec moi mais cette quête de rêve est la mienne. À moi, à moi tout seul ! Ça m'apprendra à ne jamais me rappeler de mes rêves. Je n'aurais pas besoin de piquer ceux des autres si je m'en rappelais.
Dans l'état actuel des choses, il n'est pas compliqué d'éviter les immeubles des Natifs de l'Abattage. Par contre, je vais quand même devoir me dépatouiller des Voix Mortes qui entourent la cabane (j'ai du mal à dire « ma maison »). Plus je m'éloigne de la cabane, plus je m'approche de la sphère d'influence de cet étrange Horla que sont les Voix Mortes. La cabane se situe dans une petite clairière et au moment de m'enfoncer réellement dans la forêt, je sens l'influence du Horla, quelque chose dans l'air, comme un filet, un réseau d’Égrégore. J'ai la sensation très nette que continuer ma route me serait plus que néfaste. Pour autant, je n'ai pas vraiment le choix. Je regarde autour de moi. Je cherche un autre chemin, sans trop y croire. Et je vois cette espèce se stèle qui se dresse un peu plus loin sur ma droite. Je m'approche. Le caillou fait environ un mètre de haut. Il n'a rien de particulier si ce n'est cette série d'encoches taillées au sommet. À cet endroit, la roche est particulièrement polie. Il ne faut pas être un génie pour comprendre que ces encoches sont une sorte d'interrupteur. Je vois bien qu'il faut que j'y pose la main, sauf que ce n'est pas vraiment configuré pour une main humaine. À la limite, je peux passer mes doigts dans chaque entaille, mais dans quel ordre ? Qu'est-ce qui va se passer si je le fais ? Qu'est-ce qui va se passer si je le fais mal ? Est-ce que ce truc va désactiver le Horla ou au contraire m'attirer la colère des Voix Mortes ? Je passe un doigt dans chaque encoche, l'une après l'autre, de gauche à droite. Maintenant, il arrivera ce qui doit arriver.
Et merde ! C'est ce que je craignais. J'ai attiré les Voix Mortes. Je les entends avant de les voir. En fait, je les sens dans ma tête. C'est un bourdonnement désagréable, les prémices d'une sacrée migraine. Le truc dont je n'ai pas besoin maintenant. Évidemment, aucun dealer de Relpax ou d'Ibuprofène dans le coin ! Je ne bouge pas. Je reste près de la stèle. Je penche la tête. J'essaye de voir les Voix Mortes mais je ne vois rien. Pourtant, je les sens. Elles approchent. Pourquoi je ne peux pas les voir ? Elles sont tout près. Je m'empare du Beretta, même si je sens bien que ça ne sert pas à grand chose. J'ai pris mes Billes avec moi. J'espérais ne pas avoir à m'en servir avant de tomber sur le Manducateur.
Une voix dans ma tête. Plusieurs voix dans ma tête, qui se superposent. Des hommes et des femmes, des adultes et des enfants, dans plusieurs langues.
« Prends le masque du Toxique ! »
De quoi ça parle ? Quel masque ? Involontairement, mon regard se porte sur la stèle. Et il y a un masque. Un mélange de masque à gaz et de cagoule SM. Je prends le masque.
« Mets le masque du Toxique ! »
Bizarrement, je ne sens aucune agressivité dans ces Voix. Normalement, les Voix Mortes devraient vouloir me tuer et me manger. Mais je ne le sens pas comme ça. Je mets le masque. Et je les vois. Les Voix. Les Voix Mortes. Des dizaines de silhouettes. Elles sont là, partout devant moi, si proches et immobiles. On dirait des statues de glaise. Elles sont orangées et décrépites. Elles ne portent pas de vêtement mais ne possèdent aucun organe génital visible. On ne peut pas faire la différence entre les hommes et les femmes. Ils n'ont pas de visage, juste deux trous pour les yeux et un pour la bouche. Pas de nez. Pas de dent. Pas de cheveux. Autour d'eux, l'air est trouble. Comme quand il fait très chaud. Je n'ose pas bouger. Je dis juste que, selon moi, elles étaient sensées me sauter dessus pour me tuer et me manger. Les Voix rient.
« Non, nous ne souhaitons pas te tuer, ni te manger. Mais tu as raison. C'est dans la logique des choses. Nous devrions avoir envie de te tuer et te manger. »
Je suis presque rassuré et je leur demande si leur changement de comportement est lié à mon projet de me rendre au théâtre. Évidemment ! qu'elles me disent. Je les crois solidaires du Horla qui vit là-bas. Alors, je leur explique ne pas spécialement vouloir tuer le Manducateur. Je veux juste le rêve d'Anton Vandenberg qui est au sommet d'une vieille colonne. Si le Manducateur me laisse le prendre et m'en aller, il ne se passera rien. Comme j'ai tendance à parfois trop parler, je leur explique aussi qu'à l'origine j'avais pour projet de « discuter » avec le Horla afin de savoir s'il y avait un moyen de s'allier contre les Natifs de l'Abattage. Mais je me suis rappelé que ce type de Horla ne communiquait pas. Ils ne font que tuer et répandre la pestilence. D'ailleurs, je note que ce masque est le bienvenu. Et maintenant, je leur pose la question qui me brûle les lèvres depuis hier. Les Voix Mortes pensent-elles qu'il est possible d'« apprivoiser » le Manducateur si je lui fournis de la nourriture ? C'est un non catégorique ! Il me tuera. Ça a le mérite d 'être clair.
Je ne comprends pas pourquoi elles m'ont donné ce masque. Est-ce seulement parce que j'ai touché la stèle avant de m'enfoncer dans la forêt ? Je n'ose pas leur demander. En fait, je me borne juste à les remercier pour le masque et leur mise en garde. Puis, le plus poliment possible, je leur explique devoir prendre congé. Un rêve m'attend. Les Voix Mortes ne bougent toujours pas. Elles me laisseront passer, elles disent, mais... Mais quoi, bordel ? Que veulent-elles ?
Et elles m'expliquent. Elles ont un ennemi. Elles me laisseront passer si j'utilise une partie du rêve à faire échouer ses plans. Je reste prudent et explique ne pas pouvoir promettre de réussir du premier coup. Peut-être qu'il me faudra plusieurs rêves pour ça. Et puis, j'ai besoin de savoir qui est cet ennemi. Il faudra m'en dire le plus possible. Partant de là, pourquoi pas, oui ! J'étais prêt à m'allier au Manducateur, pourquoi ne pas m'allier aux Voix Mortes ? Qu'elles me laissent aller à ma guise dans la forêt et moi, avec les rêves que je trouverai, je combattrai leur ennemi.
Les choses n'ont pas vraiment pris la tournure à laquelle je m'attendais mais soit ! Alors, avant que je ne parte pour le théâtre, qui est cet ennemi ? On l'appelle Euphorie ! OK, est-ce un chef de guerre, un sorcier, un solitaire ou est-il à la tête d'une armée, d'une bande ? Euphorie est un guerrier solitaire. Un véritable colosse. Je devine qu'il s'agit d'un redoutable chasseur de Horlas. Mais non ! Pas du tout ! En fait, Euphorie est un vieil ami. Je comprends pas. En quoi est-il un ennemi alors ? Parce que c'est un menteur ? Je ne comprends vraiment rien. Et les Voix Mortes m'expliquent que ce vieil ami s'est mis à colporter des mensonges à leur sujet. Aussi, il faut le faire taire. Bon, je sens bien qu'il va falloir faire avec ça dans l'immédiat. De plus, la journée avance et je dois encore récupérer le rêve d'Anton. Nous aurons de nouveau l'occasion de parler avec les Voix Mortes mais, avant de partir, je veux encore connaître un détail sur Euphorie qui me permettra de le reconnaître. Il a les yeux violets et de vilaines cicatrices.
Le moment était venu de prendre congés. Les Voix Mortes s'écartaient sur mon passage. Je gardais le masque du Toxique sur la tête jusqu'à ce que je sois sûr qu'elles étaient toutes loin derrière moi. Je le remettrai en arrivant au théâtre. Il me protégera de la pestilence du Manducateur.
XxXxX
Arrivé au théâtre, j'enfile le Masque du Toxique. Je regarde autour de moi, au cas où les Voix Mortes seraient là. Je ne vois personne mais je sens quand même leurs présences, à moins qu'il ne s'agisse du Manducateur. Je descends dans la fosse et commence à errer au milieu des colonnes recouvertes de lierre et autres plantes grimpantes. En vérité, c'est beau. Le marbre de certaines colonnes est encore lisse malgré les siècles. Je lève la tête. Je cherche celles de ces colonnes au sommet de laquelle se trouve le rêve d'Anton. Je finis par la trouver. Pas de bol, c'est haut. Un peu de bol, quand même, on dirait que le Manducateur n'est pas décidé à se montrer. Peut-être qu'il n'a pas faim.
J'ai pratiqué l'escalade en salle pendant quelques années. Sur le plan purement théorique, j'ai des restes. Maintenant, il faut voir si mes jambes et mes bras suivront. Ça fait presque deux ans que je n'ai pas touché une prise mais je continue à faire de l'exercice très fréquemment. Sans battre des records, je reste quand même assez endurant. J'espère que ça suffira pour arriver en haut.
J'ai encore de beaux restes en escalade, pour peu que les prises soient bonnes. Arrivé au sommet, je m'empare de la tablette sur laquelle est gravée le rêve. Être un Connecté me permet d'avoir sur moi de la corde et un petit sac à dos. C'est un peu casse-gueule mais j'arrive à ranger la tablette dans le sac et à redescendre sans rien me casser.
Une fois en bas, je regarde partout autour de moi. Aucune trace du Manducateur ! Limite, ça m'inquiète. À moins qu'il ne soit parti chasser, je ne sais pas. Autant en profiter un peu pour explorer les lieux. Je n'aurais peut-être pas l'occasion de le refaire. Errant d'abord au milieu des colonnes, je monte ensuite sur les gradins. Je regarde la scène. C'est vraiment bien fichu. Je me rappelle qu'on m'a aussi dit que ces théâtres antiques étaient une merveille d'acoustique. Aussi, je prête l'oreille. Le silence... absolu ! Ça, par contre, c'est vraiment bizarre. À moins que la pestilence du Manducateur ait fait fuir tous les animaux du coin ? En vrai, c'est très possible. Je renonce à l'idée de chercher la tanière du Horla. Ce serait vraiment un risque inutile. Par contre, je m'emplis une dernière fois les yeux de ce magnifique décor. Et je vois quelque chose qui brille en bas. Je redescends pour voir. C'est un diamant. Pas un truc énorme mais quand même, d'où je viens ça vaut une fortune. Je l'embarque et quitte les lieux. Rester plus longtemps, c'est s'exposer au retour du Manducateur.
Plus je m'éloigne du théâtre, plus je marche vite. Au bout d'un moment, je me rends compte que je me suis mis à courir. J'ai gardé le Masque du Toxique et j'ai bien fait. Il est là, soudain, dressé devant moi, le Manducateur ! Là, ça craint ! Ce truc ressemble à un cadavre momifié enveloppé dans un suaire dégueulasse. Le Masque du Toxique me permet en plus de voir l'aura de pestilence qui l'entoure. Plantée devant, elle avance la tête dans ma direction et ouvre grand sa bouche dans un feulement silencieux. Ce truc est doté d'une force prodigieuse et est quasiment indestructible. Et moi, je n'ai qu'un pauvre petit flingue. Il me faudrait un lance-flamme plutôt. Merde ! Je suis le Kraken, je peux le faire ! J'ai gobé de la Bille ! Du Pétrol'Magie coule dans mes veines alors... je peux le faire ! La drogue me permet de dépasser mes capacités de Connecté. Aussi, le flingue devient la lance relié au réservoir d'essence qu'est devenu mon sac-à-dos. Et je dis :
« Je suis le Kraken !
Ici et maintenant, pour te renvoyer dans les ténèbres que tu n'aurais jamais dû quitter, je te crames la gueule !
Je suis le Kraken ! »
Et j’envoie la sauce ! Et je pries pour que les Yeux de la Forêts me soient favorables. Alors, les Yeux, que dois-je faire de plus pour en finir avec ce truc ?
Et malgré le Masque, j'entends « … rétablir le Colosse... » Je comprends pas mais j'accepte. C'est promis, les Yeux, je rétablirai le Colosse !
Le vent se met alors à souffler. Le Manducateur s'enfuit en hurlant. Cette fois, je l'entends. Mais un retour de flamme me fait lâcher mon arme. Ça chauffe dur. Ça me brûle les mains. Heureusement, le Masque me protège le visage.
C'est pas la méga forme mais je finis par rejoindre la cabane, ma maison. Mes trois techos s'occupent de moi. Ils me passent de la crème sur les mains. Je vais avoir mal pendant un petit moment mais ça va finir par passer. Au moins, même si c'est douloureux, je peux me servir de mes mains. Je descends à la cave et dépose la tablette sur la plateau de la Forge d'Encre. Je commence la lecture du Rêve n°14.
XxXxX
Je commence à décortiquer le Rêve n°14. J'ai besoin d'une source d'information. L'air de rien, mes ennemis commencent à être nombreux : le Bureau des Narcotiques, le Manducateur, les Natifs de l'Abattage... et je ne sais pas trop ce que je dois penser des Voix Mortes et d'Euphorie.
Dans le rêve, il y a un micro et tout un matériel de sono. Avec ça, et mes souvenirs de la tête de Kid, je me bricole une radio. Le Bureau des Narcotiques travaille sous l'autorité directe du Président. Pas celui de la soi-disant République, non ! Ses agents travaillent pour le vrai Président, celui de mon signe astral, le Lion ! Liés que nous sommes par l'astrologie, je me mets au diapason de sa fréquence et écoute. Alors ? Savent-ils où je suis ? Non, mais... ils se rapprochent. Je vais devoir être vigilant.
Je change de fréquence et tente de capter les Natifs de l'Abattage. Hey ! Je ne m'y attendais pas mais ces barbares émettent. C'est plein de parasites mais je comprends quelques mots. Ils parlent d'étrangers et d'en finir. Parlent-ils de moi ? Je ne suis pas sûr qu'ils soient au courant de ma présence ici mais on ne sait jamais.
Je change encore de fréquence. Là, je capte une conversation. De qui s'agit-il ? De quoi parlent-ils ?
« ...il l'a tué et il a des remords !, dit une femme à la voix plutôt jeune.
C'est pour rompre la malédiction, répond un jeune homme.
C'est un rebelle...
… qui a la bougeotte !
Le Colosse, Euphorie ?
Oui, et ?
Il en a dans les boyaux ! Il sait se défendre !
Il a de bons outils. Tu as vu ces plaques rouges qu'il a sur tout le corps ? »
Ils parlent d'Euphorie. Ce Colosse aurait tué ? Pour rompre une malédiction ? On dirait qu'il s'en veut. Ces deux-là le perçoivent comme un rebelle, quelqu'un qu'il ne faut pas chercher. Mais, à les entendre, j'ai du mal à croire que ce soit vraiment un homme mauvais. J'ai quand même de plus en plus l'impression que les Voix Mortes ont essayé de m'entourlouper sur ce coup-là.
Mais bon, c'est pas tout ça mais... j'ai un rêve qui m'attend sur ma Forge d'Encre. J'ai du boulot ! À l'origine, je comptais utiliser les rêves d'Anton pour améliorer un peu le confort de ma cabane. Mais là, le rêve n°14 rend d'autres projets possibles. Enfin, surtout un. Aussi, je commence par demander à Haze, Corso et Lewis-Maria de remplir tous ces sacs de terre et de les empiler afin de faire de cette petite clairière un camp aussi fortifié qu'une banque suisse. À l'intérieur, j'installe plusieurs gibets et guillotines. Je m'inspire d'ailleurs de ces instruments pour protéger mon territoire de quelques pièges bien cachés. Je veux évidemment me protéger des Voix Mortes comme des Natifs de l'Abattage qui pourraient venir fouiner par ici. Et je ne veux absolument pas qu'on fouine car... j'ai un plan !
J'ai lu Cheval du Diable ! Et je sais quel rôle y jouent les camps de la mort. J'ai d'ailleurs une toute nouvelle théorie expliquant pourquoi les nazis les ont construit. Je ne rentrerai pas dans les détails car :
1-je ne veux pas spoiler.
2-je ne veux pas d'emmerdes ! Je ne me sens pas l'âme d'un Dieudonné... qui est pourtant parfois, voire souvent, très drôle quand même. Bref...
3-notez bien que ma volonté de ne pas spoiler (et donc vous inciter à lire Cheval du Diable en particulier et tout Christophe Siébert en général) l'emporte largement sur mon désir de ne pas finir devant un juge.
Bref, grâce à ma Forge d'Encre et au rêve n°14, ma cabane se retrouve au centre d'un camp retranché qui n'attend plus que d'être peuplé. Et là, comme objet et fruit de mes futures expériences, j'invoque une foule d'éclopés, d'éborgnés et d'édentés grâce au Rituel de la Charogne que j'accomplis en plongeant le Kriss de Vill dans le cœur d'un serval.
Et me voilà maintenant à la tête de mon petit camp. Haze, Corso et Lewis-Maria sont mes kapos. J'ai de hauts murs en sacs remplis de terre. Il y a des gibets, des guillotines et des pièges à l'intérieur comme à l'extérieur. Je n'oublies pas que je dois aussi m'occuper du Colosse Euphorie mais j'ai le sentiment que les choses vont bientôt commencer.
Pour fêter ça, je fais le plein de Billes puisque Anton a eu le bon goût de remplir son rêve n°14 de drogue !
Ça va être la fête ! Ça je vous le dis ! La fête à la charogne ! On va s'éclater un peu plus qu'à la kermesse d'un parti politique !
XxXxX
Je ne sais pas si c'est à cause de la drogue contenue dans le rêve d'Anton mais... j'ai eu deux visions cette fois.
Dans la première, je suis dans la forêt. Je cours ! Derrière moi, les agents du Bureau des Narcotiques. Ils m'ont retrouvé. Je dois les semer. Je dois sauver ma peau et surtout, surtout, faire en sorte qu'ils ne trouvent pas ma cabane.
Dans la seconde, je crois que c'est pire. Je suis chez les Natifs de l'Abattage. Comment me suis-je retrouvé sur leur territoire ? Ils forment un cercle autour de moi. Non, autour de nous ! Il est là, le Colosse Euphorie. On ne m'a pas menti. Il est énorme. Je lis des sentiments contradictoires dans ses yeux violets. Son corps est parcouru de cicatrices et, par endroits, recouverts de plaques rouges dont je ne sais si c'est de l'écorce ou de la pierre. Je me rappelle qu'il n'est pas seulement un guerrier puissant. Il est aussi connu pour être un sorcier. Est-ce que ces plaques sont le résultat de sa magie qu'il aurait utilisé sur lui-même ? C'est possible. Mais pour l'instant, il va falloir que je me sorte de là car, au milieu des Natifs, on dirait bien que je vais devoir affronter le Colosse. On dirait qu'il va se battre à mains nues. Moi, j'ai mon Beretta mais je ne suis pas sûr que cela lui fasse grand chose...
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La drogue, c'est pas bien. Certes, j'ai eu deux visions mais ce sont vraiment des visions de merde. Dans chacune, je suis dans la merde jusqu'au cou et je n'ai aucun indice pour ce qui est de trouver le prochain rêve d'Anton.
De mon balcon, je regarde Haze, Corso et Lewis-Maria maltraiter les éclopés que j'ai invoqués. J'espère que ce camp deviendra vite un vrai camp de la mort. Je veux savoir si ce que Siébert a écrit est vrai. Mais pour ça, pour aller plus loin, il me faut un rêve.
Je lève la tête et regarde la forêt. Grâce au Masque du Toxique, je vois les Voix Mortes. Je vois les Voix, c'est drôle ça ! Bref, elles sont toujours là. Elles attendent que je règle leur problème avec Euphorie. Je vois les Voix et j'entends les Yeux. Les Yeux de la forêt qui ont, eux, d'autres projets pour le Colosse. D'habitude, je suis plutôt un observateur discret. Mais là, il va falloir que je me lance. Je regarde mes mains et constate que j'ai complètement oublié de m'en occuper. Les brûlures sont vilaines mais moins douloureuses.
Et là, j'ai une idée. Une putain d'idée de génie ! Je ne suis pas un génie, évidemment mais... je suis pas non plus un parfait abruti. J'ai le minium syndical de culture et je sais ce qu'est un haruspice. Et je possède un Kriss. Et, du haut de mon balcon, j'ordonne qu'on m'amène un éclopé, un édenté, n'importe lequel ! Dans ces entrailles, je trouverai un indice. Alors, je saurai où chercher le rêve d'Anton.
Je fais monter un autel entre une guillotine et un gibet. Je le fais construire entre autres par celui-là même qui va y passer. Ça ne m'amuse pas spécialement mais je dois être cruel si je veux que mon camp de la mort attire ceux que j'espère attirer. C'est à ce prix seul que je percerai les secrets de Cheval du Diable et que je saurai si, finalement, je suis bien réel ou si je ne suis qu'un personnage de fiction, moi aussi.
Il faut un minimum de mise en scène et de décorum pour impressionner mes prisonniers. Mais je ne veux pas trop en faire non plus. Je veux que ça reste « froid » et « mécanique », utilitaire. Je fais ça car c'est utile et eux, dans tout ça, ne sont plus humains. Ils ne sont plus sujets. Je veux qu'ils sentent qu'ils ne sont que de la matière. Pas même des objets. Ils sont ce qui sert à fabriquer les objets. Ils sont encore en dessous. C'est ma petite touche de cruauté mentale. J'espère que ce sera suffisant.
Allez, à peine un ou deux Iä Iä Shub-Niggurath pour le folklore et j'éventre l'éclopé. J'en fous partout et étale ses tripes en espérant vraiment y voir quelque chose. Et je vois ! Là où le temps s'écoule différemment. Là où le bois rejoint l'acier. Putain mais qu'est-ce que ça veut dire ? Je farfouille encore. Je vois de l'or. Je vois des cavernes. Des mines ! Ce sont des mines. Sous terre, dans le noir, on ne perçoit pas le temps de la même façon qu'en plein jour. Et dans ces mines, il y a du fer. Sous les bois, il y a de l'acier. Et entre cet acier serpentent les racines des arbres. Le bois rejoint le fer. Le rêve d'Anton serait donc dans des mines de fer ou d'acier. Mais où trouver ces mines dans le coin ?
J'ordonne à d'autres prisonniers de disposer du cadavre. Dans mon infinie bonté, je les autorise à le manger. Ça les changera de l'infâme brouet qu'on leur distribue et l'apport en protéines leur redonnera un peu de force. Moi, je rentre dans la cabane et m'enferme au sous-sol, face à ma Forge d'Encre. Où sont ces mines ? Merde ! Je n'ai plus assez du dernier rêve pour les créer. Mais, d'un autre côté, ce rêve m'a permis de faire le plein de Billes. Et avec une Bille, je peux créer une carte.
De retour dans le salon, je convoque mes trois kapos et leur explique que je vais devoir m'absenter. Je leur fais un topo de la situation. Je leur montre les mines et leur explique le contenu de mes visions. Pas de panique, je suis le Kraken ! Je m'en sortirai ! En vérité, je suis moins sûr de moi que je ne le montre mais bon...
Et les emmerdes arrivent plus tôt que prévu. Dehors, ce sont des cris et des hurlements. J'en vois mes kapos voir ce qu'il se passe et monte jusqu'au balcon. Merde ! On est attaqué ! Je reconnais ces costumes, le Bureau des Narcotiques. Heureusement, ils ne sont que trois. Je dois réfléchir vite, très vite. C'est moi qu'ils veulent. Et moi, je ne veux surtout pas qu'ils parlent de mon petit camp à leurs supérieurs. Alors, j'attire leur attention en gueulant un bon coup et quitte le camp en courant à en perdre haleine. Heureusement que je cours sur de l'herbe et de la terre. Les vibrations qui remontent jusqu'à mon épaule sont moins douloureuses. Les kapos savent ce qu'ils ont à faire. De toutes façons, je suis le Kraken et nous sommes Connectés. Pour l'heure, je veux juste entraîner ces trois andouilles loin du camp et les abattre avant qu'elles n'en communiquent les coordonnées à leurs chefs. Ça peut marcher !
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Et voilà ! Comme dans ma vision, je suis dans la forêt et je cours. Et derrière moi, les agents du Bureau des Narcotiques. Il ne s'agit pas seulement de les éloigner de mon petit camp de la mort. Je dois surtout m'assurer qu'ils n'ont transmis aucune information me concernant au Bureau. Aussi, maintenir la pression pour qu'ils n'aient pas le temps de le faire. Les tuer. En gardant un vivant pour le faire parler. Je cours et tire quelques coups de feu pour maintenir la pression. Je ne suis pas un très bon tireur. En plus, le poids de l'arme me fait mal à l'épaule. Que j'en touche un serait vraiment un coup de bol. Coup de bol que je n'ai pas bien sûr. Mais ça suffit à leur mettre la pression. Maintenant, je dois trouver un lieu favorable à une embuscade. Je peux les conduire jusqu'à l'antre du Manducateur. C'est loin mais je suis endurant et je peux tenir. Je ne m'inquiète pas pour mes poursuivants, ils sont entraînés.
Le théâtre en ruine ! Est-ce que le Horla est chez lui ? Oui, et il a l'air particulièrement agressif. Tant mieux ! Je lui tire dessus. Pas pour le blesser car je sais qu'il est quasiment indestructible, mais pour l'énerver encore un peu plus. Les agents du Bureau sont juste derrière moi. Et moi, j'utilise ce don du Kraken pour passer en mode « camouflage » et me fondre dans le décor. Je peux le faire car...
« Je suis le Kraken !
Ici et maintenant, pour disparaître de la vue de mes ennemis, j'accepte de répondre sans réserve aux questions des Yeux.
Je suis le Kraken ! »
Et l'obscurité se répand, comme un nuage d'encre noire, dans tout le théâtre. J'entends le Manducateur hurler. J'entends les agents du Bureau aussi. Ils ne tirent pas mais crient. Ils tentent de comprendre ce qui est en train de se passer. Ils tentent de se localiser les uns les autres. Et moi, je réponds à la question des Yeux. Les Yeux de la forêt me demandent :
« Gardes-tu un bon souvenir de votre relation intime avec Oriente ? »
Quoi ?! Mais de quoi ils parlent ? Il me faut un petit moment pour comprendre. Les Yeux font référence à
Trancher les parties pourries, la partie d'
Oriente que je joue avec Thomas Munier. Sauf que, ni moi ni mon personnage n'avons eu de relation intime avec Oriente. Ou alors, qu'entend-on par intime au juste ? En fait, mon personnage est convaincu qu'Oriente est affilié aux Horlas et à Shub-Niggurath. Il craint fort que ce dernier ne nous guide tous à la mort, un peu comme le joueur de flûte. Mon personnage et moi croyons que nous sommes, pour Oriente, les éléments à sacrifier dans le cadre d'un rituel dédié à la Mauvaise Mère mais, comme nous ne pouvons rien prouver, une curiosité malsaine nous force à le le suivre. Mais peut-on vraiment parler d'intimité ? Je ne sais pas. Je ne crois pas. Ou alors, les Yeux feraient allusion à une intimité à venir ? Quelque chose qui va avoir lieu mais dont je ne suis pas encore au courant ? Oh, les Yeux ! Je ne suis pas sûr d'avoir répondu à votre question mais c'est ma réponse. Mais j'y pense, je devrais m'enfuir, non ? Il est plus que probable que le Manducateur ne va faire qu'une bouchée des trois agents du Bureau des Narcotiques. Il est dans ce cas plus que probable que je n'ai personne à interroger. Alors, pourquoi je reste ? Pour voir l'état des corps ? Par curiosité ? Comme mon personnage d'Oriente ? L'intimité, la proximité... Mon personnage est quasiment certain que sa curiosité va le mener à la mort. Et la mienne ? Je crois que j'ai saisi le message, je m'en vais. Je saurai bien assez tôt si les agents ont survécu et s'ils ont prévenu leurs chefs.
Je m'éloigne du théâtre. Je ne sais toujours pas où se trouve cette mine, là où je devrais trouver le prochain rêve d'Anton. Mais je sais qu'à un moment ou un autre je vais me retrouver chez les Natifs, face à Euphorie. Alors, et si je me jetais dans la gueule du loup ? Histoire de pouvoir dire « ça, c'est fait ! » Et puis, il n'est pas exclu que le Colosse ou un de ces barbares puissent me dire, justement, où est cette mine.
J'arrive sur le territoire des Natifs de l'Abattage. Une demi-douzaine d'immeubles en ruine envahis par la forêt. Il n'y a plus une seule vitre aux fenêtres. Des pans entier de béton se sont écroulés. Par endroit, les caves sont à ciel ouvert. Comme des mines ? Des mines à ciel ouvert ? Non, non ! Ça ne peut pas être là. Dans les entrailles de l'éclopé, j'ai vu une vraie mine.
Je m'approche et suis surpris par le silence qui règne là. Je ne sais pas pourquoi mais je m'attendais à tomber sur une bande de brutasses et une orgie permanente. Je crois que je m'attendais à une sorte de teuf tek, des « boum-boums » etc. Mais rien de tout ça. Je suis d'autant plus sur mes gardes. Ça sent le piège.
Soudain, une lance se fiche dans le sol, juste devant moi. Les emmerdes, c'est maintenant que ça commence. Je m'empare de l'arme et essaye de localiser celui ou celle qui l'a lancée. Un peu plus loin, sur ma gauche. Une jeune femme. Une jeune fille plutôt, elle doit avoir dans les 14 ou 15 ans à peine. Elle me regarde avec beaucoup d'attention mais son calme n'est qu'apparent. Il y a de la colère dans ses yeux. Ses yeux. Les Yeux. Je pourrais accepter de répondre à une autre de leurs questions pour me tirer de se mauvais pas mais... au contraire ! J'attends précisément de cette fille qu'elle me conduise là où je dois rencontrer le Colosse Euphorie à qui j'ai tant de chose à dire. Histoire de faire bonne impression, je retire le Masque du Toxique et je lui explique venir en paix.
« Je ne cherche pas les emmerdes ! J'en ai assez comme ça. Je veux parler à Euphorie. Je sais qu'il est ici. Peux-tu me mener à lui ?
Non, Euphorie n'est pas chez nous. Mais tu es bien renseigné. Il doit effectivement arriver sous peu. »
Elle ne pose pas la question mais je sens qu'elle a envie de savoir qui je suis. Alors, je dis la vérité, tout simplement, ou je me la raconte à mort en inventant un personnage de dingue ?
« Je m'appelle Damien. Mais on m'appelle aussi, ça dépend, Demian ou le Joueur. Je suis aussi le Kraken. Et toi ? »
A voir son air suspicieux, je ne suis pas sûr d'avoir marqué des points.
« Je m'appelle Barrette...
… parce que tu portes une barrette ? »
Elle porte effectivement une grosse barrette en bois. Je ne saurais dire si c'est joli ou non. Disons que c'est... spécial. En tout cas, on la reconnaît de loin.
Je fais un pas dans sa direction. Je tiens sa lance pointe baissée. Grâce à ma vision, je sais que les choses vont mal tourner mais autant retarder ce moment.
« Je ne suis pas si bien renseigné que ça. Je croyais que le Colosse était déjà là. Ça t'embête si je l'attends ? »
Et je continue d'avancer dans sa direction. J'espère qu'elle est seule même si je suis convaincu que plusieurs paires d'yeux nous épient. Je respire lentement. Je veux paraître le plus sûr de moi possible. Allez, je suis le Kraken et rien ne peut m'arriver.
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