[CR][AiME] Un Dúnadan en Terres Sauvages

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Carfax
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

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Fin d'année 2973 du Tiers Âge
27ème phase de Communauté - Se soigner de l'Ombre 


Veillée
 
Les flammes léchèrent avidement les deux bûches qui se chevauchaient dans l’âtre. Puis, l’une d’elle céda et se brisa en deux brandons ardents. D’un pied nonchalant, je les recentrai sur le nid de braises. Mon geste attisa l’appétit du foyer qui manifesta un crépitement gourmand agrémenté de flammèches bleutées. J’avançais mes mains au dessus du feu pour réchauffer mes doigts engourdis par le froid. J’étais seul. Nelladel veillait ailleurs. Nul secret, nul dire non plus. Elle s’épanouissait et découvrait une liberté qui était sienne. Dehors, dans une nuit d’encre, le vent tempêtueux siffla puissamment et la porte en bois de ma chaumière gémit sur ses gonds. L’hiver s’installait et les premières neiges ne tarderaient plus. Elles devaient déjà recouvrir abondamment le nord du Rhovanion et emprisonner la cité de Dale d’un voile blanc sous l’ombre glacée du Mont Solitaire. Le prince Baine y patientait au chevet de son père depuis que je l’avais quitté l’été dernier après l’horrible mort du vampire. L’étrange anémie du roi se dissipait et laissait présager son prochain rétablissement. Vigenère m’en tint informé dans sa dernière missive. Girion était retenu au château d’Orlmund – qui avait été fortifiée en conséquence avec l’arrivée de nombreux renforts – dans l’attente d’un procès. Mais, à l’évidence, Girion souffrait d’une malédiction, celle lancée en son encontre par sa propre mère, créature incarnée de l’Ombre. Celle-ci ne s’était-elle pas exclamée au sommet du haut donjon qui vit son trépas : «…tu es mon fils, et j’ai tout pouvoir sur toi… ». Beleg s’était soucié de cet anathème. Après rélexions et échanges avec son seigneur Thranduil, la peau couvrant la dépouille de Valdis en était à l’évidence l’origine et sa destruction une exigence. Seuls les elfes détenaient ce pouvoir et tel fut fait, non sans pertes et désespoir, aux Monts Noirs pour ne point corrompre un autre lieu. Ainsi, Girion ne fut plus maudit mais, témoin de la macabre transformation de sa mère et victime de ses cruelles morsures, sa conscience souffrit de tourments et son chemin devint une longue repentance.

J’éloignai mais mains réchauffées du foyer, je retrouvai l’usage de mes phalanges. Je pris quelques feuilles séchées d’herbe à pipe. Il ne m’en restait que très peu. Très récemment, des orques en maraude avaient saccagé mon exploitation, comme un symbole des durs stigmates de notre lutte vaine contre l’inexorable progression de l’Ennemi sur nos terres depuis l’orée boiseuse de Mirkwood. La peste avait ravagé nos rangs et décru nos forces. Le Tarn Noir n’était plus que ruines abandonnées, Rhosgobel se recroquevillait derrière sa clôture épineuse et seule la lumière bienfaitrice de la Lampe d’Or repoussait encore les ténèbres envahissantes ici, à Bourg-les-Bois. A l’est, nos frères montagnards pliaient sous les saillies gobelines et, ceux du nord, s’apprêtaient à fuir Fort-Bois. L’Ombre rampait et obscurcissait nos champs et nos pâturages. Nos routes étaient devenues dangereuses et traitresses. Celle des nains en reconquête avait subi un assaut annihilant irrémédiablement son expansion. Le massacre des araignées tueuses engloutit toutes vies sur le chantier. Mais des indices préoccupants révélèrent parmi les affreux arachnides, la venue d’hommes de la Colline du Tyran. Les espoirs du nain Boffri moururent sous les coups du corrompu Morgdred.

La Forêt s’obscurcissait et les Hommes des Bois s’asphyxiaient et périclitaient à ses abords. Ce dramatique affaiblissement força nos anciens à convoquer précipitamment un nouveau rassemblement populaire pour décider d’une même voix notre futur. Mais avant tout, je savais une nouvelle aventure se profiler. Aux premières prémisses printanières, je rejoindrai Beorn au Carrock pour le suivre comme promi, accompagnés de mes deux valeureux compagnons de toujours. Ils m’en firent la promesse au pied du donjon d’Orlmund. Nous serions trois à marcher dans les pas du vieil ours. Le vent redoubla et tambourina violement à ma porte mais je n’en fis cas : mon regard resta hypnotisé par les petites flammèches revêches carbonisant doucement les deux bûches de noisetiers. Là, solitaire et perdu dans les songes d‘une mélancolie galopante, mon visage éclairé par les reflets rougeoyants d’un foyer mourant, je pressentis ce voyage comme notre dernier. Je fermais mes paupières et m’évadais. Je me vis seul, avancer ma lame dressée et ensanglantée, ceint d’envahissantes ténèbres. Là, une blanche lueur s’éveilla et je les vis….les rivages blancs, ceux de Valinor.
 
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

Année 2974 T.A.
L'océan d'écumes
Session 69


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La sente sinueuse grimpait vers les premiers contreforts des Monts Brumeux. Elle zigzaguait entre les conifères moussus et les pierriers chaotiques pour enjamber quelque fois de petits rus vivaces. Une pluie fine incessante troublait l’horizon de ses ridelles translucides. Le manteau nuageux s’accrochait aux cimes des arbres et nappait le ciel d’un gris lugubre. A cette altitude, le froid engourdissait chacun de nous. Néanmoins, le vieil ours marchait d’un bon pas et je trainais péniblement les miens derrière lui, épuisé et fourbu par son train soutenu. Je serrais mes dents car je savais pertinemment la raison de cet effort : retrouver trace d’un fragment de la chaîne d’Angainor. Je ne parlais pas, tout comme mes deux compagnons couverts de leur capuchon détrempé par le grain. Seul le bruit des innombrables gouttes d’eau caracolant d’aiguilles en branches se mélangeait à nos ahanements rauques. La destination de ce voyage nous restait inconnue ; Beorn n’en dévoila rien lors de notre départ et il se contenta simplement de notre approbation pour le suivre aveuglement dans son périple vers le nord-est.

Ainsi, nous marchâmes sans fin derrière lui et, lorsque les résineux s’étiolèrent pour céder face aux roches et aux neiges persistantes, l’épuisement gagna nos corps. Soucieux mais contraint, l’ours bourru fit une pause dans un étroit goulet et partagea quelques réconfortants biscuits au miel. Mais alors qu’il nous exhorta à poursuivre rapidement la marche, un immense roc se brisa violemment tout proche de nous dans un grand fracas. Puis, une grêle de roches et pierres s’abattit sur nos têtes. Depuis les hauteurs vertigineuses qui nous surplombaient, des trolls des montagnes lançaient abondamment leurs lourds projectiles sur nos trognes. Beorn ragea et partit au pas de course.  Glissant, ripant, patinant sur les plates pierres humides du sentier, nous nous élançâmes précipitamment à sa suite. Par miracle - où fut-ce la maladresse de ces bêtes créatures ? –, notre course fugitive, faite de zigs et de zags, parfois sous des abris rocheux salvateurs, nous épargna des jets belliqueux jusqu’à nous échapper de ce goulet piégeux. Enfin à l’abris, nous retrouvâmes Beorn campé sur ses pieds qui patientait sur la voie pétrée. D’une voix grailleuse, il s’esclaffa à la vue de nos visages vaincus : « Voilà qui stimule, non ? ». Ses éclats rieurs résonnèrent en multiples échos jusqu’aux plus hauts sommets.

Après une nuit fraîche et humide, au lever, la pluie cessa et quelques rayons téméraires percèrent vaillamment l’épais manteau moutonneux encore suspendu aux pics environnants. Venu du nord, un blizzard orgueilleux siffla sa froide complainte lancinante sur les pierriers pentus. Harassé et fourbu, je relevais mon col dans l’espoir futile de préserver quelque peu la chaleur accumulée sous ma houppelande usée. Beorn nous avertit d’une nouvelle journée périlleuse et rude dans ces montagnes sournoises. A son ton interrogatif, je lui signifiais notre volonté de continuer l’ascension malgré tout.

Ainsi nous marchâmes encore et toujours. Vent et neige se mêlèrent au périple. Crevasses et autres anfractuosités s’opposèrent à notre progression. Congères et névés tendirent leurs pièges espiègles. Nous dûmes escalader et bondir, au risque de chutes mortelles. Nos lèvres gercèrent, nos doigts gourds bleuirent, nos pieds se meurtrirent dans nos chausses et nos muscles se crispèrent puis se tétanisèrent au fil de nos heures de grimpe.  Chaque crète franchie nous dévoilait sa proche voisine comme plus haute et dangereuse. La montagne nous rejetait tels des malveillants. Si loin des bois de son Royaume Sylvestre, Beleg souffrait et s’harassait et nous dûmes l’attendre de nombreuses fois. Ses repos forcés contrarièrent Beorn qui maugréa continuellement jusqu’à notre halte nocturne à l’abris du vent glacial dans une excavation. Malgré tout, ce soir là, notre maigre feu ne put éloigner le froid des cimes montagneuses. Ainsi filèrent les jours dans le vent et la neige. J’en perdis la notion du temps et ne comptais mes souffrances qu’en demi-journées. Et puis, nous atteignîmes la passe où Beorn stoppa ses pas.

Face à nous, une saignée tranchait la face enneigée d’un pic rocheux menaçant. Son sommet nous surpassait tel le guerrier victorieux au-dessus de son ennemi terrassé. Le vent avait cessé ses gémissements et un silence pesant baignait le site majestueux. L’ours soudainement éleva la voix : « Oh, l’âgé ! Réveille-toi et laisse-nous le passage ! ». Son appel éraillé résonna et se répercuta dans les tréfonds rocheux alentours. Mes traits s’écarquillèrent d’étonnement car la montagne se mouva. D’abord subrepticement, comme engoncée dans une chrysalide pierreuse, puis plus nettement. Deux yeux rocailleux s’ouvrirent au dessus desquels des paupières de granit s’arquèrent. Là, devant moi, un gigantesque visage fondu dans la paroi rocheuse du haut pic s’anima. Une voix caverneuse émana de la montagne. Elle s'amplifia et fit vibrer nos esgourdes : « Qui me réveille ? Est-ce toi Beorn ?
— Laisse-moi passer vieillard, j’ai des affaires à régler au-delà. Ouvre donc ta gorge !
— Qui d’autres sont ceux qui marchent devant moi ? Les yeux gris du visage rocheux roulèrent et scrutèrent chacun de nous. Oui, qui d’autres ? Des mortels et un elfe errant ? Trois misérables, rien de plus ? M’insultes-tu vieil ours ? »
Lorsque la voix terreuse finit de rouler vers les lointaines vallées, Beorn nous tint ces propos : « Cette étrangeté n’est pas maléfique ni bienséante d’ailleurs. Elle n’a pas de nom non plus. Mais son âge est millénaire et, comme tel, je la nomme. C’est une montagne, un pic, un géant des temps anciens et les Hommes et les Elfe ne sont que miettes insignifiantes devant sa longévité. Par vos dires, prouvez-lui votre valeur et, comme être d’exception, il vous cédera le passage. Sinon, nous devrons rebrousser chemin car la voie vous sera définitivement close. ». Je déglutis, puis hésitant, je dis à la volée : « Le vieux, je suis Araval, fils d’Araglas. Je viens de l’ouest lointain pour me présenter devant toi. J’accompagne Beorn pour relever une quête qui est mienne. Je suis le fils d’une lignée royale déchue mais issue des anciens et valeureux numménoriens.
— Que reste-t-il de cette lignée qui, jadis, fut glorieuse ? me questionna la face géante.
— L’Homme que je suis lutte et luttera toujours pour exalter le passé de ses ancêtres. Ce combat, je le mène contre l’Ombre et ses engeances. Peut-il être victorieux ? Je ne sais. Mais je peux pour le moins entraver durablement l’Ennemi et, de fait, glorifier ma lignée. En Mirkwood, avec mes compagnons présents devant vous, nous avons vaincu des fantômes maléfiques, battu le terrible Loup-garrou, occis le vil Grand Vampire et même contrarié les trois affreuses Reines. A présent. A présent, je pourchasse le Roi-Sorcier pour l’empêcher. Pour ce, je dois retrouver un puissant artefact dont la trace se perd. Si j’en crois Beorn, je trouverai un indice au-delà de votre garde. Telle est ma quête.
— Je veux entendre ces histoires de courage et de vaillance. Contez-les-moi ! tonna le géant. ».

Ce que nous fîmes. Nous nous relayâmes sans rien n’omettre ni négliger. De longues heures passèrent et lorsque nous nous turent au soleil couchant, le monstre pierreux s’exclama radieux : « L’ours, ce sont là de valeureux guerriers sous mes yeux. Passer ! ». Dans un déchirement sourd, la roche vibra et s’effrita. Sous le terne regard, les sourcils se froncèrent et, lentement, la roche se fissura pour s’ouvrir, peu à peu, sous un éboulis de rocs, en une immense bouche caverneuse. Et lorsque, la dernière pierre cessa de rouler, telle la lave figée d’un volcan, Beorn s’engagea sans hésitation dans l’antre édenté. Comme trois moutons hébétés suivraient leur berger, nous emboitâmes sa marche pour disparaître dans le noir boyau.

à suivre...
Dernière modification par Carfax le jeu. févr. 10, 2022 10:56 am, modifié 2 fois.
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

L’obscurité nous engloutit immédiatement. Sur mes gardes, je tirais Nimgalgor. Au son cristallin émit par la lame pâle s’extirpant de son fourreau, j’entendis Beorn pouffer doucement. Je compris ma bêtise et ravalais mon amour propre. Ici, seuls les ignorants craignaient un danger. Et ce fut à cet instant qu’elle m’apparut dans les ténèbres opaques. D’abord ténue, la frêle lumière s’amplifia pour rapidement resplendir. Guider par cette brillance, nos pas filèrent sans mal sur le sol caverneux et nous débouchâmes de l’aven tortueux sur un large surplomb granitique dominant une immense vallée boisée et ensoleillée. Une douce chaleur régnait sur le promontoire et nos corps gelés tremblèrent de soulagement. Mes yeux se plissèrent et je mis une main sur mon front pour me protéger de la clarté assassine d’un ciel azur immaculé. Ce paysage contrastait immédiatement avec la grisaille et le froid que nous venions de quitter sur l’autre versant. En cet instant, je me crus plonger dans un songe chimérique. Mais, sans même une once d’inquiétude ou d’étonnement, Beorn dévala un escalier grossièrement taillé dans la roche depuis l’encorbellement et qui chutait vertigineusement se noyer dans les bois verdoyants en contrebas. Je dus courir et sauter avec grand péril pour le rattraper et, lorsque je le rejoignis sous la canopée luxuriante, un cor sonna et m’enivra d’un espoir inespéré. Puis il se tut et laissa place au son ébouriffant d’une folle cavalcade à travers bois. Le changelin stoppa son avancée et nous dit alors avec sérénité : « Le chasseur vient. C’est pour lui que nous sommes là. Préparez vous, car jamais vous n’avez rencontré un tel être et plus jamais, sûrement, vous ne le reverrez. Son jugement tombera sur vous et, s’il le désire, vous consacrera ou vous foudroiera. N’essayez pas de le tromper, il ne se peut. Abandonnez vos rancœurs et vos remords. Rejetez vos chagrins et vos découragements. Ouvrez-lui humblement votre cœur. Sachez-le, peu d’être d’une telle puissance parcours notre monde. Même les istari ne sont rien pour lui. Je ne sais le nom qu’il porte chez les Hommes, mais les elfes chantent pour lui les louanges d’Oromë le chasseur car.il traqua le maléfique Morgoth au son de sa trompe Valarôma. Il est descendu des cieux avec ses frères valar pour créer la Terre du Milieu. Mais, cela fait, lui est resté ci-bas par amour pour nos terres, nos montagnes, nos forêts et nos fleuves. Il est l’ami des Peuples Libres. ». Sur ces dernières paroles, la cavalcade rugit et devint assourdissante. La nature s’écarta en une révérence affable pour s’effacer devant l’être le plus majestueux qu’il me fut possible de contempler. Immense, puissant et lumineux. Prodigieusement céleste et nimbé d’une aura éblouissante. Je fus subjugué par sa grâce et me sentis infiniment minuscule à ses pieds.

Ses yeux scrutèrent chacun de nous et, lorsque vint mon tour, je perçus la noirceur de mon âme dégouliner de tout mon être comme la transpiration malsaine d’une mauvaise fièvre. Le fiel insidieux de ma mélancolie sua et s’évapora en une sombre fumée. J’expulsais de mes artères et mes veines le lent poison pernicieux des méfaits de l’Ombre : chaque horreur, chaque épouvante, chaque chagrin, chaque tristesse s’apaisait. Je ne sus s’il parla ou chanta. Sa voix se fit multiple et s’entremêla pour résonner d’un écho baroque dans ma tête. Je m’agenouillais. Ainsi avachi sur mes talons, mon cou se plia révérencieusement et le monde s’évanouit. Je flottais dans un océan d’écumes et il vit. Il vit les fondements de ma lignée. Il vit ma quête pour sa rédemption. Il vit ma détermination. Alors, il m’accorda un pouvoir inestimable, celui de pister la trace fuyante des chaînons d’Angainor. De chaudes larmes emplirent mes yeux car ce don m’offrit la clé, celle de l’aboutissement de ma chasse, de ma vie aventureuse, de ma quête rédemptrice, de ma lignée redorée. Et je compris. Ma descendance était, s’épanouissait et grandissait. Mon amour était vaincu. Oui, je compris mon devenir, celui d’une traque ardente et insatiable pour reforger la chaine divine. Et celle-ci débutait vers l’est, je le perçus clairement. Oui, les maillons courraient vers les terres plates des peuplades du jeune prince défunt Sanjar.
 
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Je ne me souvins pas précisément de mes faits et de mes gestes sitôt la présence du vala enfuie. Comment quittais-je cette vallée arborée ? Comment traversais-je la veine caverneuse ? Comment descendis-je les pentes enneigées des Monts Brumeux vers les plaines ondoyantes de l’Anduin ? Mes souvenirs furent nimbés d’une brume divine et seul le souvenir enchanteur du cor d’Oromë me resta de cette rencontre. Jamais je ne sus le jugement que le vala porta sur mes amis et jamais nous ne l’évoquâmes entre nous.

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Dernière modification par Carfax le ven. févr. 25, 2022 2:17 pm, modifié 6 fois.
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

J'ai débuté le travail de mise en page du livre en format A5 où je vais condenser l'ensemble des CR de cette campagne pour en garder un beau souvenir. Ceci m'oblige à minima à une relecture minutieuse des textes et de fait sûrement un reprisage de bcp d'entre eux. Bref y a du taf sachant qu'il me faut aussi écrire le CR de la dernière année et le retour sur notre débriefing de fin de campagne.  8)7 !!!

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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par polki »

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:bierre:
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par AsgardOdin »

Je viens de tout rattraper, ça faisait trop longtemps que j'étais pas venu sur CNO !
C'est super ! Bon courage pour la mise en forme !

Tu es heureux de la fin du coup ? Pas de regrets au total ?
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

AsgardOdin a écrit : dim. févr. 13, 2022 8:16 pm Je viens de tout rattraper

👍
AsgardOdin a écrit : dim. févr. 13, 2022 8:16 pm Tu es heureux de la fin du coup ? Pas de regrets au total ?

Oui j'aime beaucoup la fin. Les regrets il y en a peut-être sur la tension moins présente à des hauts niveaux des personnages comme j'y reviendrai en vous exposant notre debriefing. Là je bosse pas mal de mon temps libre sur la mise en page du bouquin et surtout avec une relecture correctrice autant que je puisse mais aussi une tentative d'améliorer le style. Bref c'est intéressant mais long. Après je sais que je dois monter en haut de la mile le CR de la dernière session qui fut courte mais chargée en contenu.
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

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Muret
 
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L’orage menaçait et il teintait le ciel moutonneux d’un gris crépusculaire. Les grondements crépitaient et paraient l’horizon de zébrures lumineuses. Le déluge approchait et chargeait l’atmosphère de ce dernier jour d’été d’une moiteur insupportable. Je suais à grosses gouttes quand je finis de gravir la sente d’un pas lourd et atteignis le muret délabré qui cerclait mon exploitation. Posée sur le faîte d’une petite colline aux coteaux herbeux, elle étendait ses cultures sur ces douces pentes. Une vielle masure en pierre, blottie contre le tronc d’un chêne massif aux branches étoilées, servait de remise aux outils de culture mais aussi de séchoir et d’abri d’appoint. C’était ici, avec Myrha, que nous avions vu germer notre première pousse. L’eau avait abondamment coulée et les lunes blanchies à foison depuis lors mais, à cet instant, je me souvins avec exactitude son exaltation lorsqu’elle me héla pour me montrer le germe téméraire au milieu du champ labouré. J’avais alors abandonné ma tâche de forçat consacrée à la reconstruction du muret d’enceinte. Mais désormais, sous ce ciel ténébreux, ce joyeux souvenir s’envola car, ferme et pousses, il n’y avait plus. Saccagée et éventrée, la chaumière cramoisie s’écroulait sous sa charpente carbonisée. A ses côtés, le fier chêne ressemblait à un spectre décharné et noirci et plus aucune feuille ne verdirait sur ses branches. Sur ses flancs pentus, les plantations encore visibles jaunissaient et s’asséchaient. J’enjambai le mur d’enceinte écroulé sur lui-même et, tout aussi abattu que lui, je maudis l’Ombre et ses séides venus dévaster mon domaine. Désormais, la force de l’Ennemi était telle que sa hardiesse poussait ses sbires à s’aventurer effrontément sur nos terres. Comme un frivole baroude, je me baissais et, d’une main ferme, je saisis une pierre de bonne taille au bas du muret et la replaçais au plus haut. Mais, comme un aveu d’impuissance, elle ne tint pas et, déséquilibrée, dégringola. Ce fut à cet instant que l’orage éclata et que je les vis.

Un torrent d’eau pissa littéralement sur mon être. La pluie diluvienne dégoulina sur mes sourcils et troubla ma vision des deux wargs montés. Immenses loups aux crocs menaçants, ils avançaient vers moi avec assurance, comme deux prédateurs sûrs de leur chasse. Sur leur échine, les gobelins portaient un casque en fer rudimentaire qui masquait leur hideuse gueule. Une maille rouillée épousait leur torse et chacun empoignait une courte lance. La pluie redoubla d’intensité et son martèlement assourdissant couvrit le tintement mat que fit ma lame lorsque je l’extrayais de son fourreau. Là, suspendu au trépas, je restais, trempé jusqu’aux os, les deux poignes serrées, avec pour seule muraille un muret affaissé. Un éclair zébra les cieux et les illumina avec fulgurance. Le tonnerre grogna sa supplique et l’halali débuta.

Je ne sus comment mais ma première passe fut digne d’un maître d’arme. D’un bond, un premier loup fut sur moi. J’évitai sa morsure d’un mouvement contraint au bas du muret lorsqu’il le survola. Les jambes fléchies, je saisis l’aubaine de son abdomen découvert et y plantais profondément ma lame. Emporté par l’élan de la bête mortellement blessée, je n’eus pas le choix et lâcha Nimgalgor pour empoigner de mes deux mains la lance ferrée de son cavalier avant d’être vulgairement embroché. Entrainé dans la chute de sa monture, sa lance céda net et le gobelin chut sur moi. Déséquilibré, je partis en arrière et mon dos heurta les pierres moussues du muret. Je rebondis et, chanceux, je me retrouvais à califourchon sur mon ennemi. Groggy, je retournais néanmoins l’empan pointu de la lance brisée et l’enfonçais sèchement dans sa gorge. Un flot de sang aspergea mon visage lorsque je le retirais et se répandit abondement sur le sol boueux où il s’y noya immédiatement. Dans mon dos, j’entendis grogner le deuxième loup qui venait de franchir la frêle muraille pierreuse. Je me retournais et, assis sur mon céans, reculais piteusement jusqu’à m’adosser au muret. La bête m’approcha lentement, et sa gueule baveuse s’entrouvrit sur deux rangées canines acérées. Et, lorsqu’elle perçut l’injonction de son cavalier en langue noire, elle se jeta sur moi avec une vitesse prodigieuse. Je fermais mes yeux tout en projetant fermement en avant ma piteuse arme de pointe. Insolemment, celle-ci s’engouffra dans la gorge béante et transperça le crâne du loup, le tuant net. Sa lourde masse s’avachit instantanément sur mes jambes et mon torse. Mes poumons privés d’oxygène s’enflammèrent. Tel le rongeur pris dans une ratière, allongé et coincé sous ce poids gourd, l’incessante pluie engloutit mon visage essoufflé. J’expectorais bruyamment et tentais vainement de me dégager. Soudainement, l’eau cessa de tambouriner ma face époumonée car le dernier gobelin me recouvrait de toute sa hauteur. Lentement, très lentement, sûr de sa domination, il se pencha un peu plus et abaissa son poignard vers ma gorge. Derrière la nasale de son minable heaume, ses deux yeux pétillaient d’une exaltation meurtrière. Désarmé et entravé, mon regard se troubla. Las, je ne vis plus la silhouette du gobelin mais celle d’un spectre noir, aussi noir que le plumage d’un corbeau. Le poignard égorgeur n’était plus une vilaine dague crénelée mais une lame mate, sombre et effilée, prête à s’abattre pour tuer une destinée, la mienne. Je criais ma rage d’impuissance et pleurais ma quête inaccomplie. J’hurlais à vriller mes tympans. Encore libre, ma main droite laboura le sol boueux et cogna fortuitement une pierre, celle rétive qui avait chu désobligeamment avant l’orage. Je l’agrippais et frappais. Frappais. Frappais. Frappais. Inlassablement. Je ne cessais que lorsque mes doigts s’empoissèrent d’un sang chaud.

Je ne sus quand la pluie se tarit
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

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Année 2975 T.A.
Le dernier choix
Session 70
 
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Pouvais-je le nier ? Non. Pouvais-je le contester ? Non plus. L’Ombre envahissait les bois et les terres. Elle rétrécissait l’emprise des peuples libres sur ceux-ci à une portion congrue. Et pourtant, les malédictions du Loup et du Vampire n’avaient elles pas été bannies ? Oui, deux coups brutaux assenaient à l’Ennemi. Et pourtant, les orques se multipliaient et s’enhardissaient hors de leurs lugubres repaires, même au grand jour. Toujours plus proche de nos villages et fermes, jusqu’à les assaillir. Le Tarn-Noir n’était plus qu’un souvenir, un village fantôme dont les ruines pourrissaient désormais sous l’emprise du Mal.  Les hideuses araignées franchissaient la rivière sombre annihilant sa navigation. De fait, Rhosgobel s’asphyxiait car, y voyager à pied, prônait un grand courage ou une folie suicidaire. Au septentrion, les Montagnes Grises gonflaient ses eaux de fonte d’une neige inhabituellement abondante sur leurs versants et transformaient la rivière dorée en un bouillant flux destructeur qui brisa le pont de pierre séculaire et sépara en deux le royaume sylvestre. Celui-ci en fut entraver et se recroquevilla sur lui-même comme un escargot peureux. A Dale, le marasme d’une politique convalescente pétrifia les échanges avec les nains et la Ville du Lac et entraîna les prémices d’une famine meurtrière. A l’aune de terribles années, les peuples libres courbaient l’échine que la hache affutée de l’Ennemi trancherait bientôt, assouvissant sa haine insondable. Oppressés, les Hommes des bois vacillaient, leurs forces s’amenuisaient grandement et devenaient insuffisantes pour défendre tous leurs villages. Face à cet inquiétant constat, au solstice de l’été, leurs sages réunirent urgemment toutes les communautés dans un grand rassemblement et, ce jour-là, toutes se rejoignirent à Bourg-les-bois. Grâce à la garde de sa lampe dorée, le bourg demeurait encore un fébrile havre lumineux dans les ténèbres envahissantes. Irradiée du feu magique protecteur, la grande salle était comble. Hommes et femmes s’y entassaient. Le mobilier avait été poussé pour offrir l’accueil maximal et seule une dernière table trônait au centre. Chef de guerre, j’y étais attablé auprès des sages et des héros comme Vannedil. Je parcourus du regard la foule amassée et dévisagea chacune des mines. La peine, la peur et l’angoisse emprisonnaient les traits de tous sous des plis soucieux. Parmi eux, debout et en retrait, j’aperçus les cheveux blancs nattés de Beleg. Son impassibilité contrastait au milieu de la masse agitée. Ses yeux cristallins croisèrent les miens et j’hochai du menton un sobre salut. Je le savais inquiet pour la Lampe d’Or en ces temps troublés et persuadé d’une plus grande sûreté si celle-ci était gardée au palais de Thranduil. La faiblesse de ma communauté inquiétait le souverain du Royaume sylvestre et craignait sa perte. La lampe ne pouvait tout : contenir les orques aux ombres des sous-bois, contraindre les araignées à leurs tanières, repousser les brumes putrides aux confins. Pour Beleg et son roi, l’artefact doré était certes puissant mais destructible, tout comme celui argenté, et sa préservation exigeait qu’il fût confié aux bonnes mains. Cet enjeu était tel que Thranduil siégeait aussi à la table. Tout comme son affidé, son visage et sa posture ne laissaient paraître la moindre émotivité ou anxiété. Non, il patientait simplement et attendait que le silence, propre au début des débats, s’imposasse. J’étais inquiet car perdre la Lampe au profit des elfes raisonnerait comme le sifflement du couperet étêtant les Hommes des Bois. Vannedil partageait cette inquiétude et même plus : pour lui, les Hommes de Bois ne pouvaient survivre à l’inévitable assaut de l’Ombre et devaient abandonner leurs villages et tous se regrouper, plus au nord, près du royaume elfique. Tous ses avis et conseils engourdissaient mon esprit et je restais étrangement confus lorsque les débats s’ouvrirent. Les sages n’étaient plus ceux connus car la vieillesse et la maladie avaient pris leur tribut. Amaléoda était là. Elle avait perdu le Tarn-Noir mais acquis une grande sagesse à le défendre vaillamment. Ceawyn siégeait à sa droite. Ses cheveux blonds grisaient à présent et son faciès, autrefois si joyeux, se ridait de profonds sillons. La Porte-du-Soleil agonisait depuis l’épidémie de peste noire. A ses côtés, Gailar voutait ses épaules sous le poids des années. Ses talents de guérisseur apaisèrent bien des souffrances lors de cette vile pandémie, cependant confronter quotidiennement la mort et la souffrance de ses patients accabla son esprit. Adossé à sa chaise, le dernier d’entre nous était aussi le plus jeune et le protégé de mon compagnon elfe : Arnulf. Il était devenu bel homme et son courage valait pour plusieurs face aux orques. En le zyeutant, je ne pus que penser au devenir de son ami d’enfance, le malheureux fils aîné de ma défunte Beranhild, qui fut foudroyé par la pestilence.

Gailar se leva et intima des ses bras chacun au silence, puis d’une voix éraillée s’exclama : « Sœurs et frères, amis. Nous sommes réunis ce soir, sous ce toit illuminé d’une magie bienfaitrice, pour évoquer en cette année difficile, après tant d’affres et de tourments, notre devenir, celui de nos communautés. Le Mal ronge nos terres et nous tue. Qui n’a pas un parent, un enfant, un ami, une connaissance qui ne fut meurtri par sa pestilence ou sa violence guerrière ? Notre nombre décroît un peu plus chaque jour et cette assemblée dépeuplée le prouve malheureusement. Ensemble, nous devons réfléchir et décider de partir ou rester. » Après s’être tu, il s’assit lentement, invitant quiconque à parler d’une gestuelle évocatrice. Un murmure parcourra l’assistance avant qu’un homme, à peine trentenaire, s’en extirpa. Je le connaissais pour sa valeur au combat : « Mes mots sont simples. Pendant longtemps, les Hommes des Bois ont souffert dans l’obscurité. Mais, il y a plusieurs décennies, le Conseil Blanc l’a chassée avec notre aide et celle d’autres peuples. Ce que les sorciers peuvent faire, nous, braves guerriers des bois, le pouvons aussi car, même amoindrie, notre force est dans notre bras et notre vaillance. Il est temps de toiser la noirceur et la vaincre sans peur. Dressons haut la Lampe de Balti comme une fière bannière et descendons raser Dol Guldur ! La victoire sera notre et son goût celui de la paix retrouvée. » Quelques vivats d’approbation confluèrent cette intervention mais, très vite, ils s’étouffèrent lorsqu’une combattante aguerrie s’avança à son tour. Elle ne m’était pas inconnue et elle aussi avait versé son sang pour repousser, autant qu’elle puisse, les élans belliqueux de l’Ennemi. « Voilà trois jours que je perds mon sommeil dans les tourments qui m’oppressent. Je revois mon homme et mon fils, tués tous deux par les orques. Vous les avez tous connu et nul ne peut douter, ici, de leur courage et dévouement. Mais ils ne sont que deux victimes de plus de l’Ombre. La mort, la folie et bien d’autres tourments rôdent au-delà de la forêt et assaillent les Hommes des Bois. Peu de nos enfants sont encore en vie. Et même si cela me coûte de l’avouer et de vous le suggérer, il est temps que nous quittions nos maisons et villages, que nous abandonnions les grandes salles de nos ancêtres, pour trouver ailleurs une vie meilleure. Je ne sais où précisément, plus au nord des Terres Sauvages sûrement ? Mais sachez que se sont nos cœurs et nos esprits qui portent nos traditions, et non le bois de nos murs ou les feux de nos foyers. Notre culture sera préservée, où qu’il aille, si le peuple des bois survit et il sera construire des villages aux salles communes encore plus majestueuses. » L’assemblée fut secouée, certains s’offusquèrent alors que d’autres s’associèrent à cette proposition. Un tumulte grandit et envahit d’échos chaotiques la grande voute de la salle. Le tintamarre s’apaisa lorsqu’un vieillard claudiqua vers la tablée. Comme tous ceux de Bourg-les-Bois, je reconnus là l’ancien forgeron. Le grand âge avait pris sa vigueur pour, peu à peu, le courber sur sa canne noueuse mais le vieillard inspirait un indéniable respect : «
— Mes oreilles peinent à entendre cet abandon. Auparavant, les années furent sombres aussi : le Nécromancien fomenta au sud de la Forêt Noire et le dragon dévasta de son feu le nord du Rhovanion. Et pourtant, nous y avons survécu. Sans fuir. Ici, nous sommes restés avec pugnacité et notre cohésion résista à ces terribles maux. Grâce au courage de nos ancêtres, grâce à leur bravoure et grâce à la Lampe, ils tinrent contre l’adversité, sans recul ni peur. Cette vaillance n’est pas éteinte, je la vois dans vos yeux, elle bat dans vos cœurs et guide vos gestes. Hommes et femmes ici présents, la Lampe ne brille-t-elle pas au-dessus de vos têtes ? Avec son aide nous tiendrons comme autrefois, comme toujours.
 — Merci l’ancien, répondit Ceawyn en se levant à son tour. En effet, depuis toujours, notre peuple est valeureux, sage et volontaire. Son courage est indéniable et il sera à nouveau exigé pour affronter Dol Guldur, se défendre ou partir. Un choix se doit mais avant, parmi nous, d’autres ont-ils des propos à tenir ? Sages ? Maître de Guerre ? »
Ses yeux bleus me fixèrent. Je sus à cet instant que mon mutisme n’avait que trop duré. La foule fixa son regard interrogatif sur ma personne et, soudainement, j’en ressentis une responsabilité immense. Néanmoins, ma décision était prise et mûrie. Longtemps refoulée aux tréfonds de mon esprit, l’exigence de ma lignée avait précipitamment resurgi. Le don d’Oromë avait été la gifle salvatrice claquée au visage de l’oublieux moribond que j’étais devenu et, depuis lors, il brûlait mon être au fer rouge d’une insoutenable impatience. En conscience, je me levai de ma chaise. Immédiatement, le bourdonnement décousu de l’assistance se débilita en de rares bribes sporadiques. Une toux rocailleuse s’entendit puis un silence pesant s’imposa. Je fis rouler ma langue et déglutis pour éclaircir ma gorge asséchée : «
 — Mes amis. J’ai conscience de la gravité de cet instant. Ô jamais, nous n’avons été si amoindris. La peste noire a ravagé durement nos rangs et les hordes orques ruinent désormais nos terres, avec une telle ardeur qu’elles viennent même jusqu’à défier la solidité de nos remparts. Certains ont rompu, comme ceux du Tarn-Noir, d’autres vacillent et ne subsistent que moribonds. Mais notre terre est ici sous la protection de la Lampe d’or. Ici, il nous faut nous regrouper. Cette union est notre force et, pour la diriger, je vous propose de choisir un nouveau chef de guerre ». Un chahut s’empara de l’assemblée que quelques cris stupéfiés percèrent. L’humeur oscilla entre incompréhension et effarement Mon bras droit se souleva et oscilla en un geste apaisant : « Je ne souhaite pas vous abandonner mais je le dois. Mon temps est révolu parmi vous car je pars accomplir une quête, celle de ma destinée. Chaque nuit, mes songes me l’évoquent. Depuis trop longtemps, j’ai repoussé l’évidence mais son aboutissement se dévoile enfin. Son enjeu est essentiel car sa réussite frappera durement le cœur noir de l’Ennemi. Mais je reviendrai. Oui, digne et fier, je reviendrai porteur d’un artefact dont la puissance est sans commune mesure, un don des Valar qui nous offrira à jamais la sérénité d’une sûreté retrouvée. » Je repris ma respiration, l’auditoire se taisait : « Je vieillis et m’éteins dans ce corps meurtri et mélancolique. Et même si une vitalité d’exception m’a été donnée, il vous faut un meneur plus jeune, empli d’une fougue sans pareil, à même de vous guider bravement dès les prochaines batailles. Ce n’est pas à moi de désigner mon successeur ou ma successeuse, mais je peux vous livrer mon sentiment et vous suggérer un nom, celui d’Amaléoda ! » Lentement, je saisis le cor, symbole de ma fonction, accroché à mon cou pour le déposer délicatement et avec une révérence marquée sur la table. Finement ouvragées, ses arabesques incurvées relataient, en de fines rainures, de glorieux combats ancestraux. Là, sous mes yeux vagues, je pesais le poids de l’honneur qu’il m’avait été fait mais aussi celui de ma décision. Fierté et honte, égoïsme et altruisme, tout se mélangeait en un maelstrom bouillonnant dans ma tête. Hochant le menton, je chassais ses démons d’indécision : «
 — Pour toujours, je suis et reste honoré d’avoir souffler dans ce cor. Fièrement, j’ai gonflé mes poumons pour qu’il raisonne et encourage au milieu des ténèbres. Mais, ce jour, mon destin est autre, tout comme son porteur doit l’être et je me rassis. Une vive émotion envahit mon être, tout comme la presse agitée face à moi.
 — C’est un bien triste nouvelle Araval et elle s’ajoute à nos tourments, rebondit Amaléoda en se dressant et avant que la foule ne réagisse de sa stupéfaction. Perdre notre chef de guerre, ce héro qui a lutté et remporté tant de victoires contre l’Ombre, est ennuyeux car votre présence à nos côtés aurait été rassurant. Mais, si votre destin doit nous amputer de votre force, alors qu’il en soit ainsi. Quant à savoir si je serais votre successeuse, seul le peuple en décidera bien sûr. Mais maintenant, c’est une toute autre décision que nous devons prendre. »

Muet jusqu’alors, Thranduil se hissa avec grâce. Il portait une armure elfique légère et élaborée avec une esthétique indéniable. Sa stature intima une écoute attentive immédiate car tous craignaient son inévitable exigence lorsque sa voix tranchante raisonna dans la salle : «
 — Cette lampe qui illumine cette assemblée de ses rayons bienfaiteurs a été fabriquée par mes parents aux temps anciens à Amon Lanc. Elle était suspendue avec sa sœur argentée au-dessus des grandes portes de la grande cité du royaume des bois. Cette lampe appartient aux Elfes, à mon peuple. Voilà des années, nous avons accepté de la laisser entre vos mains, celles de ceux des bois, lorsque nous comprîmes vos besoins pour votre survie. Encore récemment, elle sauva bien de vos vies de la peste noire et j’en suis heureux. Sans elle, cette assemblée serait encore plus démunie mais, aujourd’hui, si je vois devant moi un peuple brave, qui lutte avec nous contre l’Ombre, qui a connu de glorieuses victoires comme de tristes défaites, il n’est malheureusement plus assez nombreux pour protéger un tel trésor. L’Ennemi a trompé la vigilance de mes pères à Amon Lanc, pris leur royaume et s’empara des deux lampes. L’une d’elle a été détruite et ses débris ont été retrouvés dans l’antre du Loup-Garou. Les héros présents avec nous peuvent en témoigner. Le même sort ne peut frapper la dernière lampe allumée. Vous devez nous la rendre pour que les Elfes la protègent en mon palais sylvestre. Ainsi, elle rayonnera de toute sa puissance jusqu’à vos propres terres. »

L’atmosphère se glaça. Un contestataire s’émut, un autre cria sa colère. Une gronde gonfla et emplit les voiles d’un vent d’amertume avec même quelques rafales haineuses envers les elfes. Les mots vol et ruse fusèrent et se propagèrent comme une fièvre contagieuse. Gailar adoucit l’ardeur galopante : « 
 — Paix ! Paix mes amis ! Chacun ici s’exprime librement, nos alliés aussi.
 — J’ai parlé, poursuivit le roi. Oui, peuple des bois, si vous songer avec espoir à votre avenir, si vous voulez refluer l’Ombre grandissante qui garrote la forêt, alors vous le savez et ne pouvez le nier : cette lampe revient aux Elfes. Elle est leur héritage.

La foule convulsa et s’écarta. Le son mat du bâton tordu du mage brun frappant le sol pierreux rythma son avancée vers la lumière car, jusque-là, il était resté caché au milieu de tous : «
 — Majesté, vous êtes sage et ancien. Vous savez que la Lampe a été fabriquée par les elfes d’Eregion, à l’ouest des Monts Brumeux, pas dans votre famille. Elle vous a été confiée avec sa sœur. Si une âme vivante possède cette lampe en héritage, alors c’est Elrond de Foncombe. Car les rares survivants des ruines d’Eregion résident désormais dans la vallée cachée. Si nous cherchons un lieu où la Lampe sera protégée avec assurance, alors c’est celui-ci. Votre palais peut contrarier l’Ombre mais peut-il tenir ? Qui ici peut lui assurer son destin ? Qui ici peut éviter qu’il ne soit une nouvelle tragédie à l’image de celle d’Amon Lanc ? La lampe tomberait alors dans les griffes de l’Ennemi et sa destruction certaine. La lampe doit rejoindre Foncombe.
— Retirer celle-ci aux Hommes des Bois revient à leur arracher le cœur, soufflais-je bien malgré moi sans regarder quiconque.
— Maître Araval, nous nous connaissons. Thranduil me regardait fixement. Sa voix glaciale n’exprimait aucun doute. Nul ne questionne votre valeur et votre sagesse. Oui, sans la Lampe, ceux qui resteraient ici tomberont sous les coups de l’Ombre. Mais, même avec son feu lumineux, ils tomberont. La volonté de ceux des bois est indéniable comme leur force, mais leur nombre nuit. Ils contreront le mal quelques années, tout au plus. Mais chaque vie sera fauchée inévitablement, les unes après les autres, et la Lampe s’éteindra définitivement comme votre peuple.
 — Que proposez-vous ? Que tous les Hommes des Bois aillent à Foncombe ?
 — Non, bien sûr. La lampe doit venir en mon royaume. Mais le peuple des bois peut trouver sa place plus au nord. Les terres de Vinglund sont libres maintenant et champs et fermes peuvent y pousser, tout comme la lisière forestière apportera les bois de chauffe et de construction. Unis et plus proches, nos deux peuples pourraient même libérer l’ouest de la forêt des araignées. Cependant, vous tous devez choisir votre devenir ! ».

Encore une fois, les esprits s’animèrent avec véhémence et une colère sourde grogna, comme celle du chien acculé prêt à mordre. La pensée commune s’apeurait de la perte de la Lampe et, maintenant, se froissait d’une servitude certaine en migrant au nord, près des elfes. Ses échauffements embrasèrent la garde du roi et les invectives fusèrent, accompagnées par quelques bousculades bravaches. Chaque camp reprochait la folie de l’autre. 
 — Cessez ! hurla le roi et l’assemblée se tétanisa. Cessez là ! Nous comprenons la difficulté de trancher pour un choix. Mais j’entrevois une solution. Ici, hommes et elfes ont combattu pour défendre ensemble leur liberté. De cette lutte, des héros se sont élevés. Ils sont vos héros comme les nôtres. Je sais qu’ainsi n’est pas votre tradition mais, si nous nous opposons, la défaite est avérée pour tous. Et elle sera immanente. Je suis prêt à accepter leur décision, quelle qu’elle soit. Le conseil attablé ici le serait-il aussi ? J’en suis persuadé et, ces héros, je les appelle à présent : Maître Araval, encore, ce jour, votre chef de guerre ; Maître Vannedil, connu de tous les peuples libres pour sa tolérance et son altruisme et qui possède, aussi, des terres en vos contrées ; Beleg, sujet de mon Royaume, qui s’est battu, pour vous et son peuple, toutes ces années passées. Tous trois ont acquis une grande sagesse au fil de leurs combats et victoires contre l’Ombre et ses séides. Qui ici peut leur ôter le mérite de celles contre le Lycanthrope et le Vampire de Mirkwood ? Ils ont œuvré pour le bien de tous, indifféremment, que l’on soit homme ou elfe. Je le redis, j’accepterai leur décision et je vous demande de faire de même.
 — J’acquiesce, tonna Amaléoda. Qui est pour ? »

Elle leva haut une main. Tous hésitèrent et tous frémirent mais elle resta ainsi le temps d’un long atermoiement de l’auditoire. Puis une autre main s’éleva, et une autre, et encore une. Elles se firent multiples et celles des sages les accompagnèrent. Chacun votait en son âme dans un curieux silence après tant d’agitation et d’anxiété. Ce silence pesait si lourd sur mes épaules qu’elles s’avachirent. Je compris, face à cette forêt de mains, bien que l’unanimité ne soit pas faite, que venait l’inévitable responsabilité d’une dernière décision comme chef de guerre des hommes des bois.

Quelques mots d'adieu
Dernière modification par Carfax le mar. mars 08, 2022 11:33 am, modifié 3 fois.
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la fuite me parait coller à Araval :mrgreen:
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Que neni ! :mrgreen:
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